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[HOMÉLIE] Dieu ? Un père qui raconte des histoires

GUERISON-MIRACLE-JESUS-BIBLE-JAMES-TISSOT

"The Blind and Mute Man Possessed by Devils", de James Tissot.

Jean-Thomas de Beauregard, op - publié le 07/09/24
Religieux dominicain du couvent de Bordeaux, le frère Jean-Thomas de Beauregard commente l’évangile du 23e dimanche du temps ordinaire. Dieu est un père qui raconte des histoires à ses enfants. Et celui qui raconte les exploits de Dieu comme aussi celui qui les écoute, devient un saint.

En quoi l’homme est-il créé à l’image et à la ressemblance de Dieu ? En saine doctrine catholique, on répond : parce que l’homme possède une intelligence capable de connaître, et une volonté capable d’aimer. Sans qu’il y ait contradiction avec cette réponse, les Juifs ont une autre explication. L’homme, comme Dieu, est celui qui raconte des histoires. Que fait Dieu, dans et par la Bible ? Il raconte des histoires. Que fait Dieu, dans et par le déroulé des événements du monde ? Il raconte des histoires. Dieu est un père qui raconte des histoires à ses enfants. Et que fait l’homme ? Il écoute cette histoire sainte, pour la raconter à son tour à ses propres enfants.

Cette histoire qu’il faut raconter

Les grands poètes et romanciers, même païens, s’inscrivent dans cette œuvre divino-humaine qui veut raconter les hauts faits de Dieu et les hauts faits des hommes. Les exploits de Dieu comme ceux de l’homme, qui sont encore de Dieu, sont faits pour être racontés, et même chantés. Pourquoi ? Parce que celui qui raconte les exploits de Dieu ou ceux des hommes sous le regard de Dieu, comme aussi celui qui les écoute, devient un saint.

Les histoires saintes font les hommes saints. Les parents ne devraient d’ailleurs pas raconter des histoires à leurs enfants pour les endormir, mais au contraire pour les éveiller : à la vérité, à la beauté, au bien, à Dieu finalement. Et non pas abstraitement, par des leçons de morale, ou par des histoires édifiantes qui ne sont qu’"édi-chiantes", mais par le foisonnement incroyable des histoires baroques et terribles par lesquelles Dieu se raconte à son peuple, ces histoires pleines de bruit et de fureur, d’amour et de haine, de désir et de meurtre. C’est cette histoire, la vraie, celle du combat entre la grâce divine et les forces du mal, qu’il faut raconter, sans l’édulcorer. Si l’enfant s’endort alors, c’est entre les mains du Bon Dieu. 

D’abord écouter

Il faut écouter et raconter des histoires. L’histoire sainte est d’ailleurs faite pour être écoutée plus encore que pour être lue : "Écoute Israël" (Dt 6, 4). Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, le Coran est mensonger lorsqu’il décrit le christianisme et le judaïsme comme des "religions du Livre". Le christianisme, héritier du judaïsme, est une religion de la Parole : celle qu’on écoute, celle qu’on dit. L’histoire sainte, celle du peuple d’Israël, celle de Jésus, celle de l’Église, est faite pour être écoutée, puis racontée à nouveau : "Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises" (Ap 3, 22).

C’est tout cela qui est en jeu lorsque Jésus vient en plein territoire païen guérir cet homme sourd et qui a de la difficulté à parler. Cet homme est enfermé en lui-même parce qu’il est sourd, et il ne peut même pas crier sa détresse parce qu’il a de la peine à parler. En réalité, cet homme est privé d’histoires : il ne peut pas en écouter, il ne peut pas en raconter. Or un homme sans histoires, c’est littéralement quelqu’un à qui il n’arrive rien. Être sourd et bègue, c’est être coupé de Dieu et des hommes. Être sourd et bègue, c’est ne plus être un homme à l’image de Dieu, un homme qui écoute et qui raconte des histoires. Cet homme-là, à la fois sourd et presque muet, c’est nous.

"Ouvre-toi !"

