Carême 2025
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Semaine sainte ou Triduum pascal ? La différence ne saute pas aux yeux, pour qui considère que "les choses sérieuses" ne commencent que le Jeudi saint, que la lecture de la Passion du dimanche des Rameaux n’est qu’une préparation psychologique pour la suite et que seule la messe chrismale peut, éventuellement, donner un peu de densité à ces trois jours vides que seraient Lundi saint, Mardi saint et Mercredi saint. Ce ne sont plus les Rameaux, mais pas encore la Cène et la Croix ?
Entre deux couronnes
Et si c’était justement cet entre-deux qui donnait leur sens à ces trois jours en apparence sans enjeu, comme un premier triduum sans événement ? Un triduum minuscule, presque invisible. Un triduum caché.
Méditer l’écart entre l’entrée à Jérusalem et la Passion uniquement du point de vue de la versatilité humaine fait courir le risque de réduire les Évangiles à une leçon de psychologie, au mieux à un appel au courage dans l’adversité.
Ce lundi, ce mardi et ce mercredi offrent trois jours de méditation sur l’écart entre ce qui les précède et ce qui les suit : un triomphe et une mise à mort, que les deux Évangiles du dimanche des Rameaux juxtaposent assez brutalement. Trois jours sont-ils de trop pour sentir pleinement l’abîme que nos revirements et nos contradictions ouvrent dans notre relation à Dieu : applaudir et flageller, vénérer et humilier, battre des mains et cogner, porter aux nues et clouer en croix ? Diamants ou épines : face au Christ, consciemment ou non, l’homme oscille souvent entre deux couronnes.
Une différence divine
Mais méditer l’écart entre l’entrée à Jérusalem et la Passion uniquement du point de vue de la versatilité humaine fait courir le risque de réduire les Évangiles à une leçon de psychologie, au mieux à un appel au courage dans l’adversité. Le curé de Torcy de Bernanos suggère au contraire une différence plus divine entre le début et la fin de la Semaine sainte :
"Et tiens, justement, cet épisode de l’entrée triomphale à Jérusalem, je le trouve si beau ! Notre-Seigneur a daigné goûter au triomphe comme au reste, comme à la mort, il n’a rien refusé de nos joies, il n’a refusé que le péché. Mais sa mort, dame ! il l’a soignée, rien n’y manque. Au lieu que son triomphe, c’est un triomphe pour enfants, tu ne trouves pas ? Une image d’Épinal, avec le petit de l’ânesse, les rameaux verts, et les gens de la campagne qui battent des mains. Une gentille parodie, un peu ironique, des magnificences impériales."
C’est pourquoi le curé de Torcy devine dans la scène des Rameaux comme un attendrissement divin, devant les attentes un peu enfantines des hommes :
"Notre-Seigneur a l’air de sourire. — Notre Seigneur sourit souvent — il nous dit : "Ne prenez pas ces sortes de choses trop au sérieux, mais enfin il y a des triomphes légitimes, ça n’est pas défendu de triompher, quand Jeanne d’Arc rentrera dans Orléans sous les fleurs et les oriflammes, avec sa belle nuque de drap d’or, je ne veux pas qu’elle puisse croire mal faire. Puisque vous y tenez tant, mes pauvres enfants, je l’ai sanctifié, votre triomphe, je l’ai béni, comme j’ai béni le vin de vos vignes." "
Ensuite seulement vient la Passion, où l’adoration est soumise à une tout autre épreuve : l’agonie n’a rien de triomphal et le portement de croix n’a plus la moindre apparence impériale. Ce n’est plus le triomphe qu’il s’agit de sanctifier, mais, comme le note encore Bernanos dans un passage de La Joie qu’il reprend en exergue des Dialogues des carmélites, c’est la peur qu’il s’agit de racheter : "En un sens, voyez-vous, la Peur est tout de même la fille de Dieu, rachetée la nuit du Vendredi Saint. Elle n’est pas belle à voir — non ! — tantôt raillée, tantôt maudite, renoncée par tous… Et cependant, ne vous y trompez pas : elle est au chevet de chaque agonie, elle intercède pour l’homme."
Lundi, mardi, mercredi… Un premier triduum caché, entre exaltation et agonie, entre sanctification du triomphe et rachat de la peur, entre image d’Épinal et masque funéraire. Trois jours entre deux visages de l’enfance, en somme : l’enfant qui bat des mains plein de joie, et l’enfant que les angoisses nocturnes empêchent de trouver le sommeil. Tout cela, bien sûr, sans oublier d’attendre la Résurrection…