Dans un entretien accordé à Aleteia, le cardinal Philippe Barbarin se confie sur sa prochaine mission qui débutera début juillet, juste après la messe d’adieu aux Lyonnais célébrée ce dimanche 28 juin. Une messe qui marquera la fin de ses dix-huit années de ministère à Lyon. Une vie très différente, avec une mission à deux dimensions essentielles qui s’inscrivent toutes les deux dans la continuité de l’action du cardinal : « suivre Jésus de près » et « rendre service ». Entretien.
De retour d’une longue retraite spirituelle en Terre sainte, après sa démission le 6 mars dernier, le cardinal Barbarin se prépare désormais à sa prochaine mission. Nommé archevêque de Lyon en 2002, après dix-huit ans de ministère très actif au sein d’un diocèse dynamique, il célèbrera une messe d’adieu et d’action de grâce ce dimanche 28 juin. Après avoir été finalement relaxé et jugé « non coupable » pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs dans le cadre de l’affaire Bernard Preynat, Mgr Barbarin commence une nouvelle étape de sa vie. Elle sera bien différente mais, comme il le souligne, « aujourd’hui, en France, un prêtre n’a pas de mal à trouver des lieux où rendre service ».
Si certains peuvent être surpris par le choix définitif évoqué fin mai avec le pape François, cette nouvelle mission semble pourtant parfaitement s’inscrire dans la continuité de l’action de l’ancien primat des Gaules. Sur le site Merci Cardinal, créé quelques jours avant sa messe d’adieu, nombreux sont ceux qui s’expriment avec émotion et reconnaissance. On peut lire notamment : “Depuis 18 ans, le cardinal Barbarin s’engage courageusement dans la société et dans le monde, au service du dialogue, de la rencontre et de la fraternité, du respect des plus petits, de la défense des chrétiens martyrs […]”. Un autre témoignage : “Depuis les débuts de sa vie de prêtre, il nous a changés, bousculés, édifiés, nous voulons lui dire notre gratitude”. À quelques jours de la messe d’adieu, les messages de remerciement se multiplient. Entretien.
Aleteia : Monseigneur, quelle est votre prochaine mission ?
Cardinal Philippe Barbarin : En rentrant de Terre sainte, je suis allé voir le Saint-Père fin mai. Nous avons beaucoup parlé du Proche-Orient. Il m’a dit qu’il aimerait que je reste disponible pour des missions dans les pays que je connais bien, comme l’Irak, le Liban ou Israël. Pour le reste, il m’a laissé le choix de faire ce que je souhaite. J’avais déjà pris contact avec l’archevêque de Rennes et avec la supérieure des Petites Sœurs des Pauvres de Saint-Pern, en Bretagne, là où vit Mgr Marcus, l’ancien archevêque de Toulouse. Dès le début du mois de juillet, je serai donc à ses côtés, mais aussi comme un aumônier pour les sœurs. D’autre part, Mgr d’Ornellas (archevêque de Rennes, ndlr) m’a demandé de donner des cours au séminaire de Rennes.
C’est donc une toute nouvelle vie pour vous, entre Saint-Pern et les missions en Proche-Orient pour le Pape…
Oui, j’en suis très heureux, car ce sont de beaux services à rendre. J’ai aussi des demandes d’autres diocèses ou congrégations pour donner des conférences ou prêcher des retraites. Ce sera une vie très différente, mais aujourd’hui, en France, un prêtre n’a pas de mal à trouver des lieux où rendre service !
J’avais quelques propositions en tête à présenter au Pape : aller dans une paroisse ou, ce qui m’aurait beaucoup plu, accompagner une maison de Lazare. Finalement, j’ai trouvé que ce qui était le plus adapté, c’était la maison des Petites Sœurs des Pauvres.
Quel sens voyez-vous dans la suite de votre mission ?