Certes, peu d’entre nous souffrent de surdité clinique, mais combien d’entre nous souffrent de surdité spirituelle ? Ce n’est pas tellement que nous soyons incapables d’écouter Dieu, c’est que nous écoutons tout et tout le monde, tout le temps, sauf Dieu. Et à défaut d’écouter Dieu, nous peinons à écouter vraiment notre prochain, c’est-à-dire laisser à la parole de l’autre un espace où exister dans notre cœur. De même, peu d’entre nous souffrent de bégaiement ou de mutisme cliniques, mais combien d’entre nous souffrent d’un mutisme évangélique ? Ce n’est pas tellement que nous soyons incapables de parler, nous parlons de tout et même souvent de n’importe quoi, mais si peu ou bien même jamais de Dieu ou à Dieu. Saint Dominique ne parlait que de Dieu ou à Dieu ; nous en sommes loin…

Mais Jésus vient à nous. Il enfonce son doigt dans nos oreilles, avec sa salive il nous touche la langue. Et les yeux levés au ciel, il soupire et dit : "Effata !", c’est-à-dire, "Ouvre-toi !" Guéris par Jésus, nous pouvons nous exclamer comme le psalmiste : "Tu m’as ouvert l’oreille, alors j’ai dit, voici je viens" (Ps 40, 7-8). Puis nous pouvons chanter : "Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange" (Ps 51, 17). 

S’ouvrir à Dieu

Comme toute parole évangélique, cet "Effata ! Ouvre-toi !" de Jésus peut être corrompu par l’usage. Cet appel du Christ peut devenir une de ces vérités chrétiennes devenues folles dont parlait Chesterton. Car enfin, "ouvre-toi !", à bien y réfléchir, c’est le slogan de notre époque. L’injonction à être ouvert, c’est le mantra contemporain par excellence. L’homme qui est ouvert est le héros du temps, le saint laïc porté sur les autels médiatiques. Il faut être ouvert, oui, mais à quoi ? De même qu’on veut bien être en marche, selon l’injonction de Jupiter, mais vers où ? Un poète américain faisait remarquer qu’il est bon d’avoir l’esprit ouvert, mais pas au point que le cerveau tombe par terre. L’idéologie de l’ouverture à l’autre n’est plus chrétienne s’il ne s’agit pas d’abord de l’ouverture à Dieu. L’injonction "Effata" — "ouvre-toi" — que Jésus nous adresse n’a de sens que parce qu’elle est la réponse à notre "Maranhata" — "Viens, Seigneur Jésus" —.

Si Jésus vient nous guérir, ce n’est pas pour que nos oreilles s’ouvrent à tout vent de doctrine, ni pour que nous ouvrions nos bouches afin d’ajouter au vacarme ambiant. Ouvre-toi, oui, mais à Jésus lui-même. Ouvre-toi, oui, mais à ton prochain qui est pour toi le visage du Christ. Écoute et médite la parole de Dieu pour la transmettre aux autres. Alors ta parole sera un écho de la sienne, à la fois vraiment divine et vraiment humaine, totalement reçue et totalement personnelle.

Si Jésus vient nous guérir par sa grâce, c’est pour que l’image de Dieu en nous soit restaurée.

Si Jésus vient nous guérir par sa grâce, c’est pour que l’image de Dieu en nous soit restaurée, c’est-à-dire que nous devenions capables à nouveau d’écouter et de raconter des histoires. Écouter et raconter l’histoire sainte, celle de Dieu, celle des patriarches et des prophètes, celle des saints de l’Église, celle de nos ancêtres dans la foi et de nos ancêtres tout court.

Si nous faisons cela, de tout notre cœur, toute notre vie, alors ce sont d’autres qui diront nos exploits aux âges futurs. La Vierge Marie, dans son humilité ne s’exclame-t-elle pas : "Tous les âges me diront bienheureuse" ? Or qu’a-t-elle fait pour mériter cela ? Elle a accueilli en elle la Parole de Dieu, elle a donné au monde la Parole de Dieu. En elle, l’histoire sainte a été écoutée, puis s’est dite à nouveau et pour toujours. Écouter et raconter des histoires, forcément saintes même lorsqu’elles sont terribles parce que Dieu y est toujours présent, c’est cela, être ouvert comme Jésus nous y invite, c’est cela être saint. On dit de quelqu’un qui raconte bien les histoires qu’il a de l’esprit. On devrait dire qu’il a l’Esprit saint.

Lectures du 23e dimanche du temps ordinaire :

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