« La fatigue du Pape est restée au Vatican. » Un observateur de longue date du petit monde romain me le répète à chaque discussion : comme Jean Paul II, François n’est jamais aussi heureux que quand il s’éloigne de la coupole de Saint-Pierre. La visite pontificale en Belgique a déjà provoqué quelques soupirs d’agacements en France. Quelle drôle de nation formons-nous ! comme si nous assimilions la place — plus ou moins historiquement avérée — de « fille aînée de l’Eglise » avec celle du fils aîné de la parabole qui n’en peut plus de voir son père être miséricordieux...
Un accueil enthousiaste
Ce qui est certain, c’est que l’enthousiasme du petit royaume voisin en a surpris plus d’un : les 35.000 places pour la messe de dimanche parties en à peine deux heures, des foules de jeunes joyeuses font arrêter la voiture du pape qu’il descend saluer... sans voir apparaître des banderoles de pétitionnaires appelant à sa démission, ou que les plateaux de télés ne se remplissent de commentateurs « très catholiques » trop heureux de pouvoir en direct relativiser l’importance des paroles du Saint-Père lorsqu’il parle de justice et du droit des plus pauvres. Nous avons beau avoir en partage la même langue et bien des traits de culture, nous sommes manifestement différents dans notre manière de concevoir et l’Église et le témoignage de la foi.
Il y a aussi les belles figures d’un certain nombre d’évêques qui n’hésitent pas à rappeler l’urgence de l’Évangile qui s’adresse d’abord aux malades et aux aveugles. Qui n’hésitent pas non plus à descendre dans les ténèbres des enfers pour en déterrer la pourriture, assumant sans exception l’opprobre d’un mal qui s’infiltre au cœur des systèmes institutionnels et qui fut trop longtemps occulté au nom du salut même de l’institution.
La source qui jaillit là où on ne l’attend pas
Il y a vingt ans, on disait l’Église morte en Belgique. Elle ne renaît pas de ses cendres : elle jaillit là où on ne l’attend pas. Où on ne l’attend plus. Il faut pour cela laisser la possibilité à la source de fendre la terre et de se frayer un chemin parmi les cailloux. Une de nos difficultés est d’avoir trop longtemps pensé que le cours de cette source était bien dessiné, qu’il nous fallait simplement en nettoyer les alentours et en dégager le passage. C’est ce que nous avons fait. Mais le ruisseau n’est pas devenu torrent pour autant. Il s’est même un peu plus tari.
On ne cherche pas la source de la Vie comme on repère les nappes de pétrole en sous-sol. Aucune machine, aucune prospective, aucun instrument ne nous la garantira. C’est bien plutôt l’abandon à la divine Providence, c’est-à-dire la remise de nos vies entre les mains de Dieu et le désir renouvelé d’écouter ensemble ce que l’Esprit nous souffle (plutôt que de chercher à l’instruire de nos bonnes idées) qui permettent à la Vie de se manifester.
Des chemins imprévisibles
J’aime bien entendre cette personne transsexuelle me dire devant l’église qu’elle pense vraiment à vouloir être baptisée. J’aime découvrir comment cet homme, qui vient à Noël et à Pâques se joindre à la communauté « célébrante », accueille chez lui une famille de réfugiés sans en faire toute une histoire. J’aime me laisser transporter par l’émotion et la grande joie de ces milliers de jeunes étudiants qui se sont pressés la semaine passée aux messes de rentrée des aumôneries universitaires de Lille. J’aime aussi l’idée qu’en tout homme, la voix de l’Esprit puisse rencontrer celle de la conscience et le pousser, sans que l’on puisse prédire comment, sur un chemin de rencontre qui mène au Père. Que la joie de ces journées bruxelloises ouvre nos cœurs à la joie simple de ceux qui osent faire confiance à Dieu et à sa Parole !