Celui qui devient prêtre dit au Seigneur : « Je ferai ce que tu me diras », à l’image de Jésus qui entra dans ce monde en disant :« Je suis venu pour faire ta volonté » (Héb. 10, 7). Comme je quittais la mission qui m’avait été confiée à Lyon, j’avais quelques propositions en tête à présenter au Pape : aller dans une paroisse ou, ce qui m’aurait beaucoup plu, accompagner une maison de Lazare. Finalement, j’ai trouvé que ce qui était le plus adapté, c’était cette maison des Petites Sœurs des Pauvres. Mgr d’Ornellas, l’archevêque de Rennes, m’a assuré qu’on m’y accueillerait très bien et qu’on y avait vraiment besoin d’aide. Je suis heureux d’aller y rendre service.
Comment réagissez-vous aux mots de gratitude qui se multiplient sur le site « Merci Cardinal » où on peut lire entre autres un bel hommage de l’imam, Azzédine Gaci, ou celui d’un jeune chrétien d’Irak, ou encore des personnes de la rue à qui vous avez ouvert une première coloc Lazare à Lyon…
Je suis très touché… moi aussi, j’ai un immense merci à dire au Seigneur pour ces années exceptionnelles que j’ai vécues à Lyon, et je tiens à remercier les Lyonnais de leur énergie, de leur dynamisme spirituel… Ils ont du « répondant » ! Tous ces messages de gratitude me renvoient aux grandes lignes de ma vie. Je suis devenu prêtre dans une période troublée, quand les troubles postérieurs au mouvement de 68 ont fortement ébranlé l’Église. J’ai été ordonné à Alfortville, dans la banlieue est de Paris, la ville où l’abbé Pierre a fini ses jours. Il m’a dit un jour : « Tu es devenu l’archevêque de ma ville natale, et moi je vais mourir à 100 mètres de l’église où tu as été ordonné prêtre. » Ensuite, j’ai passé des années magnifiques à Vincennes et à Saint-Maur-des-Fossés, surtout au service des jeunes, dans des paroisses très toniques et vivantes. Puis, je suis devenu curé à Boissy-Saint-Léger, une ville d’un tout autre style, où il y avait 32 nationalités à la messe.
Puis vous êtes parti pour Madagascar…
C’était le grand saut dans l’inconnu : devenir professeur dans un séminaire à Madagascar… Et ce fut le choc de la misère. La pauvreté permet de garder toute sa dignité, mais la misère est un désastre ; elle détruit les personnes. Je ne l’avais pas compris avant, mais à Madagascar, je l’ai constaté en la rencontrant au quotidien. Là-bas, j’accompagnais ceux qui voulaient devenir prêtres. C’était une vraie joie. Je découvrais une Église d’un tout autre style, pas du tout enfermée dans les problématiques qui dominent en Europe occidentale. Elle n’était déjà plus à l’état de sa naissance, mais en pleine croissance, comme à son âge « patristique ». Elle vivait une belle ouverture, la naissance d’une expression liturgique nouvelle, d’une théologie marquée par la culture propre de la Grande Île.
Comment avez-vous vécu le retour en France ?
Je suis rentré en France pour recevoir la charge d’une nouvelle paroisse, j’ai eu un autre choc. On m’a nommé tout de suite évêque, à Moulins, en Auvergne. Et j’ai eu tout à apprendre de cette nouvelle mission. Jamais auparavant, je n’avais été membre d’un conseil épiscopal. Et il me fallait en outre découvrir le monde rural que je ne connaissais pas non plus. Que de belles visites chez les agriculteurs, et dans les élevages. J’ai fait des agnelages… j’avais tout à apprendre.
J’ai été nommé très vite… archevêque de Lyon, un diocèse florissant, d’une vitalité extraordinaire, où j’ai vécu dix-huit ans d’un ministère passionnant !
