Dans la région d’al-Mada’in en Irak, après des années de conflits, chrétiens et musulmans se retrouvent autour d’un intérêt commun : le sauvetage de l’église de Kokheh, l’une des premières églises chrétiennes.Fondée par Mar Mari (saint Mari en syriaque) au Ier siècle, l’église de Kokheh est un des sites majeurs de l’Église de l’Orient, à 32 kilomètres au sud de Bagdad. Saint Mari était l’un des disciples de Mar Addaï (ou saint Thaddée d’Édesse), lui-même disciple du Christ connu pour son œuvre missionnaire et évangélisatrice en Mésopotamie. Ses voyages sont retraçés dans Les Actes de Mar Mari, un ouvrage datant du VIIe siècle rédigé dans les années 600-650 au monastère de Dayr Qoni.
D’après ces chroniques, Mar Mari et ses disciples seraient arrivés dans la région d’al-Mada’in après avoir traversé le Tigre. Intrigués, les habitants locaux signalèrent immédiatement la présence de ces nouveaux arrivants au gouverneur, le roi Artaban IV. Ce dernier exigea qu’ils prouvent de manière tangible leur vocation missionnaire. Mar Mari s’empressa alors de guérir la fille du roi de la lèpre et d’accomplir d’autres miracles. Impressionné, le roi décida de lui attribuer un terrain situé à l’ouest de la capitale Ctésiphon et de son palais, pour qu’il y construise une église. Le lieu s’appelait Kokheh, qui signifie “huttes”, car de nombreux fermiers y vivaient alors dans des huttes. Il y avait là un petit temple que Mar Mari transforma en église. Celle-ci fut agrandie par la suite, notamment sous le règne du catholicos (le nom du primat de l’Église de l’Orient) Mar Awa le Grand dans les années 550.
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Au départ de nombreuses missions en Asie
Au cours des décennies suivantes, l’église de Kokheh revêtit une importance grandissante pour l’Église de l’Orient (également connue sous le nom d’Église de Perse ou de Mésopotamie). C’est de là que partirent de nombreux missionnaires pour aller répandre la Bonne Nouvelle au cœur de l’Empire perse ainsi qu’en Asie centrale et en Chine. Pendant des siècles, ce fut le lieu de résidence des chefs de l’Église de l’Orient, les patriarches catholicos. Même quand leur résidence officielle fut déplacée à Bagdad en 780, Kokheh demeura le lieu où les patriarches étaient consacrés. De nos jours, on y trouve encore au moins 24 de leurs tombes, ce qui en fait un haut lieu tant sur le plan spirituel que culturel. Cependant, les visites étaient interdites au public depuis une vingtaine d’années à cause des agissements de Daech dans la région.
Cela fait quelques mois seulement que le site peut à nouveau accueillir des visiteurs. En juin dernier, un groupe de chrétiens venu de Bagdad visitait d’ailleurs l’église accompagné du père Mansour al-Makhlissi, fondateur et directeur du Centre d’études orientales à l’église catholique romaine de Bagdad, lorsqu’ils reçurent une invitation impromptue. Après leur visite qui incluait également le site de Tal Qasr Bint al-Qadi où se trouvent les ruines d’une église similaire à celle de Kokheh, le groupe a été invité à déjeuner par la communauté musulmane locale, comme le rapporte le site Al-monitor.
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Un site archéologique de premier ordre
Alors qu’ils étaient en plein ramadan et ne pouvaient, par conséquent, pas consommer de nourriture, les musulmans locaux n’ont pas hésité à servir du poisson grillé aux visiteurs chrétiens. Très vite, les deux communautés ont constatés qu’elles avaient un intérêt commun pour l’église de Kokheh. Pour les chrétiens, c’est un lieu essentiel, puisque non seulement “cette église constituait le siège spirituel de l’Église de l’Orient”, souligne le père al-Makhlissi, mais aussi qu’« elle fut le point de départ de l’expansion du christianisme en Asie, jusqu’à atteindre l’Inde et la Chine. »
Pour les musulmans, elle constitue un important site archéologique pour la culture mésopotamienne en général, et peut attirer dans la région de nombreux visiteurs après un effondrement du tourisme au cours des dernières années. Chrétiens et musulmans ont donc entamé des discussions pour mener à bien un plan conjoint de restauration des lieux, soutenu par les autorités locales et les tour-opérateurs. Le ministère irakien de la culture espère que cette initiative relancera le tourisme autour des sites culturels de l’héritage mésopotamien dans la région.
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Sauvés par le tourisme ?
Pour la communauté musulmane locale, la présence de touristes constitue un bon indicateur pour montrer au reste du monde que la région est enfin sûre, après des années de chaos et de conflits. “C’est la preuve qu’il est possible de reconstruire ce que le terrorisme a détruit, tant sur le plan architectural que dans les relations entre les différentes religions présentes en Irak”, explique le Sheikh Saad Thabit al-Jubouri, un important chef local investi dans le plan de restauration, au site Al Monitor.
Pour le père Maissar, en charge de l’église chaldéenne Saint-Georges toute proche, ce plan conjoint des travaux de restauration est une chance de réunir musulmans et chrétiens dans une région où historiquement, les deux communautés étaient parvenues à coexister de manière pacifique pendant des centaines d’années. “Cette coopération réunit musulmans et chrétiens après une division générée par les atrocités et la violence de Daech au cours des dernières années. Rénover cette église est probablement un nouveau point de départ pour le rapprochement entre musulmans et chrétiens.”