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Peu connu du grand public, le cardinal français Jean-Louis Tauran (1943-2018) fut l’un des piliers de la diplomatie pontificale qu’il servit sous trois papes, de Jean Paul II à François. Comme président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, il affronta la question de l’islam, rencontra de nombreux dirigeants musulmans, définissant un mode d’action, une "doctrine Tauran", largement repris par Benoît XVI et François. Cette doctrine repose notamment sur le dialogue essentiel entre chrétiens et musulmans, un dialogue qui est souvent incompris.
Dialoguer : vérité et charité
Pour le cardinal diplomate, le dialogue n’est pas un relativisme, ni un refroidissement de la foi, mais au contraire une démarche de charité qui vise à exposer le Christ (Je crois en l’homme, Paris, Bayard, 2016) :
Il ne s’agit pas d’être gentil avec l’autre pour lui faire plaisir ! Il ne s’agit pas non plus d’une négociation : je trouve la solution au problème et la question est close. Dans le dialogue interreligieux, il s’agit de prendre un risque : accepter non pas de renoncer à mes convictions, mais de me laisser interpeller par les convictions d’autrui ; accepter de prendre en considération des arguments différents des miens ou de ceux de ma communauté.
Ni relativisme ni syncrétisme, le dialogue avec les autres religieux doit être un levier pour affermir sa foi :
Du sein de notre Église, j’entends d’autres critiques vis-à-vis du dialogue interreligieux qui conduirait au relativisme de la foi et de la doctrine. Je pense que cette critique ne tient pas ; pour moi, au contraire, le dialogue interreligieux est le meilleur antidote qui soit au relativisme. Lorsque vous échangez avec quelqu’un qui n’est pas chrétien, vous êtes conduit à lui dire qui est Jésus-Christ pour vous... et donc le cœur de ma foi !
Les défis et les impasses du dialogue avec l’islam
Le dialogue bien compris n’est donc pas une remise en cause de ce que l’on est, mais une compréhension de ce qu’est l’autre et une présentation de ce que l’on est soi. Dans une intervention de 2012 à l’Université pontificale grégorienne, le cardinal Tauran avait cerné les défis et les impasses du dialogue avec l’islam : défi intellectuel de concilier la foi et la raison dans le monde musulman qui ne reconnaît pas ces catégories. Défi d’adopter une herméneutique du Coran qui accepte la modernité scientifique et les critères de la méthode historico-critique. Défi de former les imams, qui ont bien souvent une formation faible et superficielle, qui ne connaissent pas le christianisme et qui connaissent très peu leur doctrine. Défi de faire accepter la liberté religieuse, qui permette la liberté du culte chrétien, la liberté de construire des églises et la liberté de se convertir au christianisme.
Une doctrine en action
Ces défis posés, les analyses du cardinal se sont déployées dans plusieurs directions durant le pontificat du pape François, avec à chaque fois l’idée qu’il fallait mettre sur le devant de la scène des musulmans avec qui il est possible de parler et de mener une politique des petits pas qui permettent des avancées réelles. D’où la participation du cardinal Tauran, puis de François, au forum sur la paix et les religions organisé au Kazakhstan. Les multiples voyages dans le monde arabe, notamment en Égypte, dans les pays du Golfe et en Arabie saoudite (une première pour un dignitaire du Saint-Siège) ont permis au cardinal français de tisser des liens qui peuvent ensuite être actionnés par la diplomatie pontificale en cas de crise grave.
Loin d’être irénique ou naïve, la doctrine Tauran est au contraire très réaliste. Face à l’islam, il a contraint les chefs religieux à sortir de l’ambiguïté, c’est-à-dire à condamner ouvertement et franchement les répressions menées par les mouvements djihadistes : "Les responsables religieux sont aussi appelés à exercer leur influence auprès des gouvernants pour la cessation de ces crimes, la punition de ceux qui les commettent et le rétablissement d’un état de droit sur tout le territoire, tout en assurant le retour des expulsés chez eux", dit-il ainsi en août 2014, après les premiers massacres de Daesh. Ce qui aboutit, quelques jours plus tard, à ce que le pape réaffirme le sens de la guerre juste en justifiant une intervention militaire en Syrie pour « arrêter l’agresseur injuste".
La liberté religieuse
Gravement affaibli par la maladie de Parkinson, qu’il traîna comme une croix de longues années durant, c’est pourtant lui qui négocia la version finale du Document sur la Fraternité humaine, pour la paix mondiale et la coexistence commune (signé en 2019). Un texte ratifié par l’imam d’Al-Azar où figure notamment la reconnaissance de la liberté religieuse. Notion anodine en Europe, mais lourde de conséquences au Moyen-Orient où les chrétiens ne sont pas libres de pratiquer leur culte. Une victoire posthume d’un diplomate infatigable du dialogue "dans la vérité et l’amour" (sa devise) dont les directions continuent d’orienter la diplomatie du Saint-Siège dans la guerre actuelle à Gaza.