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Biblis, la sainte apostate et martyre de la foi

Sainte Blandine (IIe siècle) a été condamnée à mort par l'empereur Marc Aurèle. Mais cette mise à mort ne s'est pas déroulée comme prévu, le grill ne l'a pas brûlée, le lion n'a l'a pas mangée. Et c'est entre les cornes d'un taureau qu'elle a trouvé la mort. © Lionel AMANS/CIRIC

Sainte Blandine (IIe siècle) a été condamnée à mort sous le règne de l'empereur Marc Aurèle. Mais cette mise à mort ne s'est pas déroulée comme prévu, le grill ne l'a pas brûlée, le lion n'a l'a pas mangée. Et c'est entre les cornes d'un taureau qu'elle a trouvé la mort.

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Anne Bernet - publié le 01/06/21
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Au nombre des martyrs de Lyon, fêtés avec Blandine le 2 juin, se trouve aussi la fragile Biblis qui céda sous le fouet, mais se reprit sous la torture, soutenue par la prière de ses compagnons.

Pâques approchait, la cent soixante-dix septième depuis la mort et la résurrection du Seigneur. La communauté chrétienne de Lyon, que l’on appelle alors Lugdunum, compte la passer dans la joie et l’allégresse mais, cette année-là, il n’en sera pas ainsi. Nœud essentiel au commerce entre le nord de l’Empire romain et le bassin méditerranéen, Lugdunum compte une importante communauté de marchands orientaux. Ce sont eux qui, quelques décennies plus tôt, ont introduit le christianisme dans la ville. Depuis, il se sont largement développé et les conversions ont été nombreuses parmi les Gaulois. 

Longtemps, ces gens n’ont dérangé personne mais, en ce printemps, pour eux, l’horizon s’obscurcit. Désastres militaires, menaces d’invasion, pestes, famines, crise économique, crise démographique : l’empire que Marc Aurèle, malade et désabusé, tente de maintenir, craque de toutes parts et, puisqu’il faut bien un responsable à ces malheurs, les chrétiens fournissent aux autorités un bouc émissaire idéal. Depuis une quinzaine d’années, ceux de Rome sont pourchassés, dénoncés, traduits devant les tribunaux et, s’ils refusent d’abjurer, envoyés à la mort. "L’empereur philosophe", qui reproche aux fidèles du Christ ce qu’il nomme "une pure obstination" destinée à le contrarier trouve cela très bien ; pourtant sa réputation de bonté et de sensibilité n’est pas usurpée. Reste que les chrétiens n’en bénéficient pas… Tant s’en faut !

La situation ne s’améliorant pas, la persécution, d’abord sporadique et localisée, tend à s’étendre. Pour la première fois, la Gaule est concernée. Encore faut-il un prétexte à s’en prendre à la communauté lyonnaise. Les prêtres de la déesse orientale Cybèle le fournirent. Ils se plaignirent aux autorités que la fête de Pâques, qui tombe cette année-là en même temps que celle de la "Grande Mère", perturbe leurs célébrations. Sur ce, l’honorable corporation des bouchers charcutiers lyonnais s’avise qu’elle aussi a des raisons de se plaindre des chrétiens : ils ne se fournissent pas en viande chez eux. Non qu’ils soient végétariens mais parce que les boucheries s’approvisionnant auprès des temples, les chrétiens refusent de manger des bêtes sacrifiées aux idoles, donc aux démons… Les dénonciations commencent à pleuvoir, et les accusations les plus folles : les chrétiens mangent en réalité de la chair humaine, celle de petits enfants tués lors de banquets sacrilèges, lesquels se terminent en accouplements incestueux entre "frères et sœurs". Cela suffit à provoquer des violences "spontanées". Des chrétiens, ou supposés tels, sont pris à partie quand ils se rendent au forum, faire leurs courses, se promener. Les coups succèdent vite aux insultes, puis les lynchages. On signale les demeures chrétiennes, on les pille, on en assomme les habitants.

Pour mettre un terme à ces émeutes, le légat juge bon d’arrêter les fauteurs de trouble, c’est-à-dire, non les émeutiers mais leurs victimes. Fin avril, une quarantaine de fidèles, hommes et femmes, jeunes et vieux, de naissance libre ou esclaves, Gaulois ou Orientaux, citoyens romains ou pérégrins, clercs et laïcs se retrouvent dans les prisons de la ville. Parmi eux, l’évêque Potheinos, saint Pothin, vieillard de 90 ans, en sa jeunesse disciple de l’apôtre Jean à Éphèse. Sommés de dire s’ils croient au Crucifié, tous ces gens confessent leur foi, y compris les deux esclaves du groupe, une frêle jeune fille prénommée Blandine et un adolescent de quinze ans, Ponticus. Normalement, ces aveux dispensent d’être soumis à la torture, procédure destinée à faire avouer les crimes prétendus. Ce n’est pas le cas. Sans aucun motif juridique, tous ces gens sont confiés aux bourreaux. Un jeune aristocrate gallo-romain, avocat de profession, et chrétien, Vettius Epagathus, ayant osé dénoncer cette scandaleuse violation du droit et prendre la défense de ses coreligionnaires, est immédiatement arrêté et décapité sur les marches du tribunal, sans autre forme du procès…

Cette invraisemblable procédure d’exception fait comprendre à ces pauvres gens le sérieux de leur affaire et qu’ils risquent de mourir dans l’arène et, quand, un à un, on les soumet à la question, c’en est trop pour certains. Si la majorité, à l’instar d’un jeune diacre originaire de Vienne, de l’autre côté du Rhône, Sanctus, demeurent fermes, une dizaine craque et renie le Christ.

