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Les grands convertis de la littérature : Paul Claudel

PAUL CLAUDEL

Paul Claudel

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Kévin Contini - publié le 30/05/17
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Paul Claudel (1868-1955), fut l’un des principaux poète et dramaturge du siècle dernier. Mais ce fut également un fervent catholique, converti le 25 décembre 1886, pendant les vêpres à Notre-Dame de Paris. Ce même lieu où il fera sa deuxième communion, en 1890, et où, en février 1955, l’air du Magnificat accompagnera sa dépouille.

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Comme le note François Angelier dans sa biographie intitulée Paul Claudel, “son effort, celui d’une vie de quatre-vingt-sept années, a été de rendre l’éternité cheminable, de canaliser en un chemin praticable l’inexorable coulée de joie qui s’est ouverte à lui en 1886.” Et en effet, toute l’œuvre de Paul Claudel, qu’elle soit théâtrale (Le Père humilié), poétique (Cinq grandes Odes), ou exégétique (Un poète regarde la Croix), est à la fois ouverture et approfondissement de son parcours spirituel. Paul Claudel lui-même, admirateur et défenseur de Gilbert Keith Chesterton, autre converti, n’hésitera pas à reprendre à l’auteur anglais l’image d’une croix semblable au poteau, indicateur entre quatre directions.

Rien dans sa famille ne le prédestinait à une vocation spirituelle. Sa mère est presque aussi insensible à la pratique religieuse que son son père anticlérical. C’est donc par convenance qu’il accomplit les deux premiers sacrements. La première communion, comme il l’explique lui-même dans Ma conversion, est “à la fois le couronnement et le terme” des pratiques religieuses pour beaucoup de jeunes gens de son époque. Adolescent, il ne se considère pas croyant. Son entrée au fameux lycée parisien Louis-le-Grand ne fait qu’accentuer ce mode de vie éloigné de la spiritualité. En effet, le jeune Paul Claudel, qui fréquente par ailleurs Marcel Schwob et Léon Daudet, fréquente l’élite intellectuelle parisienne, qui a perdu largement le sentiment du sacré.

Une rencontre qui change sa vie

Or, le jeune Paul, entre l’adolescence et l’âge adulte, sent qu’il ne mène pas une vie morale, et en ressent un profond mal-être. Il découvre l’angoisse de la mort à la suite du décès de son grand-père, mais ne songe même pas aux réponses que peut apporter, dans ce genre d’épreuves, la foi. Il ne supporte plus, en cette fin de lycée, les cours philosophiques à la gloire de Kant et de la Raison. Et du point de vue familial, la tension est tout aussi lancinante : sous des apparences trompeuses de quiétude, favorisées par une situation financière paternelle stable, les relations sont complexes avec sa sœur Camille et avec ses parents. Cherchant une sorte de salut esthétique, Paul Claudel se tourne du côté de la poésie et de la beauté de la nature, et il va à la rencontre de Stéphane Mallarmé.

Mais c’est un autre grand poète qui va marquer à jamais sa vie, ainsi que la première étape de sa conversion à la foi catholique, puisqu’il va le découvrir en cette fameuse année 1886 : Arthur Rimbaud. Il sent dans les Illuminations la force du surnaturel. Il entrevoit une mystique qui le purifie de l’atmosphère rationnelle et matérialiste dans laquelle baigne le milieu intellectuel parisien en cette fin de XIXe siècle. Il puisera dans l’oeuvre de ce poète-prophète tout au long de sa carrière, comme le prouve cet extrait tiré de ses Mémoires improvisés : “Rimbaud a exercé sur moi une influence séminale”, “je ne vois pas ce que j’aurais pu être si la rencontre de Rimbaud ne m’avait donné une impulsion absolument essentielle”. “Séminale” et “essentiel” : aucun doute, le jeune poète Rimbaud aura été un “père spirituel”, pour Claudel.

Ce n’est sans doute pas un hasard si, entre la lecture de Rimbaud et la conversion à Notre-Dame de Paris, Claudel écrit, en août 1886, un long poème intitulé : Pour la messe des hommes. Mais le Christ esquissé dans ce texte (que Claudel jugera a posteriori médiocre d’un point de vue formel mais important dans son développement spirituel) affirme encore — pour le moment — n’être pas le fils de Dieu.

