Ces trois dernières semaines, nous avons vu Jésus prêcher dans des conditions bien différentes : d’abord à Nazareth où cela a bien failli mal se terminer pour Lui. Il s’en est fallu de peu pour que Sa carrière de prédicateur ne s’arrête là… Dimanche dernier, Jésus enseigne sur le bord du lac dans un premier temps, puis depuis la barque de Simon-Pierre. L’idée est bien trouvée : l’eau porte le son et cela permet à la foule qui se presse sur la grève de ne rien perdre des paroles du Seigneur. Aujourd’hui, la configuration est encore différente. Nous sommes sans doute quelques semaines après l’appel des premiers disciples auquel nous avons assisté la semaine dernière.
Entretemps, la petite troupe s’est étoffée : Jésus après une nuit de prières en montagne — qui est le lieu où, symboliquement, la terre et le ciel se rejoignent — a désigné ceux qui, parmi les disciples fidèles, vont former le collège des Douze. Ils viennent tout juste d’être nommés et certains d’entre eux sont encore sous le coup de la surprise. Jésus leur laisse à peine le temps de digérer la nouvelle : Le voilà qui descend jusqu’à un plateau, une étendue plane au-dessus du lac de Tibériade où la foule est rassemblée. Il faut dire que le bouche à oreille a plutôt bien fonctionné : entre cet enseignement accessible à tous, à la fois exigeant et bienveillant, et ces premiers miracles qui frappent les esprits, le rabbi de Nazareth a le vent en poupe. Sont présents là, à L’attendre, « un grand nombre de Ses disciples » (mais aussi « une grande multitude de gens » (Lc 6, 17) aux provenances très diverses.
Jésus ne vend pas du rêve, un discours suave et détaché de la réalité : avec Lui, c’est un ancrage dans le réel, dans le quotidien, avec ses joies et ses peines.
Voici donc le public, l’assemblée, devant qui Jésus va S’exprimer. Autant le dire tout de suite, Son enseignement a eu tellement de retentissement, a eu un tel succès, qu’il lui a été accolé une double épithète : le Discours sur la montagne et le Discours des béatitudes. Jésus S’exprime comme un véritable enseignant, tel un communicant doué, un pédagogue efficace. Il sait que les gens devant Lui vont tâcher de mémoriser Son propos. C’est l’habitude en ce pays où l’oralité tient une place prépondérante et où le récit et la façon de parler et de poser les mots sont si importants. Jésus va jouer d’une part sur la répétition de l’adjectif « heureux » puis Il va l’opposer ensuite à son contraire « malheureux ». Ainsi quand Ses auditeurs se répéteront Ses paroles, les transmettront à leurs proches, il leur sera plus facile de dérouler l’enseignement entendu.
Les pauvres ne s’y trompent pas
Dans les autres techniques employées, Jésus va aussi Se servir de l’effet de surprise : « “Heureux, vous les pauvres ; heureux, vous les affamés ; heureux, vous qui pleurez ; heureux, vous qui êtes persécutés” ! Hum, j’ai dû mal écouter : cela n’a pas de sens ! » La foule, qui était toute oreille, elle, ne s’y trompe pas : ce message est pour elle. Les pauvres, ils sont là, au milieu de la foule ! Ainsi que ceux qui ne mangent pas à leur faim tous les jours ! Tout comme ceux qui souffrent à en pleurer ou ceux qui sont montrés du doigt, moqués et ostracisés. Ce message, il est pour eux. Et il leur apporte une véritable espérance ! Avec Jésus, les événements prennent une autre dimension : Il leur donne un sens. Et nous qui connaissons la fin de l’aventure, nous savons que cette souffrance, ces pleurs, cette ignominie, Jésus va les assumer sur la croix, dans Sa passion.
Ceux qui ont dû être bien secoués à l’écoute de ce message, ce sont les tout nouveaux apôtres, encore sous emballage, encore sous garantie. Alors qu’ils rêvaient peut-être de première place, d’honneur et de gloire, d’accueil délirant et triomphal, le discours des béatitudes a dû fissurer leur enthousiasme. C’est cela le programme de Jésus ? Elles sont là Ses promesses ? Pauvreté, faim, larmes et persécution ? Gloups ! Nous ne sommes pas loin des paroles terribles de Winston Churchill devant la Chambre des communes le 13 mai 1940, dans la situation périlleuse dans laquelle se trouvait l’Angleterre isolée, au début de la deuxième guerre mondiale : I have nothing to offer but blood, toil, tears and sweat. « Je n’ai rien d’autre à vous offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. »
Un ancrage dans le réel
Jésus ne vend pas du rêve, un discours suave et détaché de la réalité : avec Lui, c’est un ancrage dans le réel, dans le quotidien, avec ses joies et ses peines. Il assume le tout et nous invite à regarder vers le Ciel, qui est notre espérance, notre but, notre ligne d’arrivée ! Là, au paradis, plongés dans cet amour qui dépasse tout ce que nous pouvons imaginer, nous goûterons cette joie éternelle qui transcendera les difficultés, les peines, les souffrances que nous aurons assumées en ce bas-monde, portées avec Jésus et offertes pour le salut des âmes. Oui, à travers ce discours, Jésus donne du sens à notre vie, que nous soyons disciple à Son écoute ou apôtre choisi pour servir. Alors, écoutons-Le attentivement et tâchons, avec Sa grâce, de mettre en application Son enseignement, chemin véritable du bonheur.