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Crise dans l’Église : sortir de l’épreuve par le haut

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Fr. Joseph-Thomas Pini, op - publié le 02/10/18
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La crise grave que traverse l’Église ces derniers mois est d’abord une crise des mœurs du clergé, comme il y en eut d’autres dans l’histoire, même si celle-ci est singulière. Sa résolution appelle une réflexion sur ses causes les plus profondes pour sortir de l’épreuve par le haut, selon la nature même de l’Église.On ne sait, des nouvelles révélations en série ce qui atterre et blesse le plus tant de fidèles dans l’Église. Quand ce ne sont pas les scandales graves, et pour certains horribles touchant des clercs à divers niveaux et dans plusieurs régions du monde, ce sont des attaques au sein même de l’Église, d’une ampleur et d’une violence frappantes. Il est certain qu’à l’effroi, à la colère et au dégoût se joint aussi finalement le découragement mêlé d’impuissance apparente à y remédier comme à défendre même l’Église et le sacerdoce.

L’ancienneté, la multiplicité et l’enchaînement des griefs de divers ordres semblent en dire long sur la profondeur du mal atteignant une partie du personnel de l’Église, clercs et consacrés. L’abondance des avis, opinions et « informations », le caractère personnel et irrationnel de nombre de déclarations, une impression de gêne et de paralysie viennent s’ajouter à l’abattement et font craindre alors de prendre la parole.



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Mais si la crainte est celle, en définitive, de la petitesse et de la faiblesse, sachant bien que nous ne valons rien d’autre mais qu’en elles tout devient possible, faut-il ne pas essayer au moins de partir d’un constat et d’un diagnostic permettant les réformes qui seraient utiles selon la nature même de l’Église ? En effet, non seulement, à tous les maux et écueils déjà évoqués, s’ajoute une indéniable et très préjudiciable confusion des causes et des situations, mais le péril n’est pas à sous-estimer : d’une part celui de l’éloignement durable de nombre de fidèles ; d’autre part celui d’empêcher pratiquement l’exercice du ministère des prêtres, en particulier à destination des plus jeunes ; et enfin celui de nier la nature même de l’Église en se lançant dans une contestation excessive et inadéquate de sa constitution hiérarchique d’institution divine.

Une crise des mœurs du clergé

La crise, d’apparence récurrente et dont nous connaissons un pic, semble en premier lieu non celle de la « gouvernance » ecclésiale, mais celle, à un degré grave, des mœurs et mentalités dans le clergé. La focalisation sur la pédophilie, à la hauteur de la légitime indignation devant la gravité des crimes en question, et leur caractère systématique dans certains cas, n’est évidemment pas illégitime ; la vigilance et la sévérité croissantes de ces dernières années suivent une juste voie, anticipant même celle d’institutions civiles elles aussi touchées. Le phénomène, qui relève de la pathologie, appelle dans l’essentiel des cas autant un traitement que des sanctions proportionnées, en même temps qu’un départ, inévitable, du ministère sacerdotal ou de la vie consacrée. Mais cela ne peut masquer d’autres manquements, bien plus nombreux.


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Ces derniers, le plus souvent relatifs aux mœurs sexuelles, même s’ils apparaissent de moindre gravité compte-tenu de la qualité des victimes, n’en sont pas moins des fautes sérieuses et des manquements aux obligations de l’état de vie consacrée ou de l’état sacerdotal librement consenties. Et l’on peut même craindre que l’attention portée à la pédophilie fasse considérer, degré par degré de gravité, les autres atteintes comme finalement tolérables, en particulier lorsqu’il n’y aurait pas scandale.

Les causes lointaines de la crise

Partir de ce constat permet d’essayer de saisir les causes de cette crise. Il faut tout d’abord garder à l’esprit la part, ici fondamentale et originelle, du cœur de l’homme, et la dimension d’ascèse, d’oblation et de combat perpétuel qu’exigent en particulier le vœu de chasteté continente et la promesse de célibat effectif, avec ses risques permanents de manquement, ses chutes et ses relèvements. Se souvenir ensuite du caractère récurrent, dans l’histoire de l’Église, de la crise des mœurs cléricales et religieuses et des réformes successives auxquelles elle a donné lieu, mettant en perspective ses origines.

Ensuite, il faut parler de la permissivité généralisée contemporaine à laquelle peut difficilement échapper le personnel clérical dès le stade de la vocation. Enfin, le dessein permissif de tel ou tel groupe dans l’Église joue un rôle indéniable, sans qu’il soit question d’en débattre ici, la question relevant à la fois du symptôme autant que de la cause, et renvoyant de toute façon à des raisons plus profondes.

