Le père Matthieu Dauchez s’occupe des enfants des rues et des bidonvilles de Manille depuis plus de 25 ans avec son association ANAK-TnK. Un engagement où résilience et espérance se côtoient étroitement sans pour autant se confondre. "On ne passe pas de l’un à l’autre. Mais je crois que l’on gagne en résilience en plongeant dans l’espérance", assure-t-il à Aleteia. Entretien.
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Depuis plus de 25 ans le père Matthieu Dauchez, arpente les rues de Manille, la capitale des Philippines, pour venir en aide aux enfants des rues et des bidonvilles avec son association ANAK-Tnk. Elle compte aujourd’hui 29 centres d’accueil et 12 écoles et accueils de jour dans les bidonvilles et a permis d’aider depuis sa création près de 60.000 enfants. Une mission difficile mais aussi pleine de joie de laquelle il apprend chaque jour un peu plus sur la résilience et l’Espérance, celle qui ne déçoit jamais. "Le risque est grand d’exalter la résilience quand elle n’est que le fruit de l’Espérance", assure à Aleteia le père Matthieu Dauchez qui a récemment publié un livre Osez l’Espérance, anti-manuel de résilience. "J’ai cette conviction intime qu’il existe une manière plus verticale de comprendre la résilience, plus spirituelle. Si l’espoir est un fruit possible de la résilience, cette dernière est un fruit, elle, de l’Espérance." Entretien.
Aleteia : On parle bien souvent d’entreprise résiliente, de société résiliente etc. Mais comment définiriez-vous la résilience au regard de votre mission au sein d’ANAK-Tnk ? Père Matthieu Dauchez : À vrai dire, la résilience m’agace ! On parle désormais de résilience individuelle, de résilience communautaire, de résilience économique, de résilience écologique etc. Le terme est décliné sans filtre et sans limites. Or un concept qui veut tout dire, on le sait, ne veut plus rien dire. Nouvelle notion très à la mode – ce qui n’est pas bon signe – la résilience est brandie inconsidérément pour exorciser le mal et la souffrance. J’ose même penser que ce principe moderne est apparu pour occulter l’Espérance, la cacher, voire l’inhumer. On a voulu tuer Dieu, on veut désormais enterrer l’Espérance ! La résilience, comprise comme capacité à rebondir après un traumatisme, se veut le remède miracle. Elle est donc désormais sur toutes les lèvres et George Orwell l’aurait probablement mis en bonne place dans le dictionnaire de sa Novlangue. Elle m’agace, donc. Mais je dois avouer qu’elle m’intrigue aussi car j’aimerais tant pouvoir offrir aux enfants des rues de Manille ces outils pour "rebondir et reprendre leur développement après le traumatisme". J'utilise ici la définition la plus classique et la plus simple de la résilience. Plus encore, j’aimerais que les enfants des rues soient de nouveau nos maîtres et que ce soient eux, les plus petits, qui nous apprennent à nous relever dans l’épreuve. Ne serait-ce pas justement, en redonnant à la résilience sa vraie place, simple fruit de l’espérance ?
La personne blessée doit se sentir protégée et aimée.
Avez-vous des exemples de "résilience" que vous souhaiteriez partager ? Stella est une petite fille qui venait de fêter ses quatre ans quand elle a été confiée à la fondation ANAK-Tnk par les autorités locales. Sa maman, mère célibataire, était en train de mourir de la tuberculose. La pauvre femme décédera le lendemain. La petite fille quant à elle, très amaigrie, s’est prostrée, enferrée dans le désespoir d’avoir perdu sa maman. Son visage ne laissait paraître qu’une tristesse insondable qui nous désarmait. Les semaines s’enchaînaient sans aucun signe de paix intérieure. Les crocs de la désespérance semblaient avoir définitivement agrippé un petit cœur qui ne voulait plus vivre. Pour qui vivre d’ailleurs ? C’était pourtant sans compter sur le dévouement des éducatrices de la fondation qui se sont relayées jour après jour auprès de Stella pour lui apporter tout le soin et l’affection dont elle avait besoin. Jusqu’au jour où, un matin, entrant dans le foyer, cette petite fille en souffrance m’a accueilli avec un sourire lumineux. J’en ai pleuré de joie. La vie avait vaincu !
