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Jubilé des militaires : l’armée est le lieu “des questions les plus fondamentales de l’humanité”

FATHER ROMANET

Mgr Antoine de Romanet

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I.Media - publié le 07/02/25
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À Rome pour le Jubilé des forces armées du 7 au 9 février 2025, Mgr Antoine de Romanet, l'évêque du diocèse aux armées françaises, fait état des lieux de l'armée et dessine les contours de la mission d'un aumônier militaire. 

"On est militaire pour gagner la paix", affirme Mgr Antoine de Romanet, l'évêque du diocèse aux armées françaises, venu à Rome un groupe d'une cinquantaine de personnes, aumôniers, militaires et civils du diocèse aux armées dans le cadre du Jubilé des forces armées du 7 au 9 février 2025. À son poste depuis huit ans, Mgr Antoine de Romanet décrit l'armée comme "le lieu par excellence d’incandescence des questions les plus fondamentales de l’humanité". Il revient également sur le concept contesté de "guerre juste" et dessine les contours de la mission d'un aumônier militaire.

Pourquoi un jubilé des forces armées ? Que viennent chercher les militaires qui viennent à Rome passer la "Porte sainte" ?
Si le Jubilé est à l’évidence une magnifique opportunité pour tout baptisé d’avancer dans sa vie spirituelle, il est à plus forte raison pour un militaire, compte tenu de l’engagement de toute sa personne dans les missions qui lui sont confiées. On est militaire pour gagner la paix. La paix est un combat, la paix est un rapport de force, c’est un fondement. Ce sont les premiers mots de l'évêque au début d’une célébration liturgique : "La paix soit avec vous". C’est le premier mot que Jésus ressuscité prononce : "Je vous donne ma paix". Il n’y a pas de justice sans paix et pas de paix sans justice. L’un ne va pas sans l’autre, c’est une double dimension intrinsèquement liée.

Le militaire a comme caractéristique hors du commun de recevoir de la puissance publique la capacité de tuer sur ordre. Il engage aussi sa propre vie, et se posent à lui nécessairement des questions de sens et de transcendance. Qu’est-ce qui motive cet engagement, qu’est-ce qui justifie que je prenne la vie d’un autre, qu’est-ce qui justifie que je donne ma vie ? Si la mort, pour la plupart de nos contemporains, c’est pour les autres et c’est pour plus tard, pour un militaire c’est ici et maintenant. Aussi la dimension religieuse vient de manière assez naturelle et spontanée dans l’exercice de leurs responsabilités. L’armée est le lieu par excellence d’incandescence des questions les plus fondamentales de l’humanité.

Comment les militaires chrétiens concilient-ils l’appel à la fraternité universelle contenu dans l’Évangile et souvent rappelé par le pape François, et le fait d’être amené à donner la mort ?
Les personnes les mieux traitées dans l’Évangile sont les militaires : Jésus opère un miracle pour l’un d’eux, et un autre reconnaît la divinité du Christ. Jésus a des paroles très positives pour les militaires. Il faut bien comprendre le grand commandement : "Tu ne commettras pas de meurtre". Cela n’a rien à voir avec l’acte de défendre les plus pauvres et les plus petits. En l’occurrence, dans un acte de guerre, il ne s’agit pas d’un meurtre. Il s’agit de neutraliser celui qui risque de prendre ma vie, d’attenter aux valeurs qui me sont le plus fondamentales et à ceux qui me sont le plus proches. D’une certaine manière, le chrétien ayant une profondeur de compréhension de son existence à la mesure de l’éternité que lui offre la révélation du Christ, est d’autant plus à même de pouvoir mener sa mission.

Il n’y a pas de justice sans paix et pas de paix sans justice. L’un ne va pas sans l’autre, c’est une double dimension intrinsèquement liée.

Quelle est la mission d’un aumônier militaire auprès des soldats ?
L’aumônier militaire a trois missions : une mission cultuelle, qui est de pouvoir apporter le culte à tous les militaires, en tous lieux et en tout temps, au milieu du désert comme au milieu des océans ; le soutien moral et spirituel en accueillant, écoutant avec bienveillance, conseillant, accompagnant tous les hommes qui le souhaitent, quelles que soient leurs convictions religieuses ; enfin, le conseil au commandement. Il s’agit de faire remonter au commandant du bateau, aux chefs de corps, les signaux faibles, les éléments d’incompréhension, les points d’attention, le moral des troupes.

L’aumônier a cette caractéristique unique d’avoir "le grade miroir", c’est-à-dire que quand il est avec un caporal-chef il est caporal-chef, quand il est avec un capitaine il est capitaine et quand il est avec un général il est général. Cela facilite les choses. Le grade miroir permet d’être de plain-pied avec tout le monde et donc permet avec simplicité, en restant à sa place, de faire des remontées directes. Il apporte aussi des éléments sur la réalité religieuse de l’endroit où il se trouve. Comprendre les convictions fondamentales de celui qui me fait face participe de manière décisive à la compréhension du terrain, de la tactique et de la stratégie. Il est évident que je ne me bats pas de la même manière en fonction des convictions qui sont les miennes ou de l’absence de convictions qui sont les miennes. L’aumônier est là aussi pour éclairer le commandement sur ce sujet.

Par exemple ?
Lorsque je suis arrivé en 2017, le Saint-Siège venait de ratifier le Traité d’interdiction des armements nucléaires, le TIAN ou Ban Treaty, et immédiatement l’armée française m’a interrogé à ce sujet. J’ai apporté au commandement des éléments de compréhension des propos du Saint-Siège, et au Saint-Siège des éléments sur la façon dont la France pouvait concevoir la dissuasion nucléaire.

La situation de l’aumônerie militaire en France est remarquable. L’évêque aux armées françaises nommé par le pape a un statut d’aumônier militaire. Je suis donc un officier sous contrat, je suis en uniforme - différent selon les corps que j'accompagne - et partie intégrante de l’armée. Mes confrères américains, anglais ou canadiens, ne sont pas militaires.

Le Pape rappelle presque chaque dimanche que la guerre est toujours une défaite. Dans son encyclique Fratelli tutti, il a remis en cause le principe de la guerre juste. Comment les militaires catholiques reçoivent-ils l’enseignement du pape ?
Le Pape a une parole prophétique : la guerre est toujours un désastre. D'ailleurs les militaires détestent la guerre. Le pape souligne avec raison la folie humaine qui souvent s’y déploie.

Sur l’aspect de guerre juste, c’est un problème de signification des mots. La tradition de ce concept remonte aux philosophes grecs, à saint Thomas d’Aquin, saint Augustin, elle est ancrée par des siècles de recherche théologique. Elle établit un certain nombre de critères intéressants. Est-ce que l’autorité est légitime, est-ce que la cause est juste, est-ce que les moyens sont proportionnés ? Cela aide à réfléchir. Le drame, c’est que cela peut aussi conduire à se donner un peu rapidement bonne conscience. Se dire qu’il y a des guerres justes et que naturellement je suis du bon côté, me renforce dans mon appétence pour la faire. D’une certaine manière, les critères de la guerre dite "juste" sont remarquables pour me faire réfléchir et m’empêcher de faire la guerre. Ces critères sont redoutables s’ils m’incitent à faire la guerre. Le pape insiste avec raison sur le fait que parler d'une guerre juste me donne une sorte d’absolution préventive personnelle qui est parfois de nature à obscurcir les choses, ou à manipuler l’opinion publique. L’expression étant ambiguë, il convient d’y prendre garde.

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