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Noël, de l’attendrissement à l’émerveillement

Un ange de la crèche de Notre-Dame de Paris.

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Jean Duchesne - publié le 25/12/24
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La Nativité est aujourd’hui taboue, mais le 25 décembre reste bien plus qu’une fête païenne. Même en temps d’incroyance, observe l’essayiste Jean Duchesne, Noël demeure le signe d’une aspiration commune à la bonté et à l’harmonie avec ses proches, qui invite à l’émerveillement.

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On s’entend un peu partout ces temps-ci souhaiter "Bonnes fêtes !". C’est bien intentionné et fort aimable. Sauf qu’on peut se demander ce que tous ces braves gens supposent que l’on va célébrer. C’est même une question qu’on n’ose pas leur poser, parce qu’il est probable qu’ils n’y répondraient pas. Ils ne savent pas — ou plutôt, ils ne veulent pas savoir, ou en tout cas ils s’appliquent à ne pas dire ce qui motive les festivités généralement privées que tout le monde prépare. C’est comme si Noël — sans parler de la Nativité du Seigneur : trop explicite ! — était un gros mot qu’il serait indécent, voire dangereux de prononcer. On peut blasphémer à l’envi, mais pas proférer à tout vent l’obscénité que Dieu existe et a même un Fils né dans une étable.

Noël tabou

En grattant un peu le vernis déjà craquelé des convenances et phobies de l’heure, on voit assez vite que cette pudibonderie vise à ne pas risquer d’offusquer celles et ceux pour qui Noël est une fête religieuse et même chrétienne : dans une ère de sécularisation et de déchristianisation, pas question d’imposer à ceux, de plus en plus nombreux, qui ne reconnaissent pas en Jésus de Nazareth le Messie d’Israël de se réjouir à la date réputée dans la tradition être celle de sa naissance. C’est un triomphe de la laïcité, entendue comme non pas l’autonomie — introduite par la foi : "Rendez à César…" (Mc 12, 17) — du temporel par rapport au spirituel, mais le refoulement systématique du confessionnel hors de l’espace public.

Pas question donc de crèche devant une mairie ou sur une place. Les édiles qui en installent pour maintenir des coutumes ancestrales sont poursuivis devant les tribunaux et condamnés. Les sapins décorés gardent droit de cité, puisqu’il n’en est pas mentionné dans les Évangiles. Subsistent aussi, dans les rues et les vitrines, les guirlandes lumineuses, le houx et même parfois le Père Noël (en excluant que les petits enfants puissent encore y croire), comme signes neutres qu’il est temps de s’esbaudir et d’échanger des cadeaux rien que parce que c’est prévu comme ça sur le calendrier sans qu’il soit permis de rappeler explicitement pourquoi.

Foi chrétienne et religiosité naturelle

Historiens, sociologues et anthropologues expliquent que toute civilisation institue des célébrations marquant la succession des saisons, y compris bien sûr au moment où les jours sont les plus courts mais vont commencer à rallonger. Il s’agit alors de ranimer l’espérance ou simplement la confiance en la nature. On a soupçonné l’Église d’avoir fixé la naissance du Christ fin décembre afin de remplacer des fêtes païennes du solstice d’hiver (les fameuses saturnales). Mais il apparaît qu’afin de résister à ces délires collectifs, les premiers chrétiens se sont assez tôt mis à commémorer la Nativité à cette époque-là de l’année, avant que soit décrétée tardivement (en l’an 274) une solennité du "Soleil invaincu" le 25 décembre, dans le but (mais ce fut en vain) d’enrayer les progrès du christianisme en le concurrençant.

Quoi qu’il en soit, la foi n’a jamais craint de tirer parti de la religiosité spontanée, sans la cautionner mais en admettant le besoin que gardent les créatures de leur Créateur, même si elles ne font que le pressentir. Comme l’a dit saint Thomas d’Aquin, "la grâce ne supprime pas la nature, mais la perfectionne" (Somme théologique, I, 1, 8, ad 2). En l’occurrence, Noël n’a pas aboli la joie de l’annonce que l’ensoleillement quotidien qui diminuait allait désormais augmenter, mais a fait de ce basculement le symbole, la commémoration et jusqu’à l’actualisation annuelle d’un événement unique, historique, qui a changé le monde et dont les effets se prolongent jusqu’à la fin des temps.