Un enfant dans les rues de Manille.
Sur quoi se fonde-t-elle principalement ? La résilience a été très étudiée depuis 40 ans. Il existe des centaines de livres sur la question, et je dois dire que les différentes études sont intéressantes et proposent de belles stratégies. Le concept a été plutôt bien vulgarisé offrant, notamment, un certain nombre de "tuteurs de résilience" qui permettent de se remettre debout après un traumatisme. Il apparaît toutefois assez clairement que deux piliers sont absolument nécessaires : la sécurité et l’atmosphère aimante. La personne blessée doit se sentir protégée et aimée. Il est d’ailleurs frappant de constater qu’un enfant qui se blottit dans les bras de son papa ou de sa maman est un mouvement commun aux deux piliers : c’est le même geste pour celui qui vient chercher refuge ou pour celui qui a soif de tendresse.
Notre regard vient tordre le cou du déni qui est l’un des freins les plus terrible à la résilience.
Vous évoquez dans votre livre l’importance du regard. Poser un regard d’amour, changer son regard… Est-ce là selon vous une nécessité pour gagner en résilience ? Plus précisément notre regard vient tordre le cou du déni qui est l’un des freins les plus terribles à la résilience. Que ce soit pour la personne blessée ou son entourage, refuser de voir la blessure, c’est assurément la laisser s’infecter. Un jeune garçon de 11 ans, Paolo, victime du tourisme sexuel, a été recueilli par la fondation en juillet 2024. Il ne refusait pas d’aborder cette terrible épreuve mais balayait le sujet à chaque fois d’un revers de main, en haussant les épaules : "Ce n’est pas grave, c’est passé." Jusqu’au jour où je lui ai dit : "Paolo, il y a deux choses très importantes que je veux que tu saches. La première c’est que nous te protégerons, ici, dans la fondation et ça ne t’arrivera plus. La deuxième : tu nous dis que ce n’est pas grave, et bien saches que ce qui t’es arrivé est très grave pour nous, et nous allons nous battre pour t’aider." Paolo s’est jeté dans mes bras en versant de chaudes larmes et en répétant "Merci… merci". Paolo avait juste besoin d’entendre que nous comprenions sa détresse, que nous ouvrions les yeux sur la profondeur de sa souffrance. Le regard est assurément un instrument puissant de la résilience.
Quelle différence opérez-vous entre la résilience et l’espérance ? Le risque est grand d’exalter la résilience quand elle n’est que le fruit de l’Espérance. Toutes ces études dont j’ai parlé aboutissent à la même conclusion : au traumatisme il faut opposer des stratégies de résilience qui ouvrent la fenêtre de l’espoir. Conclusion à laquelle j’adhère, mais qui ne me satisfait pas. J’ai cette conviction intime qu’il existe une manière plus verticale de comprendre la résilience, plus spirituelle. Si l’espoir est un fruit possible de la résilience, cette dernière est un fruit, elle, de l’Espérance. Ce n’est donc pas la différence entre résilience et espérance qu’il faut faire, mais bien entre espérance et espoir : l’espoir est une attitude proprement humaine, quand l’espérance est une vertu théologale, c’est-à-dire centrée sur Dieu. L’espoir scrute l’horizon. L’espérance contemple le Ciel. L’espoir s’accroche à l’avenir, l’espérance embrasse l’éternité. L’espérance est une victoire de l’amour et se résume à la réponse que le Christ donne sur la Croix au scandale du mal : "J’ai soif". Ces quelques mots qui sont une magnifique déclaration d’amour sont le fondement de notre indéfectible espérance. L’amour a vaincu. Crux Ave spes unica !
On gagne en résilience en plongeant dans l’espérance.