L’esprit mondain

C’est précisément du rejet insuffisamment ferme, voire pire, de cette permissivité, ou de la prospérité et l’activisme réels ou supposés de tel « lobby » qu’il faut examiner les causes d’expansion et de maintien. Celles-ci paraissent relever d’une certaine constante : un soin insuffisant de la vie spirituelle et de la « garde de soi » passant par des voies fort anciennes certes, peu valorisantes souvent, mais fort éprouvées aussi ; un esprit « mondain » au sens le plus large, ne facilitant guère, à tout le moins, la recherche de l’équilibre toujours instable entre être dans le monde et être du monde ; une séduction du pouvoir intra-ecclésial et de l’influence sociale et psychologique parfois alliée à un attachement non mesuré à l’aisance matérielle ; un désir de briller et d’être apprécié qui, dépassant une saine mesure, fait glisser de la conviction à la séduction ; un sentiment plus ou moins grand d’une certaine supériorité, et aussi d’impunité, entretenu par une reconnaissance sociale, dans certains cas, et une confusion entre constitution hiérarchique de l’Église et hiérarchie des mérites.


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Ce dernier aspect rapproche sans doute du faisceau de problèmes que constitue le « cléricalisme » opportunément dénoncé par le pape François, mais vaut tout autant, mutatis mutandis, pour un certain « laïcalisme », d’autre part ne doit pas amener à confondre cause de l’expansion du problème et racine de ce dernier.

Le problème de l’homosexualité

Pas plus que celui de la pédophilie, le problème de l’homosexualité, nonobstant son ampleur révélée dans certains secteurs du clergé, ne peut donc résumer toute la question des mœurs cléricales. Mais les nécessaires corrections et possibles réformes qu’appelle la situation présente ne peuvent s’envisager en le tenant pour mineur, puisque les cas les plus nombreux de manquements graves aux obligations de l’état sacerdotal ou de la consécration religieuse relèvent de l’éphébophilie ou de relations entre adultes, dont le caractère homosexuel est clairement majoritaire. Cela dit, il n’est pas le tout ni peut-être même la clé de la crise.

En premier lieu, la vérité du jugement comme les changements qui s’imposent requièrent, d’une part d’avoir à l’esprit la grande diversité des situations et la complexité des qualifications en la matière, d’autre part de ne pas tenir pour rien les magnifiques et exemplaires efforts d’un grand nombre de ceux concernés, portant humblement une croix plus lourde dans la confiance en le secours et la miséricorde du Seigneur, et dans la force en Son appel à une permanente conversion.

Posséder les qualités nécessaires au sacerdoce

Ensuite, les problèmes de mœurs sexuelles dans le clergé et la vie consacrée ne sont pas les seules difficultés qui affectent les prêtres et religieux. Il est indéniable que, dans les graves dérives récemment dénoncées autour de prélats ou de lieux de formation, c’est le système de perversion qui présente un caractère problématique grave, que vient peut-être aggraver, mais non résumer, le paramètre de l’homosexualité. Mais cette question apparaît emblématique d’une autre, plus large, et sans doute à reconsidérer : celle de l’« idonéité » [Ndlr : qualité de ce qui est idoine, adéquat] au sacerdoce et à la vie consacrée (comme des qualités essentielles nécessaires à une vie durable et paisible selon les exigences et le charisme définis), en la distinguant de la capacité au sens strict (capacité à recevoir le sacrement ou à prendre l’engagement d’une profession religieuse) et de l’aptitude (à accomplir à un moment donné le ministère ou à remplir telle charge ou fonction).

Reste entière la tâche considérable d’en apprécier la réalité, exercice des plus délicats et dont il conviendrait peut-être, dans certains cas, d’ouvrir l’exercice et de le rendre plus collégial. Peut-être aussi convient-il de redire que ne sont en question ici ni l’œuvre de la grâce et de l’Esprit Saint, qui appartiennent à Dieu, ni les dispositions spirituelles, ni l’appel à la sainteté, mais la capacité à exercer le ministère ou à vivre, dans l’équilibre entre exigences intérieures et extérieures, la vie sacerdotale et religieuse, avec leurs emplois, leurs contraintes, leurs sacrifices, leurs nécessités, dans un patient apprentissage de l’œuvre et de la miséricorde divines en soi et dans ses frères et sœurs. Sans préjudice des aspirations, des talents, des besoins ou de la vie spirituelle, c’est sur ce terrain que doit d’abord s’apprécier l’idonéité, dont l’examen devra se poursuivre, non seulement durant la formation mais tout au long d’une vie humaine faite de changements et d’accidents.


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Une grande partie des clercs et des religieux vit aussi bien que possible, et non sans chutes, ce à quoi elle s’est librement engagée. Pour d’autres, toujours membres de l’Église dès lors qu’ils ne se placent pas en-dehors d’elle, sans cesse appelés à la sainteté, indéfectiblement aimés de Dieu et appelés à vouloir et à vivre Son amour, la question de cette idonéité et des conséquences à tirer de son défaut durable ne peut être éludée. Ceci doit se faire par chacun à sa place et à son degré, en communion, avec l’aide et sous la conduite de la hiérarchie, et suivant l’enseignement et les instructions du Magistère.