Parmi eux l’épouse d’un commerçant oriental, Biblis, ou Bibliade. Soumise à la flagellation avec le fouet réglementaire, aux lanières hérissées de billes de plomb, de crocs ou d’osselets, de manière à déchirer impitoyablement les chairs, Biblis flanche et hurle qu’elle n’est pas chrétienne. Terrifiée, elle se met à parler d’abondance, prête à tout pour qu’on arrête de la frapper et qu’on la laisse rentrer chez elle. Elle dit tout et n’importe quoi. On lui demande si les chrétiens se livrent à des orgies, dévorent des nouveau-nés. En sanglotant, elle dit oui, chance inespérée pour des magistrats qui n’obtiennent jamais pareils aveux de prévenus chrétiens. Sans le comprendre, Biblis vient de perdre le profit de son apostasie. L’on a maintenant trop besoin d’elle afin de confondre ses "complices" pour la relâcher. Elle est reconduite en prison avec les autres. Choc terrible : victime d’un marchand de dupes où ses compagnons reconnaissent la griffe du diable, elle a perdu pour rien la vie éternelle. Elle le comprend. Aux douleurs du fouet endurées s’ajoute l’angoisse de la damnation.

Ces prisons de Lugdunum sont un endroit horrible. Dans ces geôles souterraines, profondes, l’on étouffe littéralement, par manque d’air. Le jour n’y entre jamais, l’odeur est insoutenable, les prévenus ont les chevilles prises dans les ceps, lourdes pièces de bois qui empêchent tout mouvement et interdisent de s’allonger ; enfin, et, pour les confesseurs, ce dernier détail est le pire, hommes et femmes sont enfermés ensemble, attentant à leur pudeur. On compte aussi là-dessus pour les amener à abjurer. Les prisonniers restent là, enchaînés. Les bourreaux, que leur résistance exaspère, font subir à Sanctus le supplice du fer rouge, lui infligeant d’horribles brûlures. Il les offre pour le salut des dix apostats et d’abord de Biblis, que le groupe plaint particulièrement. Abasourdie, muette, la malheureuse reste prostrée dans son coin. 

Cette captivité dura plus de deux mois. Dix-huit prisonniers n’y survivent pas et meurent dans les cachots. L’évêque Pothin, nonagénaire, est le premier à périr. On est le 2 juin et cette date reste celle de la fête des martyrs, alors même que les derniers du groupe, et la plus célèbre d’entre eux, Blandine, survivent jusqu’au 1er août. Les places libérées par les morts ne restent pas longtemps inoccupées. Les rafles continuent à Lugdunum et Vienne, amenant de nouveaux captifs. On les torture à leur tour, pour leur faire avouer les crimes improbables qu’a dénoncés Biblis mais eux ne reconnaissent rien de tout cela.

En désespoir de cause, le légat, qui s’est cru tout proche d’un exploit inédit : faire avouer leurs abominations aux chrétiens, décide d’imposer une seconde séance de tortures aux prévenus. L’on commence par Sanctus. Ses brûlures infectées sont si graves, il souffre tant que l’on peut espérer le voir s’effondrer. Il n’en est rien. Entre deux gémissements, il se borne à répéter : "Je suis chrétien." On n’en tire pas davantage, pas même son nom et son lieu de naissance. Alors, advint un événement incroyable. À l’odeur pestilentielle qui monte des plaies du martyr succède un parfum merveilleux et l’impossible se produit. Chaque coup infligé au supplicié, au lieu d’ajouter à ses tourments, lui devient un remède et, sous les yeux médusés des bourreaux, des juges et du public, ses blessures cicatrisent miraculeusement ; Sanctus sort de la séance de torture intégralement guéri… 

Comme il faut d’urgence faire oublier l’incident, ordre est donné d’amener Biblis, le maillon le plus faible du groupe. Le légat ne doute pas qu’elle réitère ses premiers aveux sitôt aura-t-elle vu le fouet. Il se trompe. Comme l’écrit l’auteur de la Lettre des Églises de Lyon et de Vienne à leurs frères d’Asie et de Phrygie, auteur que la Tradition identifie au successeur de Pothin, saint Irénée : 

À bout de nerfs, incapable de faire plier les chrétiens, car tous les apostats, un à un, se reprenant, confessent de nouveau le Christ, le légat se décide à les livrer à la mort. Esclaves, Blandine et Ponticus sont condamnés aux bêtes. Par esprit de vengeance, parce qu’ils lui ont tenu tête, le magistrat leur adjoint le diacre Sanctus, l’encombrant miraculé, et un riche marchand oriental, Attale.  Pour les autres, un dilemme se pose : on ne peut livrer aux fauves des citoyens romains ou leurs épouses, qui ont le droit d’être décapités, sans souffrances inutiles. Or, contre tout bon sens, aucun des condamnés n’accepte de revendiquer cette précieuse citoyenneté, qui leur accorde une fin moins pénible. Ils ne veulent pas se désolidariser de leurs frères et sœurs esclaves ou pérégrins. Faute de les fléchir, le légat, brusquement devenu légaliste, préfère s’éviter des plaintes à Rome et condamne tous les autres chrétiens de Vienne et de Lyon au glaive.

Ainsi périt sainte Biblis, sauvée par les mérites de ses amis et de la communion des saints. Ce devait être le 23 ou le 24 juin, aux célébrations du solstice d’été.

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