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L’avenir qu’on ne maîtrise plus, un projet mené depuis des années et dont on se sent soudain exclu, des enfants devenus grands… Arrive un moment où ce que nous avons construit tend à nous échapper. Cela peut-être dans l’ordre des choses, comme des enfants qui quittent le nid, ou au contraire s’abattre sans crier gare, à travers des épreuves telles que le chômage, la maladie ou une trahison.
La trahison. C’est ce qui est arrivé à saint François d’Assise. "Victime" en quelque sorte de son succès, il a attiré un si grand nombre de frères dans ses pas qu’il a fallu "organiser" un Ordre, avec une Règle et une hiérarchie, ce qui était contraire à son intuition initiale. Il s’est d’abord battu, ne voulant pas adoucir sa Règle. Il a traversé une crise intérieure profonde, en raison des profondes divisions que cela a suscité parmi les frères, et lorsque la pression a été trop forte, il a trouvé la paix dans l’humble acceptation de la réalité.
En 1208, plus d’une dizaine d’hommes d’Assise décident de suivre François et d’adopter son style de vie marqué par une extrême pauvreté. François n’avait pas encore de projet bien défini, si ce n’est de "vivre selon la forme du saint Évangile" (Testament). Mais entre 1209 et 1217, on passe de 12 à 5.000 frères mineurs. Jusque-là, François était l’exemple, la référence vivante qui suffisait à assurer la cohésion du groupe. Une adaptation de l’idéal primitif aux nouvelles conditions d’existence s’imposait donc. "Saint François en avait parfaitement conscience. Mais il se rendait compte aussi que, parmi les frères qui réclamaient cette adaptation, certains étaient poussés par un esprit qui n’était pas le sien", souligne le frère Éloi Leclerc dans la préface de son ouvrage Sagesse d’un pauvre (DDB). À son retour d’Orient, François est dépossédé de son influence par les vicaires généraux à qui il avait confié le gouvernement de l’Ordre pendant son absence. Les frères les plus instruits veulent fonder un Ordre s’inspirant des Ordres les plus anciens. En 1220, François résilie sa charge de ministre général.
"Depuis que tu n’es plus parmi nous, à notre tête, la situation n’a cessé de se dégrader. Les frères, j’entends ceux qui veulent rester fidèles à la Règle et à ton exemple, sont découragés et désorientés. On leur dit et on leur répète que tu es dépassé, qu’il faut s’avoir s’adapter et, pour cela, s’inspirer de l’organisation des autres grands Ordres", fait dire Éloi Leclerc à Frère Tancrède dans un hypothétique (mais très vraisemblable) dialogue avec saint François.
Accepter la réalité
François est donc rejeté par une partie des siens, il ne veut pas s’inspirer de l’organisation des autres Ordres. Il se sent dépassé, tiraillé entre son idéal primitif et la nécessité d’unifier sa communauté. Après la crise intérieure, sa réaction est d’abord de faire confiance, de tout remettre entre les mains de Dieu. Éloi Leclerc imagine ainsi un dialogue entre sainte Claire et saint François : "L’avenir de cette grande famille religieuse que le Seigneur m’a confiée, c’est assurément une trop grande affaire pour que cela dépende de moi seul et que je m’en préoccupe au point d’être troublé. C’est aussi et surtout l’affaire de Dieu." Une démarche spirituelle qui invite à lâcher prise quand tout semble nous échapper, et à accepter qu’une situation soit trop lourde à porter pour nos seules épaules. Une démarche qui se vit dans la prière et qui répond à cet appel du Christ dans l’Évangile : "Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai" (Mt 11, 28).
Saint François, qui pourrait passer pour un idéaliste, exhorte au contraire à se confronter à la réalité, et à l’accepter. Cela pourrait passer pour une forme de soumission, de lâcheté ou de passivité. Mais il s’agit davantage d’humilité. Cela a toujours été au cœur de sa spiritualité. Il a voulu que les frères soient appelés mineurs et qu’ils soient véritablement des "subditi", c’est-à-dire soumis à tous et à tout. "La plus haute activité de l’homme et sa maturité ne consistent pas dans la poursuite d’une idée, si élevée et si sainte soit-elle, mais dans l’acceptation humble et joyeuse de ce qui est, de tout ce qui est", dit saint François sous la plume d'Éloi Leclerc. Faut-il pour autant accepter le mal ? "Nous n’avons pas le droit de demeurer indifférents devant le mal et la faute", reconnaît saint François dans ce dialogue imaginaire avec frère Tancrède. "Mais nous ne devons pas non plus nous irriter ni nous troubler. Il nous faut apprendre à voir le mal et la faute comme Dieu les voit. Car, là où nous voyons naturellement une faute à condamner et à punir, Dieu, lui, voit tout d’abord une détresse à secourir."
Au-delà de la question du mal, la réalité la plus tangible pour saint François, celle qui permet de faire face à toutes les tribulations de nos vies, c’est l’assurance que Dieu existe. "Dieu est. L’homme qui accepte cette réalité et qui s’en réjouit à fond a trouvé la paix. Dieu est, et c’est assez. Quoi qu’il arrive, il y a Dieu, la splendeur de Dieu. Il suffit que Dieu soit Dieu."
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