Alors que la Syrie demeure plongée dans une situation aussi tragique que complexe, des artistes venus de là-bas se produisent désormais en France et font découvrir un patrimoine culturel vivant et superbe, lieu de dialogue et d’échanges entre religions.
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Alep est la ville spirituelle du nord-ouest de la Syrie. Aucune ville arabe n’a connu la même célébrité dans l’art et la musique qu’elle. Et aucun pays arabe n’a produit autant de musiciens qu’Alep, car elle est depuis toujours un passage obligé et une aire de repos pour toutes les caravanes marchandes, venues d’Europe, d’Asie et d’Afrique du Nord, accompagnées de chanteurs et de leurs formes musicales de l’époque.
Ainsi Alep, berceau des grands chanteurs et musiciens, a pu enseigner les bases de la musique arabe et des mouwachahat (موشحات), les chants traditionnels locaux, à de nombreux interprètes. Alors, par amour de ce patrimoine arabe et alépin en particulier, des artistes et amateurs, comme Abdelrahman Kazzoul, Hamam Khairy et Kazem Assi, ont tout fait pour faire renaître la poésie alépine et les chants arabes traditionnels à Paris.
Cercle des poètes migrateurs
Venus d’horizons différents, amateurs ou professionnels, originaires du Moyen-Orient et du Maghreb, ces amoureux de l’art poétique traditionnel ont constitué une chorale et des clubs de rencontre artistiques et culturels ; ils animent aujourd’hui à Paris des soirées et participent aux grands festivals de musique traditionnelle.
Comme le confie Kazem Assi, cet amateur franco-libanais passionné de poésie arabe :
« Depuis toujours, écrire des poèmes et lire des poésies de nos talentueux poètes arabes étaient mon plus beau passe-temps.
L’été 2012 a été le point de départ. Alors que j’étais invité à une soirée poétique au Liban, l’idée m’est venue de créer quelque chose à l’étranger, à Paris pour commencer, pour rendre hommage à nos poètes, et surtout les faire connaître auprès de cette nouvelle génération qui grandit à l’étranger et qui, malheureusement les ignore complètement ! Pendant trois ans, avec un groupe d’amis, on participait au sein d’autres associations en tant qu’invités. Puis en 2016 nous avons décidé de monter notre propre association, le “Cercle des poètes migrateurs”, avec un logo qui représente un oiseau volant emportant avec lui nos “étoiles” poétiques vers d’autres horizons. Ce cercle organise des soirées culturelles à thème : pour la Journée de la femme, le Printemps des poètes, une soirée avec le grand philosophe syrien Adonis… car nous sommes convaincus qu’indépendamment de nos origines, ethnies ou religion, ce qui nous unit est l’amour pour l’art poétique car l’intellect doit dépasser tout différend ».
Une richesse poétique alépine revivifiée
Quels que soient leur formation, leur parcours ou leur niveau, ces musiciens ont pour seul objectif de faire valoir la richesse de la langue arabe et de son patrimoine, et en particulier la culture syrien, à une époque où la politique noircit complètement son image et son identité.
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Abdelrahman Kazzoul, ingénieur marocain, est le fondateur de la chorale Takht Attourath. Ses nombreuses rencontres artistiques lui ont permis en un laps de temps de réunir autour de lui des amateurs et des musiciens, de grande renommée, issus de différents pays arabes pour la revivification de la musique arabe classique.
« Depuis mon jeune âge, je portais un grand intérêt à la musique, et au oud en particulier. Je chantais des mouwachahat, les chansons traditionnelles alépines, à l’oreille, tellement ça me plaisait ! Puis j’ai rencontré des professionnels libanais qui m’ont mis sur le vrai chemin artistique et m’ont fait découvrir la musique de la Renaissance et tout le domaine qui l’entoure. Ainsi, j’ai pu entrer par la grande porte, tout en gardant bien sûr mon travail professionnel. Suite à cette formation, j’ai pu monter ma propre chorale de chants arabes de la Renaissance et, ensemble, nous avons pu faire notre premier grand concert en direct à la radio de la BBC, en 1991.
Et en 1995, j’ai voulu élargir cette chorale pour y intégrer les mouwachahat, mes premiers amours de poésie. Ces chants alépins qui sont malheureusement délaissés par les nouveaux chanteurs, et réclamés de plus en plus par le grand public ! Et ma chorale avec sa variété de musiciens grandissait et s’affirmait, jusqu’à inclure aujourd’hui plus d’une vingtaine de choristes, tous d’origine arabe, venant d’horizons différents, et de religions différentes, et à leur tête le célèbre chanteur aleppin Hamam Kheiry, venu à Paris en 2012 quand la guerre s’est propagée dans son pays, pour nous enrichir de son expérience professionnelle alépine ».
Aujourd’hui cette chorale a fait une vraie ascension et a trouvé sa place. Elle participe dans de nombreux festivals et anime beaucoup de soirées en ville.
« Grâce à notre volonté nous avons pu perpétuer la tradition, maintenir les liens socio-culturels entre les différentes communautés arabes et étrangères, et faire de notre activité une cause humanitaire puisque les répétitions se font chaque dimanche dans un hôpital où tous les patients sont invités à y participer ; et voir la joie sur leur visage est notre grande récompense » poursuit Abdelrahman, puis il rajoute en souriant : « Je n’ai que ma voix à donner et j’en suis fier » !
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Les mouwachahat, ou les qudud alépins, des chansons et des mystères
Le chanteur, l’enseignant et le directeur technique de la chorale Takht Attourath n’est autre que Hamam Khairy. Cette grande voix d’Alep qui chante des mouwachahat excelle par ses variations vocales et son sens de l’improvisation.
« Je chante la paix, l’amour, et la joie à travers les qudud ou mouwachahat. Je chante pour faire connaître le patrimoine de mon pays. En ces temps difficiles que traverse mon pays, le chant doit nous unir et nous sauver. Tous, main dans la main, chrétiens, musulmans, à la mosquée ou à l’église. Moi, je suis bien musulman mais j’ai fait une soirée de chants spirituels d’Alep à l’église Saint-Julien-Le-Pauvre à Paris au mois de juin dernier.
Le mot qudud vient du fait que les marchands du monde entier passaient par Alep. Et le soir, ils veillaient tous ensemble en fredonnant chacun un air de son pays. Alors les Alépins, ne retenant que l’air puisqu’ils ne comprenaient pas les paroles, en composaient des chansons. C’étaient des paroles adaptées à l’air. D’où le terme qudud. Et d’où son mystère ! »
Et c’est pour cette raison que les chants traditionnels d’Alep sont le symbole d’une histoire de plus de mille ans. Ils racontent notre histoire, et l’histoire de toute une humanité. Depuis toujours Alep a été le passage incontournable de la route de la soie : sa place géographique, littéraire et artistique a favorisé son développement économique et social, et comme sa musique était déjà réputée, ce passage par Alep n’a fait que la développer davantage et renforcer ses mystères.
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