De nombreux diocèses en France souffrent, parce qu’ils deviennent de vrais déserts. Les gens s’en vont, surtout les jeunes. On m’avait dit que mon département était le plus vieux de France. Je n’ai pas vérifié, mais je me suis dit tout simplement : si la population est vieille, on aimera les personnes âgées ! Les villages se vident de manière impressionnante ; on dit qu’on manque de prêtres. Mais il faut surtout dire qu’on manque d’habitants, de chrétiens, de jeunes. J’allais souvent dans des maisons où il y avait des personnes âgées, ou des malades. Visiter les personnes âgées, écouter et remercier ceux qui prennent soin d’elles… j’ai à nouveau beaucoup appris. À Moulins, il y a aussi l’une des plus grandes prisons de France. Et j’ai pu y passer beaucoup de temps, par exemple, toute la journée, la veille de ma consécration épiscopale. Mais très vite j’ai été nommé archevêque de Lyon, un diocèse florissant, d’une vitalité extraordinaire, où j’ai vécu dix-huit ans d’un ministère passionnant !
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Qu’allez-vous dire aux Lyonnais à votre messe d’adieu ?
Durant cette messe, je voudrais dire tout simplement que dans la cathédrale, on voit tout ! Elle montre la vérité et le mystère de l’Église qui est une fraternité, une famille et un corps, avec la variété de ses membres qui sont tous solidaires. Nous sommes là ensemble, dans la diversité de nos âges, de nos origines, de nos cultures et de nos situations sociales. De même que chaque église paroissiale est le lieu de rassemblement de la fraternité locale, la cathédrale est l’église-mère. Souvent, j’ai dit aux chrétiens : « Faites chaque année un pèlerinage vers la Primatiale, qu’il soit personnel, familial, ou avec des amis, avec vos voisins, ou encore en paroisse”. En ce lieu vénérable et hautement symbolique, le principal, c’est le rassemblement du peuple de Dieu qui vient recevoir une lumière et une force d’éternité pour poursuivre la route, malgré les ténèbres.
Durant la messe d’adieu, je ne ferai pas un historique de tout ce que nous avons vécu durant les dix-huit années de mon ministère à Lyon. J’aimerais plutôt faire sentir simplement à quel point cet édifice (la cathédrale de Lyon) est vivant, et nous permet de découvrir et contempler ce qu’est l’Église en vérité.
Dans cette cathédrale de Lyon, les lieux essentiels sont l’ambon et l’autel d’où sont offerts à tous la Parole qui poursuit son œuvre créatrice en chacun de nous, et le Pain vivant descendu du ciel pour nous nourrir. L’ambon installé en 2015 est magnifique, taillé dans un bloc d’albâtre que le recteur est allé chercher avec des architectes, en Iran. Il a la forme d’un livre ouvert, des lignes très pures, remarquables dès que l’on entre dans la Primatiale. À notre grand étonnement et pour notre joie, de nombreux iraniens ont demandé le baptême ces dernières années. Et l’autel a été offert par les prêtres du diocèse, il y a près d’un siècle.
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La merveilleuse rénovation de la cathédrale, ces dernières années, nous a permis de découvrir que chaque pierre a son histoire et son message, et qu’elle laisse deviner un visage. On y voit tous les peuples, par exemple des Éthiopiens qui se sont sculptés eux-mêmes dans la pierre, il y a huit siècles… c’est extraordinaire ! Ils étaient les immigrés de l’époque et ils ont manifesté dans la pierre leur joie de prendre part à la construction de cet édifice. Je ne crois pas que je ferai un historique ou un récapitulatif de tout ce que nous avons vécu durant les dix-huit années de mon ministère à Lyon. J’aimerais plutôt faire sentir simplement à quel point cet édifice est vivant, et qu’il nous permet de découvrir et contempler ce qu’est l’Église en vérité. L’intérieur de l’église, c’est une image de toute la famille humaine et, aujourd’hui, nous en sommes les pierres vivantes. Voilà notre vocation !
Cette messe d’adieu aura lieu le jour de la solennité de saint Irénée. Une date symbolique pour votre nouvelle mission…
Coup de chance, si je puis dire ! C’est un dimanche ordinaire, dans la liturgie de l’Église, sauf à Lyon où nous célébrons ce jour-là la solennité de saint Irénée. Dire au-revoir au diocèse de Lyon dans la cathédrale un 28 juin, cela me remplit de joie !