Le Tout-Puissant, l’inverse de ce qu’on imagine

Cette nouvelle est tellement énorme qu’on n’a jamais assez de recul pour en percevoir tous les retentissements. C’est que Dieu, qui est si grand que ni la terre, ni même le ciel (c’est-à-dire l’univers) ne peuvent le contenir, lui qui est l’auteur (si l’on peut dire) de tout ce qui existe, lui que nul ne peut connaître (puisque cela revient à comprendre et savoir utiliser quelque chose ou quelqu’un auquel on est sinon supérieur, au moins égal) — lui donc a choisi de se montrer, de se rendre proche, de ne pas nous laisser patauger au milieu de biens qui finissent toujours par nous échapper et d’épreuves que nous n’avons pas toutes méritées. Il s’est fait l’un de nous et a partagé notre sort pour nous permettre de lui être unis non seulement par ressemblance, mais encore par régénération, en recevant sa liberté de se donner totalement sans rien perdre.

Le plus ahurissant, dans l’affaire, est qu’en se découvrant, s’offrant, s’abandonnant, se déclassant, le Tout-Puissant manifeste sa déconcertante et d’autant plus irréfutable splendeur. Il prend non pas l’apparence mais la réalité charnelle, à la fois banale et fragile, d’un bébé né d’une femme qui n’avait pas de chambre cette nuit-là. On n’a saisi qu’après qu’elle était vierge, qu’elle-même avait été conçue hors de la séparation d’avec Dieu où l’humanité s’était par mégarde fourvoyée (Immaculée Conception, fête du 8 décembre), et qu’elle n’était pas morte mais avait été élevée au ciel au terme de sa vie terrestre (Assomption, célébrée le 15 août).

Attendrissement pour survivre dans un monde dur

Que Dieu se soit fait aussi petit et dépendant qu’un nourrisson demeure si contre-intuitif que c’est aisément occultable. Mais il en reste deux traces qui s’avèrent indélébiles jusqu’en temps d’incroyance obtuse et qu’on ne retrouve pas dans les fêtes analogues d’autres religions. La première est l’affichage pour la circonstance d’un certain idéalisme : générosité, convivialité, paix ou du moins suspension des hostilités… D’où bombances (à l’origine post-liturgiques : le réveillon) et cadeaux, sans trop s’inquiéter des lendemains. La seconde est que ces festivités sont domestiques et se déroulent en famille, souvent à un niveau intergénérationnel, avec des privilèges pour les plus jeunes et pour les autres quelque nostalgie de leur propre innocence.

C’est ce que le XIXe siècle, où s’est épanouie la "modernité", a retenu de la fête de la Nativité alors que s’effilochait la "chrétienté". On ne saurait sous-estimer, à cet égard, l’influence qu’a eu le roman de Charles Dickens, Un Conte de Noël (1843). On censure à présent le mot, mais son sens s’était déjà considérablement affadi, pour ne guère conserver que le prétexte bienvenu à un certain attendrissement dans un environnement ressenti comme dur, compétitif, condamnant à l’égoïsme, dominé par des prédateurs et en perpétuelle détérioration.

Ce qu’ajoute la Nativité à la fête saisonnière

Qu’on en ait conscience ou non, ce n’est pourtant pas un phénomène purement naturel. C’est fort différent des "fêtes des fous" et autres carnavals médiévaux qui répondaient (en dehors de Noël) au même besoin de débridement que les antiques saturnales. Ce que manifeste le folklore façonné à partir de traditions immémoriales avec les pauvres moyens de l’hiver, ce n’est pas une fascination de l’anarchie. Ce sont au contraire des aspirations à la bonté et à l’harmonie d’abord avec les proches, dans l’attente de renouveaux printaniers encore imperceptibles.

C’est la "valeur ajoutée" par cette naissance en Judée "du temps de l’empereur Auguste" (Lc 2, 1). La scène est touchante, mais l’impact qu’elle a eu invite à bien plus que de l’attendrissement : de l’émerveillement, car c’est Dieu en personne qui se livre là concrètement et n’abandonne pas le monde, en prenant absolument au dépourvu. Pour entrevoir l’ampleur de ce prodige totalement imprévisible et sa portée ineffaçable, il suffit d’aller à la messe : l’hostie consacrée qu’élève le prêtre rend réellement présent sous cette apparence l’enfant même que sa Mère coucha dans une mangeoire tandis que les anges louaient Dieu (Lc 2, 7-18).

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