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Pourquoi l’Église appelle à voter sans donner de consignes

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Guillaume Destombes I Shutterstock

Jean Duchesne - publié le 25/06/24

La distance des autorités de l’Église devant les choix électoraux n’est pas une dérobade, décrypte l’essayiste Jean Duchesne. L’approfondissement du regard auquel il invite ramène les passions politiques à de justes proportions, et met chacun face à sa responsabilité devant le bien commun.

Au risque de décevoir ou de choquer, on peut fort bien, en tant que catholique, ne pas s’inquiéter et encore moins se désoler que l’Église se fasse si peu entendre dans la campagne pour les prochaines élections législatives. Il y a bien des déclarations épiscopales. Les médias qui font leur métier les signalent et même parfois les relaient. Mais ces messages semblent avoir peu d’impact dans les débats et ne suscitent pratiquement pas de réactions, ni critiques ni favorables. Ce sont en effet des rappels de grands principes (solidarité, responsabilité…) qui ne sont guère contestables. Mais il n’y a pas de consignes de vote, de soutien ni de diabolisation d’un camp ou d’un autre. Quelques explications ne sont sans doute pas inutiles.

Le souci du bien commun

Il faut d’abord relever que cette distance ou cette prise de hauteur n’est pas le signe d’une indifférence. Les programmes des candidats et des partis ou coalitions préconisent des mesures concrètes et dénigrent celles qu’ont prises ou qu’envisagent les autres dans les domaines économique, social, institutionnel, diplomatique, militaire, etc. Les arguments pour et contre sont les retombées prévisibles de telles décisions à court ou (au mieux moyen) terme. Mais le contexte qui conditionnera ces mises en œuvre est loin d’être maîtrisable. Et surtout, ce qui motive au fond ces intentions et engagements demeure largement tacite. 

Les convictions qui sous-tendent les promesses d’efficacité sur les plans matériel et structurel se limitent à des revendications d’équité qui sont le plus souvent partisanes, sans s’aventurer à parler de cohésion, de “vie bonne” et de service de l’ensemble de la population (opposants compris), voire de l’humanité. Le grand absent des joutes politiques est le bien commun, et la priorité est souvent la défaite les rivaux. Le discours de l’Église paraît vague et timide, mais il a le mérite de réaffirmer que la gestion de la société implique une vision de l’homme, et de ses fragilités comme de sa dignité, et ne devrait être abandonnée ni à des techniciens sans projet, ni à des idéologues, ni à des intérêts particuliers, ni à des ambitieux qui ne savent plus trop que faire du pouvoir qu’ils ont conquis après l’avoir tant convoité.

L’ “autonomie du temporel”

Les évêques et le clergé remplissent donc leur mission quand ils indiquent des repères pour les choix à faire en allant aux urnes. C’est précieux quand quasiment personne d’autre ne prend la peine (ou le risque) de rappeler que le politique a pour fin le service, et non l’appropriation et la conservation du pouvoir dans la cité. La raison pour laquelle l’Église prend soin de ne pas préciser pour qui il faut ou il ne faut pas voter est l’”autonomie du temporel”. Celle-ci se réfère à la dissociation entre Dieu et César (Lc 20, 25) qu’établit le Christ (dont le royaume “n’est pas de ce monde” : Jn 18,36) et à son refus d’intervenir dans les rivalités humaines (Lc 12, 13 ; saint Thomas d’Aquin, De Regno). 

L’idée n’est pas que Dieu se désintéresse des affaires d’ici-bas, mais que les hommes y exercent leur rationalité et leur liberté.

L’expression est un peu trompeuse, car l’idée n’est pas que Dieu se désintéresse des affaires d’ici-bas, mais que les hommes y exercent leur rationalité et leur liberté. Or ces dernières sont faillibles. Elles peuvent cependant être instruites et guidées dans cet “art de vivre” dès cette terre comme Dieu l’a rendu possible dans la Révélation achevée par la venue de son Fils et actualisée par son Église. Le politique est ainsi, comme tant d’autres, un domaine distinct, mais pas du tout autarcique. Les baptisés sont, en tant que tels, appelés à s’y engager comme aussi citoyens. Et les clercs, personnellement mis à part pour agir au milieu d’eux au nom du Christ qui n’a pas pris parti ni accepté d’être roi, doivent non pas s’exclure (ils votent !), mais s’efforcer (ni plus, ni moins) d’approfondir l’horizon des choix à faire.