Que représente pour vous saint Irénée ?
Irénée est aimé par tous les chrétiens. Il est le symbole de l’unité perdue, malmenée au moins… pour laquelle Jésus a prié si intensément et que nous souhaitons retrouver. À son époque, la chrétienté n’était pas divisée. Il était originaire de Smyrne qui était alors une cité grecque. Avec saint Pothin, le premier évêque, il fait partie des fondateurs de l’Église de Lyon… le point de départ de l’évangélisation « des Gaules ».
Saint Irénée est éblouissant pour son amour de Jésus et sa connaissance des saintes Écritures. Ce qu’il dit peut nous éclairer dans les débats actuels pour changer l’Église et ses structures, souvent si décevantes. L’Église est “semper reformanda”, toujours à réformer !
Il écrit probablement en grec, mais il est évêque à Lyon. Il est regardé comme un « Père », à la fois par l’Église d’Orient et par l’Église d’Occident. Moi, je le considère plutôt comme « le grand-père » : le père des Pères de l’Église. Il est le premier à avoir donné une présentation générale de la Foi chrétienne à partir des évangiles, avec une force et une clarté magistrales, en réfutant les théories fumeuses des gnostiques. Le grand théologien Hans Urs von Balthasar le compare au jet d’eau de Genève, qui jaillit du lac et s’élève si haut ! Avant lui, on avait les lettres de saint Ignace, les dialogues de saint Justin avec les philosophes… mais pas encore de synthèse présentant avec une telle vigueur toute la Foi chrétienne. Il est comme le premier théologien !
Qu’est-ce que saint Irénée nous apprend aujourd’hui ?
Il est éblouissant pour son amour de Jésus et sa connaissance des saintes Écritures. Ce qu’il dit peut nous éclairer dans les débats actuels pour changer l’Église et ses structures, souvent si décevantes. L’Église est semper reformada, toujours à réformer ! Mais Irénée dit que ce qu’il faut changer avant tout, c’est la place du Christ dans nos vies et dans l’Église. C’est lui qui apportera le renouveau espéré. Si les croyants sont vraiment chrétiens, s’ils portent réellement le Christ dans leur vie, dans le cœur et sur les lèvres, alors l’Église est belle. La solution est d’ordre théologal. Si Jésus était vraiment vivant et vibrant dans le cœur des chrétiens, cela changerait tout dans la vie de l’Église. Dans son premier grand écrit, le pape François cite dès les premières pages cette phrase magnifique d’Irénée : « Il a apporté toute nouveauté en s’apportant lui-même »*.
Qui va renouveler l’Église ? Ce n’est pas nous et nos réflexions (…). Mais c’est vraiment Lui qui sera la source du renouveau de l’Église. Est-ce que le Christ a sa place de Seigneur dans nos cœurs, dans nos communautés ? Ce n’est pas sûr…
Qui va renouveler l’Église ? Ce n’est pas nous et nos réflexions sur les changements de structures. Certes, ces changements sont toujours nécessaires et importants. Mais c’est vraiment lui qui sera la source du renouveau de l’Église. Est-ce que le Christ a sa place de Seigneur, de roi et de lumière dans nos cœurs, dans nos communautés ? Ce n’est pas sûr…
Irénée nous apprend à regarder toutes les merveilles qui s’y trouvent. Il dit qu’elle est un riche cellier où tout le monde est venu apporter des merveilles qui sont à notre disposition aujourd’hui. Il y a les beaux fruits de la pensée de saint Jean Chrysostome ou de saint Bernard… Irénée a donné les premiers beaux fruits du travail théologique. C’est en exposant et démontrant la Foi apostolique qu’il a réfuté les hérésies de son époque, de graves déviations gnostiques, comme les théories de ceux qui prétendaient que la résurrection ne tenait pas la route ou que les évangiles racontaient des fables. Page après page, il montre et rappelle que tout ce que nous lisons dans le Nouveau Testament était déjà annoncé dans l’Ancien.
*Exhortation apostolique Evangelii gaudium (24 nov. 2013), n° 11.
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