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Faites-vous plaisir avec l’exquise vertu d’eutrapélie !

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La Sainte Famille à l'oisillon (vers 1650) de Murillo. Musée du Prado

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Jean-François Thomas, sj - publié le 01/10/20
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Tout le monde connaît la petite fille Espérance, mais qui se réjouit avec sa petite sœur, la petite fille heureuse Eutrapélie ? Avec elle, faites-vous plaisir, c’est la vertu de la détente et de l’humour !Eutrapélie n’est pas une martyre des premiers siècles ou le nom d’une patricienne romaine. Elle pourrait être un magnifique prénom tant elle sonne juste. Elle est plutôt fluette et passe inaperçue dans la longue liste grave et solennelle des vertus. Sa compagnie n’est point celle de ses sœurs aînées théologales et cardinales. Elle se contente de la basse-cour, plutôt que de la haute cour. Pourtant sa noblesse est ancienne et illustre puisqu’elle provient du grec et qu’Aristote en parle comme de la “bonne tournure” de paroles ou d’actes pour réaliser un bien. Ainsi donna-t-elle naissance à l’enjouement, à la joie simple qui égaient une compagnie, qui font chaud au cœur, et aussi à la juste détente méritée après un effort prolongé et le rude devoir accompli. Eutrapélie est joueuse, rieuse et nous entraîne dans sa danse.

Le repos du plaisir

Personne ne soupçonnera saint Thomas d’Aquin d’avoir cultivé le divertissement qui éloigne de Dieu. Le Docteur angélique parle, en des termes élogieux, d’Eutrapélie (considérons-la ici comme une petite fille heureuse), ceci dans sa Somme théologique IIa-IIae, q.168 : 

De même que l’homme a besoin d’un repos physique pour la reconstitution des forces de son corps qui ne peut travailler de façon continue, car il a une puissance limitée, il en est de même de l’esprit, dont la puissance aussi est limitée. Le repos de l’esprit, c’est le plaisir. C’est pourquoi il faut remédier à la fatigue de l’esprit en s’accordant quelque plaisir. L’esprit de l’homme se briserait s’il ne se relâchait jamais de son application. Ces paroles et actions, où l’on ne recherche que le plaisir de l’esprit, s’appellent divertissements ou récréations, le jeu, les plaisanteries. Il est donc nécessaire d’en user de temps à autre pour donner à l’esprit un certain repos. 

Comme toute vertu, même si elle n’occupe pas le devant de la scène, elle s’exerce dans un juste milieu puisqu’elle évite les écueils, si communs, de la paresse, ou bien, au contraire, de l’agitation en tous sens. Elle ne convient ni au mollusque ni à la mouche du coche. Aussi se trouve-t-elle à l’aise en présence de la simplicité, de l’émerveillement, de l’humour, de la ponctualité, de la capacité à remercier, toutes petites vertus qui en cachent de plus grandes et qui aident les géantes à donner du fruit. Elle est particulièrement bienvenue et soignée dans la vie monastique puisque c’est elle qui doit présider la “récréation”. Là résident la bonne humeur, la blague innocente, le sourire et le rire, toujours sous le regard de Dieu et participant aussi à sa gloire.

Saint Louis de Gonzague, mort dans la fleur de l’âge novice jésuite à Naples en s’occupant des pestiférés (autre temps…), cultiva dès sa petite enfance toutes les vertus. Il ne négligea point l’humble Eutrapélie. Un des épisodes les plus célèbres de sa vie se situe dans sa vie d’écolier, au collège. Il est en train de jouer à la balle au chasseur dans la cour avec ses camarades et il n’est pas le dernier à s’y donner à cœur joie. L’aumônier chargé de l’éducation religieuse de ce petit grand d’Espagne et futur duc de Mantoue lui pose alors abruptement cette question : “Louis, écoutez-moi ! Supposez qu’à ce moment même on vienne vous dire que la fin du monde va avoir lieu dans un instant, que vous allez paraître devant Dieu, que vous serez jugé par le Juge suprême et que, de son arrêt, se décidera votre éternité. Que feriez-vous ?” La réponse ne tarde pas : “Eh bien, je continuerais à jouer à la balle au chasseur !” Ce jeune saint avait compris qu’être trouvé en compagnie d’Eutrapélie à sa dernière heure serait une recommandation suffisante pour entrer dans la cour céleste, puisque le jeu qu’il s’accordait était en conformité avec tout le reste de sa vie. 

