Saint Thomas d’Aquin, ce grand théologien du XIIIe siècle et docteur de l’Église, peut-il encore parler du bonheur à nos contemporains ? De toute évidence, ses puissantes réflexions n’ont pas pris une ride. Il y a 800 ans, les hommes se posaient déjà ces questions : qu’est-ce que le bonheur ? Est-il le même pour tous ? Peut-on vraiment être heureux ? Et si oui, comment ? Autant de questions auxquelles saint Thomas a apporté de lumineuses réponses au tout début de la Secunda Pars de sa Somme de théologie. Isolde Cambournac, docteur en théologie spécialiste de l’Aquinate et auteur du récent ouvrage Heureux comme Dieu ! (Desclée de Brouwer), retranscrit avec limpidité et concision la vision du bonheur selon saint Thomas d'Aquin.
Aleteia : En dépit des guerres, de la souffrance, de la maladie, des échecs personnels… tout le monde peut-il être heureux ?
Isolde Cambournac : On veut tous être heureux. On ne peut pas ne pas vouloir être heureux. En revanche, on ne met pas tous la même chose derrière l’idée de bonheur, certains y mettent la réussite, l’argent, d’autres la famille etc. Saint Thomas nous dit que le bonheur se trouve dans le bien le plus grand qui est Dieu. Si Dieu demeure la source de notre bonheur, alors on peut être heureux dans toutes les situations. En revanche, si on met le bonheur dans la santé du corps par exemple, on perd son bonheur à la première maladie. À chacun de chercher le bien le plus grand qui pourra le combler.
On peut saisir Dieu en le contemplant. C’est ça le bonheur. Le bonheur, c’est contempler Dieu, c’est voir Dieu.
Pour saint Thomas, qu’est-ce que le bonheur ?
Pour lui, le bonheur, c’est d’être en possession du bien le plus grand. Et le bien le plus grand, pour le croyant, c’est Dieu. On ne peut pas atteindre un bien meilleur que Dieu. Comment saisit-on Dieu ? Comment le possède-t-on ? Saint Thomas répond : par notre intellect. On peut saisir Dieu en le contemplant. C’est ça le bonheur. Le bonheur, c’est contempler Dieu, c’est voir Dieu. Cela implique plusieurs choses : le bonheur n’est pas un état passif, c’est un acte, l’acte de voir Dieu.
Comment voir Dieu dans sa vie quotidienne ? Cela paraît inaccessible !
On peut tout à fait saisir quelque chose de Dieu dans cette vie. On peut goûter un peu de la bonté de Dieu à travers les créatures. Dieu se donne à connaître, comme dit saint Thomas, à travers le miroir des créatures : le créateur laisse toujours une empreinte dans ses créatures, alors en contemplant les créatures, on peut remonter jusqu’à Dieu. Il y a aussi une contemplation de Dieu par la prière. La prière dispose à contempler Dieu. La prière est une école de désir. Elle nous enseigne le désir de Dieu : "Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite", récitent les croyants dans la prière du Notre-Père. Par la prière, notre cœur désire ce qui va nous rendre profondément heureux.
Et si on se trompe de bien, est-on condamné à être malheureux ?
Il arrive qu’on cherche le bonheur ultime là où il n’est pas. On va chercher le bonheur dans des biens tels que la famille, la réussite, la santé… Il s’agit de biens certes, mais de biens limités. Ils ne suffisent pas à nous rendre heureux. Ils contribuent certainement à notre bonheur, mais ils ne constituent pas le bonheur ultime. Dans ces cas-là, on fait souvent l’expérience d’une déception : on désire quelque chose que l’on considère comme notre bonheur, et puis on se rend compte que cela ne suffit pas à nous combler dans la durée. Un exemple : prenez un feu de cheminée. Il nous réchauffe dans un premier temps, mais quelques minutes après, nous avons trop chaud. Le bonheur auquel on aspire, c’est d’être en présence d’un bien qui nous comble totalement dans la durée et qui ne s’accompagne d’aucune contrainte. Seul Dieu peut nous combler de cette manière-là ! À travers nos déceptions, notre désir va chercher plus haut et notre foi nous donne la chance de voir déjà le bien ultime qui sera capable de nous combler.
Ce bien ultime, que saint Thomas appelle la béatitude parfaite, est-il accessible ici-bas ?
La béatitude parfaite n’est pas encore accessible ici. En revanche, saint Thomas dit qu’on peut atteindre une béatitude imparfaite, on peut déjà goûter quelque chose de la bonté de Dieu. On peut aussi trouver du bonheur dans toutes les petites choses qui font nos joies quotidiennes. Mais la béatitude parfaite ne pourra être atteinte qu’après cette vie, quand nous verrons Dieu face à face.
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