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La bienheureuse fugue d’Isidore de Séville

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Domaine public

Isidore de Séville.

Anne Bernet - publié le 03/04/23

Docteur de l’Église du VIIe siècle, Isidore avait la tête dure mais bien faite. Il dut à une fugue opportune l’occasion de se poser les bonnes questions. Il deviendra évêque de Séville, et c’est à lui que l’Occident doit sa connaissance d’Aristote. L’Église le fête le 4 avril.

Fin décembre 405, par un hiver si froid que le Rhin a gelé, plus d’un million de Barbares en armes, sans compter les femmes et les enfants, passent le fleuve et déferlent sur l’Empire romain d’Occident. Rien ni personne ne les arrêtera. À l’été 410, les Wisigoths, qui se sont plus ou moins imposés à la tête de cette coalition hétéroclite de peuples scandinaves et germaniques, s’emparent de Rome, la pillent, réduisent sa population, quand elle n’a pas trouvé refuge dans les églises, en esclavage, s’offrant même le luxe d’emmener captive la jeune sœur de l’empereur Honorius, Galla Placidia. Quelques mois plus tard, la jeune fille sera officiellement donnée en mariage au souverain wisigoth Athaulf, et cette union sera accompagnée d’une dot somptueuse : l’Aquitaine, c’est-à-dire tout le Sud-Ouest de la Gaule, avec Toulouse pour capitale, et les trois quarts de l’Espagne romaine. 

Au pouvoir de princes hérétiques 

Au vrai, cette alliance ne fait qu’entériner un état de fait : Athaulf est déjà maître de toutes ces régions, comme il l’est de la belle Galla Placidia et l’empereur se borne à sauver la face en feignant de lui donner ce qu’il a pris de force… Ainsi l’Espagne devient-elle un royaume barbare, comme la Gaule, la Belgique, l’Afrique du Nord, et même l’Italie. Pour les Hispano-Romains, le plus pénible n’est pas d’être désormais sous la coupe de souverains étrangers, car, en réalité, il y a longtemps que des Barbares romanisés exercent les plus hautes fonctions militaires et administratives dans l’Empire, mais de tomber au pouvoir de princes hérétiques. En effet, les Wisigoths et leurs cousins ostrogoths se sont, quand ils vivaient dans les Balkans, convertis à l’hérésie arienne, négatrice de la divinité du Christ, et ils professent un mépris haineux de tout ce qui est catholique. 

Dans ces conditions, il faut du courage, de la fidélité, de l’abnégation pour ne pas apostasier le catholicisme. Rares sont finalement ceux qui refusent de le renier. Parmi ceux-là, certains vont quitter leurs régions d’origine pour se réfugier au sud de la péninsule ibérique, dans l’actuelle Andalousie, reconquise par les Byzantins. De ce nombre se trouve un couple de patriciens, Severianus et Théodora, qui s’installent, peu après la reconquête, à Carthagène. C’est là qu’ils élèveront leurs quatre enfants, Léandre, Fulgence, Florentina et Isidore, le petit dernier, né dans les années 550. 

Les coups de férule sur les doigts

Très tôt, les deux aînés choisissent de se donner à Dieu. Léandre devient évêque de Séville. Il l’est déjà lorsque ses parents meurent, laissant Isidore, encore enfant, à la charge de ses frères. Fulgence étant entré au monastère, il revient au prélat sévillan de recueillir le petit, arrangement qu’Isidore ne va pas trouver des plus aimables… Léandre, en effet, est de ces gens qui, ne se passant rien, ne passent pas grand-chose aux autres et exigent de leur proches les mêmes efforts qu’ils s’imposent à eux-mêmes. Érudit, cultivé, passionné d’études, gros travailleur, il n’imagine pas d’autre voie que celle du labeur intellectuel pour son petit frère et lui trace un programme scolaire qui excède, de beaucoup, les capacités et les ambitions du gamin. Isidore regimbe, traîne les pieds, s’ennuie, paresse, voudrait s’amuser, comme n’importe quel enfant de son âge et Léandre, horrifié, le reprend avec une sévérité que, bientôt, le cadet ne supporte plus. Aux réprimandes succèdent les corrections. C’est ainsi que l’on élève la jeunesse à l’époque, à la maison comme à l’école, et nul n’y trouve à redire. Les coups de férule sur les doigts, et de verges sur les reins font partie de l’éducation des garçons depuis la nuit des temps. Cela leur forge le caractère.