Quand l’Église fait de la politique

Il est des conjonctures où la hiérarchie ecclésiastique prend position : lorsque l’enjeu est éthique, et pas seulement politique, c’est-à-dire lorsqu’il ne s’agit pas d’un simple problème de management où elle n’a pas de compétences et où les solutions sont empiriques. C’est arrivé — pas assez largement, certes — face à l’antisémitisme pendant la Seconde Guerre mondiale, pendant la “bataille de l’école” en 1983-1984, et c’est encore le cas aujourd’hui à l’occasion des réformes dites “sociétales”. Mais ce ne sont que des mises en garde, des protestations ou au maximum des appels, car il revient alors aux laïcs, et non au clergé, de déterminer et d’employer les moyens d’action appropriés. L’Église ne fait de la politique à strictement parler, en intervenant auprès des gouvernants et de l’État et en tâchant de mobiliser, que quand est menacée la liberté de culte et de conscience.

En général, d’ailleurs, les fidèles n’attendent pas que les évêques se prononcent et peuvent légitimement prendre des partis différents entre des options contingentes et discutables. Cela ne facilite évidemment pas les prises de parole épiscopales, censées (entre autres) rassembler et unir les fidèles. Et c’est encore pire lorsque, comme actuellement, aucune des factions rivales ne répond aux attentes d’une majorité des catholiques. Beaucoup jugent inacceptable l’extrémisme au sein des blocs soit de “gauche”, soit de “droite”, soit des deux. Et, vers le milieu, le libéralisme qui promeut l’avortement et l’euthanasie n’est décidément pas plus attirant. D’autres en revanche voient du positif ou moins de négatif dans l’un des trois camps.

Neutralité et incertitudes

Dans un tel contexte, la neutralité des pasteurs respecte la division entre leurs ouailles : certaines savent déjà pour qui voter, ou seulement contre qui, et les autres sont embarrassées : quelle serait la moins mauvaise solution ? Ou vaut-il mieux ne pas choisir, puisque rien dans l’offre ne répond vraiment aux attentes ? Le recul impartial des autorités ecclésiales n’est pas une dérobade prudente ou lâche, car l’approfondissement du regard auquel il invite ramène passions et tergiversations à de justes proportions et met chacun face à sa responsabilité.

La mise en perspective que stimule la foi permet au regard de porter plus loin, sans du tout occulter les prochains obstacles sur le chemin.

Les incertitudes sur l’issue du scrutin et sur ce qui en résultera peuvent inquiéter, voire angoisser. Mais la prochaine bataille électorale ne sera pas Armageddon — la lutte d’ampleur cosmique du “Grand Jour de Dieu” entre les forces du Bien et du Mal (Ap 16, 14-16). “Nul ne connaît le jour ni l’heure” de la fin de l’Histoire, de même que personne n’avait prévu le Déluge (Mt 24, 36-37 ; Gn 7) et que le monde a continué après la chute de Rome en 410, ainsi que saint Augustin l’a expliqué dans La Cité de Dieu. Le pire n’est jamais sûr, parce que la peur de ce qui pourrait arriver ne suffit déjà pas à l’imaginer et encore moins à le déterminer.

Charité et humilité

Dire cela n’est pas sombrer dans un relativisme résigné, ni se réfugier dans une espèce d’angélisme qui méprise les misères d’ici-bas. C’est au contraire faire preuve de réalisme. Car la mise en perspective que stimule la foi permet au regard de porter plus loin, sans du tout occulter les prochains obstacles sur le chemin ni autoriser à les esquiver, si “piégeux” qu’ils soient. C’est dès à présent que le chrétien est appelé à exercer sa liberté encore limitée et faillible, en prenant le risque non seulement d’être trompé, mais encore de se tromper. C’est pourquoi les mandements épiscopaux à l’ouverture des campagnes électorales incitent régulièrement à voter et à prendre un parti, même si aucun de ceux qui sont offerts n’est idéal. Les affaires que l’Évangile appelle d'”intendance”, dont fait partie la politique, ne sont pas à prendre à la légère. Le combat a beau être douteux, sans doute non décisif et certainement pas le dernier, il est une épreuve pour la charité, qui ne va pas sans solidarité, en même temps que pour l’humilité, qui ne se réduit pas à une passivité. Il ne s’agit pas de se rabattre sur le moindre mal, mais de relever un défi.

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ÉgliseLégislatives 2024Politique
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