Collaborateur direct de Jacques Chirac de 1976 à 1984, d’abord comme conseiller pour les affaires religieuses à Matignon puis comme directeur de cabinet à la mairie de Paris, Bernard Billaud revient pour Aleteia sur les années passées à ses côtés.
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Bernard Billaud a été un collaborateur direct de Jacques Chirac de 1976 à 1984. D’abord comme conseiller pour les affaires religieuses à Matignon puis comme directeur de cabinet à la mairie de Paris, il l’a accompagné dans les années qui ont précédé son arrivée à l’Élysée. « Je retiens que c’était un homme d’une grande pudeur. Mais j’admirais la générosité, la chaleur de son comportement comme patron. J’ai eu beaucoup de joie à le servir » confie-t-il à Aleteia.
Aleteia : Jacques Chirac avait-il la foi ?
Bernard Billaud : Je dois vous dire qu’habituellement, si vous posez la question à un citoyen français, on vous répondra que Jacques Chirac n’était surement pas dominé par des problèmes de foi mais que ceux liés à l’action, à la pertinence de l’action publique en vue de réaliser un objectif, mobilisaient son attention. Moi je suis d’un avis contraire. Je pense que Jacques Chirac était incontestablement un assoiffé d’absolu. C’est une des raisons pour lesquelles il est si difficile à cerner. Comme il ne voulait pas blesser qui que ce soit, même ses plus proches collaborateurs, il s’est toujours gardé de s’exprimer à ce sujet. Était-ce par pudeur, par goût du secret ? Cela traduisait-il une volonté de brouiller les pistes ? Une chose est sûre : on ne pénétrait pas dans le secret de son âme.
Quel rapport entretenait-il avec les cultes ?
Quand j’ai été nommé conseiller pour les affaires religieuses en 1976 à Matignon, Jacques Chirac, alors Premier ministre, m’a chargé d’organiser différentes rencontres avec les représentants des cultes. J’ai d’abord organisé un déjeuner avec différents représentants de l’épiscopat français, dont le cardinal Etchegaray qui était alors président de la Conférence des évêques de France. Mais le matin de notre rencontre, ces derniers ont appris que la presse était informée de ce déjeuner et ils ont donc annulé la rencontre. Ce sont donc les protestants que Jacques Chirac a reçu en premier. Nous avons également reçu deux interlocuteurs pour le culte juif, une rencontre qui s’est également bien passée. J’ai rattrapé les catholiques en court-circuitant l’épiscopat français avec lequel il ne s’est jamais entendu mais ce n’était pas le cas du Pape. Jacques Chirac a été reçu par Paul VI et Jean Paul II a été reçu place de l’Hôtel de ville, à Paris. C’est d’ailleurs l’un des moments les plus extraordinaires que j’ai vécu, la ferveur qui montait de cette place témoignait de l’adhésion du peuple de Paris à ce Pape si particulier !
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Vous êtes l’homme à l’origine du passage de Jacques Chirac à l’abbaye de Solesmes en 1976…
J’avais un grand ami, Jean Letourneau, qui avait été député de la Sarthe. Il était très lié à l’abbaye de Solesmes, connue pour ses magnifiques chants grégoriens. Il m’avait dit qu’il serait bienvenu que j’arrive à y faire venir le Premier ministre afin d’assister à un office et de déjeuner avec les moines. C’est donc ce que j’ai fait et nous avions arrêté la fête de la dédicace en octobre. Mais entre-temps Jacques Chirac avait démissionné ! Cela n’a néanmoins pas remis en cause son déplacement à Solesmes. J’en garde un excellent souvenir. Nous avons été accueillis par le père abbé puis nous nous sommes dirigés vers la chapelle. Le chant grégorien y était admirable ! Nous avons ensuite déjeuner avec les moines, Jacques Chirac était installé à la droite du père abbé et un moine lisait un texte de saint Augustin. Le père abbé lui a ensuite montré la cellule de Dom Prosper Guéranger, celui qui a rétabli le chant grégorien en occident au XIXe siècle. Jacques Chirac lui a alors demandé : « Si un jour me prenait l’envie de vivre dans un monastère… m’accepteriez-vous ? Car malheureusement je chante faux ! » L’abbé lui a répondu qu’on pouvait chanter faux la louange de Dieu car les voix se fondent dans l’ensemble d’une communauté ! Il lui a également précisé que si cela se passait avant qu’il ne quitte sa fonction, il ne se heurterait à aucun obstacle. Peu après cette journée à l’abbaye de Solesmes, lors d’un diner avec le cardinal François Marty (alors archevêque de Paris, ndlr), Jacques Chirac lui a dit que ce n’est pas étonnant que les fidèles n’aillent plus dans les églises assister aux offices et lui a lancé : « Vous leur donnez des hymnes tellement médiocres ! Informez-vous de ce qui se passe à Solesmes ! »
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Peut-on parler d’une « opération conversion » ?