Le rôle de la hiérarchie et le besoin de justice

Le rôle de la hiérarchie n’est ni secondaire ni simple. Mais, outre la singularité de la crise actuelle due à l’ampleur et à la vitesse de l’information qui accroît d’autant l’émotion et l’absence de recul, sa particularité tient à la question, aujourd’hui largement soulevée, de savoir si la hiérarchie elle-même détient la solution ou fait partie du problème. C’est que non seulement les agissements et comportements de certains prélats sont en cause, mais les réactions inexistantes, insuffisantes ou inappropriées, sans même s’interroger sur une éventuelle complaisance, dans certains cas, ont fini par ajouter au scandale. À cet égard, on peut sans doute considérer aujourd’hui comme obsolète la vision classique de ce qu’est un scandale. Doit-il être ce qu’il convient prioritairement d’éviter ? Ou doit-il reposer sur la distinction entre ce qui est public et ce qui demeure occulte, tant les nouvelles formes d’information et de communication, et leur influence sur les formes mêmes d’esprit, aboutissent à ce que, souvent pour le pire et parfois aussi le meilleur, ce qui peut réellement demeurer caché est réduit à très peu ?

D’autre part, le peuple de Dieu, même s’il s’en accommode mal, comprend le plus souvent ce que peut impliquer l’humanité des ministres de l’Église, mais supporte de plus en plus difficilement ce qui peut être considéré comme un défaut de justice, à l’endroit des victimes comme des auteurs. Cela le conduit à prêter plus volontiers l’oreille à des attaques et des remises en cause elles-mêmes injustes dans leur généralité, dans leurs approximations et dans la méconnaissance de l’action effective de la justice ecclésiale, et allant jusqu’à toucher l’identité même de l’Église. Par-delà l’écume, nous trouvons ici l’occasion de mesurer combien le besoin de justice, et la justice elle-même, inscrits dans la nature de l’homme et l’ordre voulu par Dieu, sont constitutifs de la communion ecclésiale dans la charité, requérant la vérité et sans opposition ni même dialectique avec la miséricorde, tant l’une et l’autre sont liées par nature dans l’Église.

Solutions pour une sortie de crise

Entre de périlleux écueils, au milieu d’une agitation croissante et de tensions de plus en plus vives, devant la nécessité pressante de corriger, y compris en réformant, et l’ampleur de la tâche, il n’existe qu’une voie, sans nul doute étroite, pour marcher vers la sortie de la crise et de son cycle funeste, étroite comme le « chemin qui mène à la Vie » (Mt 7, 14). Le sentier ardu et escarpé, parcours de conversion, appelle avant tout et providentiellement à l’humilité.

Quelques solutions passant par des révisions canoniques notamment, pourraient être envisagées. Mais elles seraient vaines et stériles si elles n’étaient pas appuyées et enracinées dans un effort d’abord spirituel, de jeûne et de prière comme nous avons tous été invités sans cesse depuis le Christ Lui-même, de plus grand soin de notre vie sacramentelle et d’oraison, propres à une purification du regard et du cœur, à une quête plus ardente de la sagesse, mais aussi à revivifier la vie de charité de chacun dans l’Église, dans l’attention primordiale, concrète et effective à chaque situation, spécialement de souffrance et de faiblesse.


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Ce renouvellement de la vie de charité dans l’Église devrait s’appliquer aussi particulièrement à l’attention, plus grande sans doute, avec un soutien plus fraternel, aux prêtres et consacrés, dont les chutes et les déviations se cristallisent et prolifèrent souvent en situation de solitude (et l’on peut être effectivement seul même en communauté) et de crise de confiance.

Aimer l’Église

Enfin, pas de renouvellement sans un amour plus ardent de la vérité révélée en Jésus Christ et remise à Son Église. Sur le chemin de sainteté à rejoindre et parcourir chaque jour, pour le monde et vers Dieu, selon notre vocation de baptisé, un effort spirituel particulier porte sans doute précisément sur un plus grand amour de l’Église. Comment aimer l’Église ? En commençant par un acte de confiance en sa sainteté non atteinte par le péché de ses ministres, et en sa mission divinement établie et assistée.

Cet acte de confiance doit amener chacun à considérer davantage sa nature de Corps du Christ et d’Épouse ne pouvant être séparée de son Chef, son identité telle qu’instituée par Son fondateur et animée par l’Esprit, sa dignité, la grandeur et la nécessité vitale de sa mission. Celle-ci en effet passe par l’intégrité et l’effectivité du ministère de tous ceux appelés à la servir exclusivement, chacun à sa place. C’est ainsi que, dans sa communion et sa sollicitude active pour tous les hommes, se manifeste la sainteté de son Seigneur, celle à laquelle est appelé le peuple qu’Il S’est acquis.

 

Fr. Joseph-Thomas Pini, op, propose également des pistes de réformes possibles

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