D’ordinaire, dans les familles normales, la mère ou la grand-mère intervient, adoucit les punitions, en obtient la suppression, mais Isidore, le tard venu, n’a plus ni mère ni aïeule, rien que ce frère fouettard persuadé d’agir dans l’intérêt du petit, qu’au demeurant, il aime tendrement. “Qui aime bien châtie bien”, voilà tout. Au fil des mois, cet axiome étant devenu règle de vie, le pauvre Isidore n’en peut plus. Il n’a qu’une envie : s’enfuir. Il doit avoir alors dix ou douze ans, moins peut-être.

Une fuite et des questions

Un matin, profitant de l’absence de Léandre, il se glisse hors du palais épiscopal, se faufile en rasant les murs dans les rues sévillanes, parvient à quitter la ville ni vu ni connu, puis à s’enfoncer dans la campagne. L’été est précoce dans le sud de l’Espagne et, au bout d’un moment, Isidore, un peu perdu et qui commence à avoir chaud et soif s’approche d’un village. Sur la place centrale, se dresse une fontaine d’où jaillit une eau fraîche, précisément ce qu’il lui faut. Il s’assied sur la margelle, boit tant qu’il peut, profite de l’ombre des arbres et, très vite, s’ennuie… Léandre, en dépit de ses maladresses éducatives, a raison au moins sur un point : son cadet est remarquablement intelligent et serait supérieurement doué dans la plupart des matières s’il daignait se montrer moins fainéant. 

Pour passer le temps, Isidore observe ce qui l’entoure, et d’abord cette fontaine antique, héritage de l’époque glorieuse de la romanité. Sur le bord, il remarque des petits sillons qui ont creusé la pierre, pourtant fort dure, et trop irréguliers pour avoir été faits de main d’homme. Il s’interroge sur leur origine. Et voilà qu’une brave mère de famille, venue puiser l’eau nécessaire à son ménage s’approche, s’étonne de la présence de cet enfant qu’elle n’a jamais vu, bien habillé, beau comme un ange, trop bien élevé pour traîner tout seul sur les routes. Elle engage la conversation, tout en se gardant de poser les questions qui feraient fuir le petit. Les questions, c’est Isidore qui les pose : qu’est-ce donc que ces marques bizarres sur la margelle ? Qu’est-ce qui a pu les provoquer ? La femme lui montre alors qu’à ces endroits précis, il tombe des gouttes d’eau, peu nombreuses, certes, mais depuis si longtemps qu’elles ont fini par user la pierre et y laisser leur trace. “Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage”, comme dit la fable.

Même le roc peut se laisser entamer

Cette explication laisse Isidore rêveur. Combien de fois Léandre ne lui a-t-il pas dit qu’il avait la tête dure comme de la pierre et que rien n’y rentrait ? Pourtant, ainsi qu’il le constate, même le roc peut se laisser entamer, serait-ce sans brutalité… Et si, au lieu de se braquer contre les leçons de son frère, de s’entêter à faire celui qui ne comprend rien, il faisait enfin preuve de bonne volonté et tentait de s’appliquer à l’étude ? 

Est-ce cette sage réflexion ? Ou l’idée d’errer sans rien à manger ni savoir où il dormira ? Pris de remords, Isidore rentre à la maison, demande pardon à Léandre et, dès lors, s’applique tant à ses études qu’il devient bientôt l’élève brillant que son frère devinait en lui. Ainsi une paysanne probablement analphabète mais sage et compatissante, en se préoccupant d’un gamin en perdition, a-t-elle donné à l’Espagne et à l’Église l’un de leurs docteurs, et l’apôtre qui, avec l’aide de ses neveux, les princes Hermenegilde et Reccared, fils de sa sœur Florentina, mariée au roi wisigoth et arien de Tolède, Léovigild, ramènera son pays au catholicisme. 

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EspagneSaints
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