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Jacqueline Kelen, une résistante de l’esprit

Jacqueline Kelen
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Marzena Devoud - publié le 13/10/20
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Lauréate du Prix de la liberté intérieure 2020 pour son livre “Histoire de celui qui dépensa tout et ne perdit rien”, une méditation inattendue sur la parabole du Fils prodigue, Jacqueline Kelen se confie à Aleteia sur son unique aventure : celle de parcourir en pèlerin éveillé les lieux les plus secrets de la vie intérieure. Chrétienne convaincue, passionnée par les grands mythes fondateurs de l’humanité, la Bible et les mystiques non seulement chrétiens mais également issus des spiritualités orientales ou asiatiques, Jacqueline Kelen invite ses lecteurs, à travers ses nombreux ouvrages, à se tourner sans cesse vers leur intériorité. Là où le désir d’éternité reste intact, là où on savoure pleinement la liberté intérieure. Rencontre avec une résistante de l’esprit.

Aleteia : Vous avez reçu le Prix de la liberté intérieure 2020 pour votre livre “Histoire de celui qui dépensa tout et ne perdit rien”. Ce prix est décerné à un ouvrage qui aide à croire, à penser et à vivre librement. Qu’est-ce qui vous aide à croire ?
Jacqueline Kelen : Aider à croire, je ne sais pas ce que cela veut dire. On est entouré de personnes qui veulent aider, accompagner, alors que la vie spirituelle est pour moi éminemment personnelle. Les scientifiques publient des livres pour démontrer que Dieu existe, mais cela ne changera rien pour un athée convaincu. La foi repose sur une expérience vivante personnelle et irréfutable. Cette foi, comme le précise saint Paul, elle atteste de la présence de Dieu. Alors elle ne peut pas être perdue ! Car il s’agit d’être le témoin de l’Absolu, comme l’écrit Kierkegaard. 

Dans votre livre, vous revisitez de façon inattendue une parabole bien connue – celle du Fils prodigue. Qu’est-ce que vous avez cherché précisément en la revisitant ?
Ce qui m’a toujours troublé, c’est de voir que la plupart du temps, cette parabole est commentée toujours dans le même sens, d’une manière assez facile et rassurante. Le fils prodigue, c’est ce petit jeune rebelle qui dépense tout, qui s’éloigne de la maison familiale pour y revenir quelque temps plus tard, pêcheur lamentable et minable, et demander humblement le pardon de son père. Je pense qu’on a tous un peu tendance à nous mettre à la place de l’autre frère, l’aîné, celui qui est resté à la maison, qui a fait tout comme il fallait, fidèlement, celui qui mérite l’amour du père, et qui devrait être à la première place. Cette interprétation m’a toujours étonnée.

Pourquoi ?
Je pense que le fils prodigue a répondu à l’appel du large. Il est parti pour faire son expérience, pour exprimer toutes les merveilles et les possibilités de son libre arbitre. Il a vécu, risqué, cherché, il s’est trompé, il a recommencé. Le prodigue, c’est chacun d’entre nous. Ce n’est pas quelqu’un qui a fugué juste un moment. C’est l’histoire de toute une vie, d’une existence humaine, qui peut durer de longues années dans notre monde imparfait, dont on peut épuiser les richesses jusqu’à en comprendre leur finitude. C’est cela qui est beau ! 

Qu’est-ce qu’une belle vie pour vous ?
Ce n’est pas qu’une vie faite de bonheurs, de gratifications et de succès. C’est une vie pleine qui fait le tour des choses, qui traverse la douleur et la beauté, la haine et l’amour fou… Il n’y a pas de chemin de maturité sans épreuves. Celles-ci sont autant de portes, autant de rencontres qui nous forgent et nous enseignent.

Ni voleur ni méchant, le fils prodigue revient après avoir tout exploré, il a vu que le monde n’était pas parfait. Mais sa soif, son espérance d’infini et le souvenir du père sont restés en lui.

Pour moi, une belle vie est une vie remplie de toutes sortes d’expériences, de souffrances comme d’espérances, c’est une vie intense, entière. Il n’est pas dit que ce fameux fils prodigue ait fait des choses horribles dans un pays lointain. Il a dû rencontrer des gens, augmenter sa conscience et sa connaissance. Rien ne dit qu’il n’ait pas été généreux… Je trouve bien que le fils prodigue ait tout dépensé. Au Moyen-Âge, on parlait alors de la largesse, cette vertu des grands seigneurs. J’imagine qu’il y a eu de la générosité en lui. Ni voleur ni méchant, il revient après avoir tout exploré, il a vu que le monde n’était pas parfait. Mais sa soif, son espérance d’infini et le souvenir du père sont restés en lui. C’est ce désir qui le fait revenir, alors qu’il n’a rien à offrir à son père. Pour moi cette parabole est une métaphore de notre vie d’hommes et de femmes.