La révélation

Arrive enfin le fameux épisode de Noël 1886 à Notre-Dame, qui se déroule lors des vêpres. Il entend le Magnificat. “En un instant, mon coeur fut touché et je crus. Je crus, d’une telle force d’adhésion, d’un tel soulèvement de tout mon être, d’une conviction si puissante, d’une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d’une vie agitée, n’ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher”. (Ma conversion, publié le 13 octobre 1913 dans la Revue de la jeunesse).

La foi arrive soudainement, simplement, puissamment, irrévocablement dans le coeur de Paul, qui a dix-huit ans. C’est définitif, mais il reste à l’assumer, à le digérer. S’il lit désormais la théologie chrétienne et fréquente l’Église, il n’ose en parler ni à ses proches ni à ses parents. Pas un seul de ses amis n’est pratiquant. Un autre problème qui se pose à lui, est le lien à établir entre ses aspirations poétiques et ses nouvelles aspirations religieuses. Quel équilibre possible entre sa culture, ses conceptions littéraires, et sa foi ?

Une lettre à Louis Gillet, datée du 10 novembre 1941, relate bien ces difficultés : “D’une part le monde de la réalité sensible qui était pour ma jeune vocation poétique le monde de la beauté et de la joie, celui aussi des désirs et des passions, et cet autre hors de lui, si puissant, si poignant, mais en même temps si redoutable qui venait se présenter à mon âme avec une autorité invincible”. Quatre ans plus tôt, il avait exprimé son désarroi en parlant de la fulgurance de sa foi comme d’un enfantement, ou plus précisément d’un enfant dont on doit soudain avoir la charge : “Cette espèce d’énorme enfant entre les bras, et informe paquet d’absurdes et révoltantes certitudes (…) ce ballot qu’on venait de me planter entre les bras de choses folles”. (Lettres à l’ange gardien, 1937). Si donc son âme est libérée, il sent néanmoins le poids qu’implique un engagement chrétien total.

Assumer sa foi

Mais le fait de prier en secret lui devient intolérable. En apprenant la conversion tardive de Charles Baudelaire, autre poète qu’il admirait, il se décide, enfin, en 1889, à voir un prêtre (l’abbé Jouin), de Saint-Médard, sa paroisse. Ce dernier lui ordonne d’avouer sa conversion à sa famille et se montre relativement insensible au parcours spirituel du jeune artiste. Paul en sortira profondément déçu : “Je n’ai jamais éprouvé une horreur et une agonie pareilles à celles que j’ai subies le jour de ma première confession”. (Lettre à Jacques Rivière, 1907).

Un an d’attente supplémentaire, et il retourne à Saint-Médard. Cette fois, il trouve un autre ecclésiastique plus compréhensif, et surtout l’abbé Villaume, qui sera son directeur spirituel, et dont il se sentira redevable jusqu’à la fin de ses jours. Le 25 décembre 1890, Paul Claudel boucle la boucle : il communie, pour la deuxième fois de sa vie et à Notre-Dame, là même où il fut touché par la grâce quatre années plus tôt, et où auront lieu ses obsèques soixante-cinq ans plus tard.

À l’instar de G. K. Chesterton, Claudel se montrera pudique au sujet de  sa conversion. Il croit, un point c’est tout. Nul besoin d’analyses intellectualisantes ou auto-satisfaites. Son récit le plus connu, Ma conversion, sera écrit dix-huit après les faits. Le recul lui a manifestement semblé nécessaire. Comme le dira son ami Louis Matignon : “C’est graduellement que la grâce agit ; quand l’allusion est comprise, quand les leçons ont porté, l’événement surnaturel apparaît au sujet avec toute sa signification et tout son relief”. (conférence à Louvain, 1927). Claudel en fera également part à quelques correspondants, Gabriel Frizeau (1904), ou Louis Gillet (1941) notamment, ainsi que dans des poèmes tels que la troisième des Cinq grandes odes, ou le bien nommé 25 décembre 1886, écrit en cette terrible année 1942 et qui contient ces vers libres, mais non dispersés :

“Rien à faire contre cette éruption comme le monde au fond de mes entrailles de la foi !

Rien à faire contre cette voix avant que le monde fut qui me dit : tu es à Moi !

Rien à faire contre l’impétuosité, comme quelqu’un du haut en bas qui se fend, de la bête qui dit : “Je crois !””


Alfred Döblin
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