La résilience apparaît comme un prérequis pour affronter les épreuves de la vie. Mais elle ne suffit pas pour guérir, avancez-vous. C’est là le rôle de l’espérance. Comment passer de l’un à l’autre ? On ne passe pas de l’un à l’autre. Mais je crois que l’on gagne en résilience en plongeant dans l’espérance. Il faut redonner son humble place à la résilience, fruit de l’espérance. Vous savez qu’au service des enfants des rues de Manille depuis près de 28 ans maintenant, nous sommes confrontés au pire scandale fait sur les plus innocents. La question du mal nous taraude inévitablement, elle nous révolte bien souvent, et pourtant ce sont les plus pauvres qui nous enseignent une fois de plus : la réponse au mal se trouve dans une victoire définitive de l’amour. La logique humaine veut répondre au mal par le mal, mais le Christ – et à sa suite les plus pauvres – nous montre un chemin bien plus radical, plus inflexible, invincible : répondre par l’amour. La joie, la compassion, le pardon sont autant de réponses que les enfants des rues offrent chaque jour. Ils nous recentrent sur l’essentiel : l’espérance est une exigence !
Faut-il éduquer à la résilience ou à l’espérance ? Nous connaissons bien l’étymologie latine du verbe, educare, qui signifie élever. Mais le verbe ancien signifie aussi "nourrir" ce qui me semble très significatif pour notre sujet. Lorsqu’à Noël, nous avons proposé à nos petits pensionnaires de confectionner des cartes de vœux, ils se sont précipités sur les crayons et se sont mis à l’œuvre sans délai. Les dessins, colorés et soignés, ont révélé des talents artistiques indéniables. Mais l’exercice s’est toutefois rapidement mué en une liste non exhaustive de cadeaux que tout enfant adorerait voir apparaître dans ses souliers, le soir du réveillon. Prévisible. Maïka, cependant, fillette de dix ans abandonnée par sa famille, a simplement pris un morceau de papier sur lequel elle a inscrit ces quelques mots : "Papa, maman, je vous aime." Maïka a soif, c’est tout. Une petite fille nous rappelle l’essentiel assurément. Il faut "éduquer" à l’espérance, sans aucun doute pour tourner notre regard vers le Ciel, et raviver notre soif.
Fixons la Croix, notre unique espérance.
Comment grandir en espérance ? L’espérance est une vertu théologale, c’est-à-dire centrée sur Dieu. C’est donc bien sûr à la source qu’il faut puiser. La prière est sans conteste le lieu le plus prodigieux pour que nos cœurs soient saisis par l’espérance. Nous nous battons chaque jour à la fondation ANAK-Tnk pour offrir un toit à des enfants abandonnés dans les rues de Manille. Pourtant seul le Bon Dieu peut panser les blessures de ces petits cœurs meurtris. Ce sont donc les temps réguliers d’adorations eucharistiques organisés dans les chapelles de la fondation qui les apaisent mystérieusement mais si efficacement. Ce sont dans ces Cœurs-à-cœurs que s’opèrent les miracles dont nous sommes les indignes témoins. Keith, enfant de la rue avec un handicap mental, me montre un jour le tableau du Cœur Sacré qui trône dans son centre. Jésus nous offre d’une main son cœur. Keith s’approche de moi et me dit : "Regarde la main de Jésus", je fixe naturellement ce Cœur qui a tant aimé les hommes. Mais Keith me dit : "Pas cette main, regarde l’autre, celle qui est tendue vers nous… tu vois, Jésus mendie… Il mendie notre amour." Quelle sagesse ! Fixons la Croix, notre unique espérance. Entendons-le "j’ai soif" du Christ et laissons jaillir le nôtre. Devenons les instruments de cette soif, dans un monde repu. Ravivons la flamme qui embrase. Entretenons-la, nourrissons-la et remettons nos cœurs en marche. "La charité du Christ nous presse" (2 Co 5, 14), les enfants de Manille nous pressent : soyons des passionnés du prochain !