Vous préférez le Fils prodigue à son grand-frère… Pourquoi ?
Le grand frère, oui, c’est vrai, j’ai du mal avec lui. Certes, c’est un homme de devoir, intègre, fidèle. C’est magnifique. Mais le débordement de tendresse du père pour son fils apparemment ingrat, lui, il ne le partage pas. Nous avons tous des chemins particuliers. Bien sûr, le prodigue a pris des chemins détournés, mais ce qui est important, c’est qu’il a eu le désir du retour. Il n’a rien fait fructifier de son héritage, mais il sait au fond de lui que le père l’attend et qu’il n’a pas perdu son amour. Il a le courage et l’espérance d’aller se présenter nu à son père. Dieu nous aime chacun dans notre démarche. Il est évident qu’en chaque être, il y a un désir d’éternité. 

Supprimer le désir d’éternité parce qu’il n’y aurait que ce monde est une éradication de la transcendance (…) Aujourd’hui, il nous faut des grands résistants de l’esprit pour une transformation intérieure.

De nos jours, notre société athée et normative a remplacé ce désir d’éternité en recherche de ce qui est durable. C’est très bien sur le plan écologique, mais vous n’avez pas remarqué que la question de durer remplace le saut dans l’éternel ? Supprimer ce désir d’éternité parce qu’il n’y aurait que ce monde est une éradication de la transcendance. C’est un crime effrayant, que tous les totalitarismes ont commis. Aujourd’hui, il nous faut des grands résistants de l’esprit pour une transformation intérieure.

Est-elle possible ?
Je crois que la transformation intérieure de chacun est possible. Comme celle qu’apporte la conversion qui est un retournement total. Le repentir est un renouvellement formidable, il est le refus de continuer de glisser sur une pente descendante. Alors, la grâce s’impose comme un éclair : plus rien ne sera comme avant pour celui qui retourne vers l’éternel.

Comment faire alors pour se laisser transformer ?
Il me semble qu’il faut d’abord être lucide. Renoncer aux chères illusions. Les slogans assénés en permanence par les médias, les mots magiques du bonheur, du bien-être, tous ces poncifs enferment l’être humain dans les illusions. On ne parle plus de s’améliorer, de grandir, mais juste de s’aimer… Si la finalité de l’existence est de s’aimer, de se protéger, de prendre soin de soi, c’est alors un enfermement effrayant. Prendre soin de son âme comme le disait Socrate, oui !


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Vous dites qu’on doit retrouver l’ambition de nos rêves…
C’est cela la première liberté. Que fais-je de ma vie ? Quelque chose d’unique et de grand ? Sans me prendre pour un saint ou un sauveur, vais-je élever l’humanité ou ne vais-je penser qu’à moi ? Soljenitsyne dit qu’il faut sortir de la vie plus grand qu’on y est entré. Serais-je en mourant la même, sans transformations, sans efforts, sans exigences ? Le goût de la liberté est-il encore dans l’être humain ? Cette saveur folle existe-t-elle encore ? 

Votre constat semble pessimiste…
Si la crise que nous traversons met l’accent sur notre vulnérabilité actuelle, tant mise en avant en ce moment, si elle nous permet de nous réconcilier avec la proximité de la mort, alors nous pouvons nous en sortir. Amie du Christ, je suis remplie d’une espérance immense et folle dans l’Esprit-Saint. Mon propos n’est pas désespéré, mais je vois que l’être humain ne comprend pas la richesse de la vie. A-t-on profité du confinement pour se remettre en question ? Le premier texte qu’on a trouvé dans l’histoire de l’humanité remonte à la civilisation sumérienne, il ne parle que d’une chose, c’est la quête de l’éternité… Ne méprisons pas les beautés et les richesses de ce monde, mais n’oublions pas qu’elles ne sont pas durables. Prenons en conscience, ayons le désir du grand et de ce qui nous dépasse. Ayons le désir de l’éternel !

Histoire de celui qui dépensa tout et ne perdit rien, par Jacqueline Kelen, Cerf 2019, Prix de la liberté intérieure 2020

Jaqueline Kelen

Cerf


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