Personnalité complexe, pudique et drôle, sa profonde foi catholique en faisait un personnage à part. L’inoubliable Frère Luc du film “Des hommes et des dieux” (2010) était tendu vers l’ultime Rencontre, sur la scène de l’Éternité.Ce 21 septembre 2020, Michaël Lonsdale a remis son âme à Dieu, après 89 années d’une vie bien remplie. Acteur à la longévité exceptionnelle, il aura tourné dans 130 films sur près de 65 ans. S’il avait commencé à la radio dès l’âge de 12 ans, en 1943, dans un Maroc à peine libéré par les Alliés où il animait des émissions enfantines, il n’entama vraiment sa carrière que vers 25 ans, tant au cinéma qu’au théâtre, après avoir fait ses classes.
Avec les plus grands
Sur le grand écran, il travailla très vite avec les plus grands réalisateurs : Michel Deville, Orson Welles, Truffaut, Clément, Carné, Louis Malle, Alain Resnais, Robbe-Grillet, Lautner, Molinaro, Marguerite Duras, Joseph Losey, Jean Eustache, James Ivory, Luis Buñuel, Costa-Gavras, Raoul Ruiz, Jean-Jacques Annaud, Claude Sautet, Arthur Joffé, Bertrand Blier, Milos Forman ou Steven Spielberg ne sont que quelques noms d’une liste aussi longue que disparate, marquée cependant par des fidélités sans faille, avec François Truffaut — qui tourna Baisers volés (1968) en partie dans son appartement — ou Jean-Pierre Mocky par exemple.
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Pour autant, son amour du théâtre ne se démentit jamais : s’il joua dans nombre de pièces difficiles ou d’avant-garde (Marguerite Duras et Ionesco notamment, mais aussi Nathalie Sarraute, Samuel Beckett ou Georges Perec), il aima les classiques (Shakespeare) ou lut avec prédilection de grands textes (Bossuet, Proust, Péguy), se mettant sur le tard à la mise en scène. Sans oublier ses apparitions régulières à la télévision, où le ton feutré de sa voix sourde signalait tout de suite sa présence habitée.
Une personnalité complexe
Michaël Lonsdale n’accéda pourtant que progressivement à la notoriété auprès du grand public. Pour comprendre cette lente reconnaissance, peut-être faut-il d’abord noter qu’il était doté d’une personnalité complexe, aux multiples facettes. Homme à la double culture britannique et française, il n’avait rien d’un jeune premier ou d’un stéréotype facilement identifiable. Il a ainsi pu jouer tant des amis fidèles que des personnages inquiétants comme l’abbé du Nom de la rose (1986), jusqu’au méchant du James Bond de Moonraker (1979) ! À sa grande humanité s’ajoutait une pudeur naturelle, non dénouée d’un humour certain — sa composition dans Maestro (2014), où il joue un double d’Éric Rohmer, est par exemple irrésistible —, aux antipodes d’une bête d’interview ou d’un carriériste. Enfin, sa profonde foi catholique en faisait un personnage un peu à part : baptisé à 22 ans, il n’a cessé de grandir dans sa perception du mystère, jusqu’à monter de plus en plus de nombreux spectacles explicitement chrétiens, tant dans de grandes scénographies (sur saint Bernard à Clairvaux, en 1990) que dans des cryptes d’église (Les récits d’un pèlerin russe à Saint-Sulpice, en 1993) ; fondateur du groupe de prière Magnificat, il présidait par ailleurs le Festival sacré de la beauté à Cannes (et Lérins). De fait, il fut non seulement acteur et metteur en scène, mais ami, camarade de route, accompagnateur, accoucheur de talents, voire conseiller spirituel.
Inoubliable frère Luc
Tous ces aspects ont convergé dans un rôle bref mais inoubliable, qui lui valut un César et aura profondément marqué des centaines de milliers de spectateurs, celui de frère Luc dans Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois (2010). La scène où le vieux moine explique à une jeune musulmane, en confidence, en quoi consiste l’amour est un pur moment de grâce. Lonsdale y réussit l’impossible, restituer en quelques phrases, par le miracle de quelques expressions et intonations, le sens d’une vie. Séquence d’autant plus bouleversante que, comme il le confia peu avant de mourir, elle faisait écho à l’une de ses épreuves les plus profondes, celle d’être resté toute son existence fidèle et à distance d’une femme qui vivait avec un autre .
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Qu’il soit permis à l’auteur de ces lignes d’ajouter un souvenir plus personnel. Pour avoir tant de fois marché à ses côtés dans les chemins de croix organisés le Vendredi saint dans l’Île Saint-Louis ou les processions mariales autour de Notre-Dame, pour voir vu si souvent sa silhouette de vieux starets se glisser humblement au fond d’une église pour prier en silence, il n’est pas permis de douter qu’il était tendu, au bout de son chemin, vers une Rencontre. Celle qu’il a faite aujourd’hui, sans aucun doute, sur la scène d’éternité où la lumière ne s’éteindra jamais.