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Manger de l’agneau à Pâques, est-ce vraiment un rite ?

Agneau

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Emanuele D'Onofrio - aleteia - publié le 20/04/14
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Aux origines de ce fameux rite pascal, réalité et symbole s'entremêlent dans une certaine ambiguïté. Décryptage.

Pour les défenseurs des animaux, c’est certainement un combat important : chaque année, 3,5 millions d'’agneaux sont abattus juste avant Pâques, rien qu'en Italie. Les biblistes et les théologiens, quant à eux, se penchent sur les textes sacrés, de l’Ancien et du Nouveau Testament. Même Benoit XVI, lors de l’homélie du Jeudi Saint en 2005, avait souligné que Jésus lui-même n’avait probablement pas mangé d’agneau durant la célébration de la Pâques avec ses disciples, mettant ainsi en doute la tradition religieuse juive.

Cette tradition, avait alors ajouté Benoit XVI s’est certainement installée afin de substituer l’Agneau comme symbole de l’incarnation de Dieu. Mais Moïse lui-même, selon les textes de l’Exode, n’aurait jamais demandé à son peuple de manger d’agneau le jour de Pâques. C’est seulement plus tard, en rassemblant les coutumes des peuples semi-nomades et païens, que les juifs auraient commencé à consommer de l’agneau à Pâques.

Nous avons donc souhaité approfondir la question. Une question intéressante quant à la notion de tradition pascale, mais également pour redécouvrir quelques notions fondamentales à l’origine de notre foi. Pour cela, nous avons fait appel à un célèbre bibliste, Monseigneur Romano Penna, professeur émérite à l’Université Pontificale Lateranense...

Comment est née la tradition de manger de l’agneau le jour de Pâques ?

Monseigneur Penna : C’est une tradition qui vient de la religion juive. L’hypothèse que Jésus ait mangé une Pâques sans agneau se fonde sur le texte écrit, mais l’histoire va toujours au-delà des écritures. Alors, nous devrions nous rappeler que dans le quatrième Evangile, il n’y a même pas la célébration de la Pâques, de l’Eucharistie. Et pourtant, Paul, dans la Première Lettre aux Corinthiens parle de Jésus comme étant « notre Pâques ». Du point de vue juif, manger la Pâques signifie manger l’agneau. Dans l’Evangile de Luc on peut d’ailleurs lire que Jésus dit « J'ai tellement désiré manger cette Pâques avec vous avant de souffrir ». Dans les évangiles synoptiques, c’est une omission de parler du dernier repas sans l’agneau. Il n’est pas dit qu’il n’y avait pas l’agneau, l’on en tient simplement pas compte, car la narration est faite du point de vue de la pratique chrétienne : cette dernière fait en effet abstraction du sang de l’agneau, car la foi chrétienne est fondée sur la foi de Jésus Christ, et non pas sur la consommation d’ « un » agneau. Et Paul dit ainsi à ce sujet que « Le Christ, notre Pâques, a été immolé » (1 Corinthiens 5,7).

Qu’est-ce qui change entre la Pâques juive et la Pâques chrétienne ?

Mgr Penna : Du point de vue juif, le sang de l’agneau ne sauve pas des péchés. Au contraire, dans l’Exode chapitre 12, on peut lire que le sang est mis sur les poteaux et le linteau de la porte des maisons, afin d’épargner certaines maisons de l’ “ange exterminateur” qui venait tuer les nouveau-nés. Dans l’optique juive, la Pâques est une fête, pour ainsi dire, “politique”, car c’est la fête de la libération de l’esclavage, elle est politique et sociale avant tout. Ce n’est pas l’expiation des péchés, ça ne l’est absolument pas. Car cela est venu avec les sacrifices au Temple et lors du jour de Yom Kippour, où l’on sacrifiera une chèvre et non un agneau. Les textes sont complexes : du point de vue chrétien, Jésus a été représenté par l’agneau pascal.

De plus, dans le quatrième Evangile, Jean le Baptiste dit : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». C’est Jean le Baptiste qui le dit, sans aucune référence au Dernier Repas et il le dit par rapport à la fonction rédemptrice de Jésus. Mais dans la religion juive, une Pâques sans agneau est impensable. C’est la question du sang : souvenons-nous du livre de Lévitique qui interdit de boire le sang, car dans le sang il y a la vie, qui appartient à Dieu seul, et c’est pour cela que l’on ne peut ni le toucher ni le boire. L’agneau pascal est « immolé » mais nous devrions lire littéralement  « tué», dans le sens où l’on prend son sang. L’on ne mange que la chair en fait. Dans l’évangile de Jean, chapitre 6, après le discours sur le pain de la vie, Jésus dit : « Qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi enlui ». Une phrase qui engendra un scandale et beaucoup le laissèrent tomber. C’est pour cela que Jésus demande à ses disciples : « Vous voulez partir vous aussi ? » C’est un des points de différenciation entre le christianisme et le judaïsme.

Mais Moïse lui-même ne demande pas de manger l’agneau pascal ?

Mgr Penna : Dans le chapitre 23 de l’Exode, lorsque les fêtes principales du calendrier juif sont établies, il est très clair qu’elles sont connotées d’un point de vue agricole. La première est la fête des Azymes, durant laquelle se mangent le pain et l’azyme, c’est donc la Pâque célébrée sans l’agneau. La seconde est la fête des Prémices, la Pentecôte. Et la troisième est la fête des Tabernacles, qui serait préférable d’appeler la fête des Récoltes. Toutes les trois sont des expressions d’une culture agricole. Puis ces fêtes ont été accolées à des événements de l’Exode, des histoires prenant un caractère mythique, officiel, fondateur, de l’identité juive. Même la Pentecôte est établie par rapport à Pâques, car c’est le cinquantième jour, les sept semaines de la Pâques (7x7 font 49, plus 1) : c’est une fête pascale, car elle se rapporte à la fête des Azymes.

Donc Jésus a célébré la Pâques juive, et a mangé l’agneau lors du Dernier Repas ?

Mgr Penna : Dans les évangiles synoptiques, dans lesquelles le Dernier Repas est raconté, il n’y a pas de référence faite à l’agneau, mais il n’est pas non plus dit explicitement qu’il n’y en avait pas. On n’en parle tout simplement pas. Mais on n’en parle pas justement parce que la Pâques chrétienne avait déjà émergé de la Pâques juive. La Pâques chrétienne, rappelons le, ne célèbre pas la fuite en Egypte, comme le font nos frères juifs, mais célèbre la mort de Jésus Christ. C’est donc de son sang dont il s’agit : voici comment d’une notion politique, l’on passe alors à un aspect plus personnalisé, pour ne pas dire religieux, du Salut.

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