Non, il n’aurait pas toléré qu’on cherche ainsi à le convertir. Il veillait scrupuleusement à son indépendance, à sa liberté. Il était profondément désireux de connaitre, de comprendre par quel cheminement la Providence vous guidait sur la voie du Salut. Je me souviens ainsi qu’il avait reçu une lettre de Mgr Poupard, alors recteur de l’Institut catholique de Paris, lui expliquant qu’il comptait faire une publication composée de témoignages de personnalités évoquant leur attachement à Jésus Christ. Dans ce cadre-là, il souhaitait que Jacques Chirac réponde à quelques questions. Jacques Chirac m’a demandé de le faire à sa place. J’ai bien évidemment refusé lui expliquant que je ne pouvais pas me substituer à lui. Mais il est revenu plusieurs fois à la charge en me disant même : « Vous me connaissez mieux que moi-même ! » J’ai donc fini par le faire. J’ai cité un passage du Sermon sur l’unité de l’Église de Bossuet. En lisant l’ensemble Jacques Chirac m’a dit : C’est extraordinaire cette phrase de Bossuet, je suis tout à faire d’accord avec lui. Sur l’ensemble du texte il n’a changé qu’un point.
Au moment de devenir président de la République, Jacques Chirac donne l’impression d’avoir pris (définitivement ?) ses distances avec l’Église…
Après avoir quitté l’Hôtel de ville en 1984 nous avons continué à échanger. Tout se passait bien jusqu’au moment où il a été élu président de la République. Il m’a demandé de préparer le télégramme qu’il enverrait pour les 75 ans de Jean Paul II. C’est la dernière fois qu’il m’a demandé quelque chose. J’ai écrit qu’à l’occasion du quinzième centenaire du baptême de Clovis, il serait ravi de l’accueillir à Reims. Jacques Chirac a refusé d’y aller et de l’accueillir. Quand j’ai essayé de le convaincre en lui expliquant pourquoi il devait être présent, il m’a répondu qu’il n’avait pas à y aller et qu’il m’écouterait s’il avait à évoluer sur ce sujet.
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Vous ne vous êtes plus parlés jusqu’en 2004. Comment avez-vous repris contact ?
Au moment de la sortie de mon livre sur mon expérience à ses côtés. Je ne voulais pas le publier sans son accord. Malgré mes relances, impossible d’avoir un retour de sa part. Il a pris le temps de le lire et m’a dit : « Votre livre ne me ménage pas mais il n’est jamais malveillant, méchant ou odieux. Vous dites votre vérité mais je ne vous censurerai pas ». J’ai renoué avec lui à ce moment-là et j’en ai été heureux. J’éprouvais de la tristesse de cet éloignement. Nous nous sommes revus plus souvent à partir de ce moment-là.
Que retenez-vous de Jacques Chirac ?
Je retiens que c’était un homme d’une grande pudeur. Il se barricadait sur ce qui concernait ses sentiments profonds, sur la vie, la mort, sur l’absolu, sur le Salut. Jamais il ne se serait laissé aller sur des confidences qu’il aurait jugées indignes de lui et indiscrètes. Mais j’admirais la générosité, la chaleur de son comportement comme patron. J’ai eu beaucoup de joie à le servir. Je n’ai jamais eu un seul incident avec lui. Il était d’une bonté, d’une générosité, d’une attention… Jacques Chirac avait une grandeur d’âme qui reste pour moi un exemple impérissable.
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