Le jour d’Eutrapélie

Alphonse Allais, esprit brillant, caustique et agnostique, notait très justement dans son Journal : “Ce qui rebute souvent, dans la religion, c’est la morosité qu’affectent tous ceux qui l’enseignent ou la pratiquent. À quoi bon, en effet, prendre en adorant le bon Dieu des airs de porter le diable en terre ?” Eutrapélie n’est pas une mauvaise servante qui veut nous entraîner dans la débauche ou l’excès. Elle est constitutive de ce que nous sommes, à l’image de Dieu et dans l’imitation de Notre Seigneur. En effet, le Christ nous a donné des exemples, dans ce que rapportent les Saintes Écritures de sa vie sur terre, d’accueil d’Eutrapélie dans son œuvre de prédication lorsqu’Il participe à des noces, qu’Il se repose chez Pierre à Capharnaüm ou chez Lazare à Béthanie. Justes récréations pour Celui qui s’est reposé après avoir créé et qui a ordonné à l’homme de se reposer au début de chaque semaine. 


Petit paysan au balcon
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Le dimanche est le jour d’Eutrapélie. Elle ne le transforme pas en un temps où on “s’éclate”, où on “se fait plaisir”, où on “fait la fête”, mais elle insuffle ainsi, sur tous les autres moments de la semaine une paix qui permet de reconnaître que tout vient de Dieu et retourne à Lui. Nos aïeux vivant sous la monarchie furent portés, durant des siècles par ce passage régulier d’Eutrapélie dans leur existence car, en plus des dimanches, les jours chômés de fêtes religieuses étaient en nombre considérable. Rien d’extraordinaire dans ce repos, pas d’activités compliquées ou néfastes, pas de loisirs onéreux, mais simplement la joie de la détente du corps et de l’esprit. 

Le plus efficace des antidépresseurs

Eutrapélie est plus efficace que les antidépresseurs. Chacun a fait et fait l’expérience de ces instants précieux où il suffit de partager quelques heures autour d’une table sans se presser, de goûter aux souvenirs des uns, aux bons mots des autres, à la bonhomie de tous. Paul Claudel, qui fut un bon vivant, nous laisse quelques formules savoureuses dans son Journal : “En compagnie d’un saucisson à l’ail on n’a pas l’impression de la solitude”, ou encore : “On aime ça comme on aimerait de la tarte” ; et dans Conversations dans le Loir-et-Cher : “J’entends la trompette nasillarde des fromages.” Eutrapélie, bien entendu, ne préside pas simplement un bon souper entre amis. Elle se faufile près de nous et nous prend par la main dès que nous flanchons, écrasés par la fatigue ou les soucis. Elle nous invite à fixer notre esprit sur ce qui est paisible, beau, pur, à l’écart, pour un temps des ruminations et des gesticulations du monde.

En fait, au risque d’être réducteur et caricatural, nous pouvons nous risquer à dire que le catholicisme est la demeure d’élection d’Eutrapélie. Elle a été chassée avec sévérité, à coups de balai, par tous les prétendus réformateurs soucieux de pureté absolue et finissant dans l’hérésie à force de sévérité et d’austérité, prêts à donner des leçons de morale à Notre Seigneur qui perdait son temps à manger et à boire, et, de surcroît, en compagnie de pécheurs publics. Le catholicisme, certes, ne rit pas, mais il renvoie au monde sa véritable image et ce dernier, se découvrant dans le miroir, ne peut que rire de lui-même, à moins qu’il ne sombre dans l’orgueil. Rien n’était plus horriblement sérieux, et sinistre, cruel, que l’Antiquité, avec son cortège et ses panthéons de dieux et d’idoles qui ne promettaient que désolation à force de jalousie envers les hommes. Le Christ a retourné cela et l’Église a révélé combien ces dieux n’étaient que risibles dans leur acharnement à poursuivre les hommes de leurs vices, de leurs désirs, de leur envie. Le vrai Dieu visible dans le Christ est Celui qui donne le repos et qui invite les créatures à l’accueillir, chacune selon son espèce.

Des couleurs à la vie

La détente, l’humour, le repos sont des dons de Dieu et il ne faut pas les négliger, les mépriser, pas plus que les mettre au centre de l’existence. Eutrapélie n’aime pas être l’objet de toutes les attentions. Elle ne souhaite que remplir son rôle, même si secondaire, car elle donne ainsi des couleurs à toute la vie. L’abbé Berto écrivait à ce sujet dans Itinéraires en 1981 :

Nul moyen de se passer d’Eutrapélie. Ce n’est pas que cette simple fille veuille faire son importante, mais il faut qu’elle joue son bout de rôle, puisque nous ne pouvons pas plus nous divertir que travailler hors de Dieu.

À une époque où Dieu est évacué de la vie quotidienne, il n’est guère étonnant que la distraction soit devenue un divertissement vide, stérile ou foncièrement mauvais. Tout remettre sous le regard de Dieu permettrait d’éviter bien des cures psychanalytiques et bien des traitements médicaux car la juste mesure d’une vie vertueuse, dans tous les domaines, donne toujours un avant-goût de paradis.



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