La puissance inattendue du nombre 40

Sans être adepte d’ésotérisme numérologique, la tradition chrétienne attache aux nombres un certain symbolisme qui n’a d’intérêt que s’il sert le mystère de la foi. Le trois est divin et trinitaire, le quatre terrestre et humain, le sept est signe de plénitude, le douze évoque les Tribus d’Israël puis les Apôtres… Qu'en est-il du chiffre quarante, si présent dans les Écritures – il apparaît plus de 90 fois – et dans la liturgie de l’Église ?

Dans chacun des évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc), le nombre 40 n’est présent qu’une seule fois : pour mentionner les jours que Jésus passe au désert. Et durant lesquels il est mis à l’épreuve par le diable tentant d’attiser sa faim, son désir de pouvoir humain et de puissance divine. Repris dans la liturgie, ces 40 sont ceux du Carême, période d’ascèse et de combat spirituel pour participer d’un cœur renouvelé au Mystère pascal, victoire définitive du Christ sur la mort et le péché. Mais les 40 du Fils de Dieu dans la région aride de Judée sont aussi un rappel de nombreuses références vétérotestamentaires. Dès le mercredi des Cendres, le ton est donné avec l’avertissement de Jonas à la grande ville païenne de Mésopotamie : "Encore 40 jours, et Ninive sera détruite !" (Jon 3, 4)

Dès la Genèse, au chapitre 7, le Déluge s’abat sur la terre, et Dieu dit : "je vais faire tomber la pluie sur la terre, pendant quarante jours et quarante nuits ; j’effacerai de la surface du sol tous les êtres que j’ai faits" (Gn 7, 4) Épreuve, et purification. Mais également maturité, puisque c’est à quarante ans qu’Isaac et Ésaü se marient (cf. Gn 25, 20 et 26, 34) et c’est pendant quarante ans que David règne à Jérusalem (Rs 2, 11). Il y a dans ces différents aspects l’idée de génération ou de régénération : quarante ans entre les pères et les fils, quarante jours entre l’ancienne terre et la terre nouvelle où Dieu conclut une alliance avec Noé, signifiée par l’arc-en-ciel.

Quarante est surtout le grand nombre de l’Exode et de la marche des Hébreux entre la terre d’Égypte, terre d’esclavage, et la terre promise, ruisselante de lait et de miel. L’errance dure quarante ans, durant lesquels "leur génération m’a déçu" (Ps 94, 10) dit Dieu à travers la parole du psalmiste. Moïse, qui a passé quarante jours sur le mont Sinaï pour le don de la Loi (Ex 24,18), et ses pairs mourront sans pénétrer dans le pays de Canaan, ouvert à leurs fils et exploré pendant quarante jours par des émissaires (Ex 13, 25). "Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ?" Ainsi le livre du Deutéronome résume-t-il la signification de cette longue marche, qui vérifie la qualité de la foi des Hébreux.

Après les quarante jours du Carême, quarante jours séparent Pâques de l’Ascension, temps nécessaire pour que le Christ fasse éclater sa résurrection aux yeux des disciples, temps de transmission : "C’est à eux [les disciples] qu’il s’est présenté vivant après sa Passion ; il leur en a donné bien des preuves, puisque, pendant quarante jours, il leur est apparu et leur a parlé du royaume de Dieu". (Ac 1, 3) Désormais, s’ouvre pour tout chrétien le temps de la foi, encouragé par les paroles du premier des Apôtres, saint Pierre : "Aussi vous exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ; elles vérifieront la valeur de votre foi qui a bien plus de prix que l’or – cet or voué à disparaître et pourtant vérifié par le feu –, afin que votre foi reçoive louange, gloire et honneur quand se révélera Jésus Christ". (1P 1, 6-7)