Deux façons de représenter Marie ont traversé l’histoire de l’art, chacune reflétant une mariologie différente. Au début, Marie était allongée. C’est ainsi qu’elle apparaît dans les icônes de la tradition orthodoxe. En Occident, les artistes des premiers siècles du Moyen Âge adoptèrent aussi cette convention : sur le fragment de la Nativité du jubé de la cathédrale de Chartres, Marie repose sur un lit ; on retrouve cette même posture dans les ivoires médiévaux de l’époque gothique.
Puis, à partir du XIVe siècle, une évolution notable survient. Marie quitte son lit pour être figurée agenouillée, les mains jointes, dans une attitude d’adoration. Comme l’a bien observé Giulia Puma dans sa thèse consacrée à l’iconographie de la Nativité, cette posture adorante devient si centrale qu’elle finit par s’imposer. Les peintures de la Nativité se transforment alors en "Adorations des bergers" ou en "Vierge Marie adorant l’Enfant Jésus".
Deux images, deux messages
Mais alors, quelle est la différence entre une Marie allongée et une Marie agenouillée ? Dans un cas, Marie est une femme épuisée qui se repose après l’accouchement ; dans l’autre, elle est une Vierge en prière, offrant au fidèle un modèle de recueillement. Ces deux représentations nous parlent de l’Incarnation, mais avec des nuances subtiles. Une Marie allongée attire notre attention sur la naissance : Dieu est un enfant. Une Marie agenouillée met en lumière le caractère divin de cet enfant : cet enfant est Dieu.
L’une proclame que Dieu s’est fait homme en naissant comme un simple bébé ; l’autre invite à reconnaître que cet enfant que nous contemplons est notre Seigneur. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Dans la première posture, Marie partage notre humanité : elle est celle par qui Dieu a pris chair. Dans la seconde, elle partage notre amour de Dieu : elle devient le modèle d’intercession et de prière que nous sommes appelés à imiter.
De l’art savant à la piété populaire
Cette évolution des postures de Marie se reflète dans l’histoire de l’art. Mais le corpus des représentations de la Nativité demeure limité, principalement concentré entre le XVe et le XVIIIe siècle. Après cette période, c’est la crèche populaire qui prend le relais des grandes œuvres savantes. La crèche, on le sait, est un motif cher au pape François. Il a choisi pour nom celui de l’homme de la crèche, saint François d’Assise. Sous son impulsion, la place Saint-Pierre accueille chaque année une exposition dédiée aux crèches du monde entier. En 2019, il a signé Admirabile Signum, une lettre apostolique sur la signification et la valeur de la crèche, dans laquelle il rappelle que "François ne veut pas réaliser une belle œuvre d’art, mais susciter, à travers la crèche, l’émerveillement devant l’extrême humilité du Seigneur".
Cet émerveillement est au cœur des crèches que nous disposons dans nos maisons. Elles sont moins des œuvres d’art que des créations artisanales, issues de la piété populaire. Et pourtant, leur inspiration puise dans les œuvres d’art des siècles précédents. Sous l’influence des visions de sainte Brigitte de Suède, c’est souvent Marie agenouillée qui a dominé. Aujourd’hui encore, la plupart des santonniers représentent Marie dans cette posture d’adoration. À ce propos, le pape François commente : "Marie est une mère qui contemple son enfant et le montre à ceux qui viennent le voir. Ce santon nous fait penser au grand mystère qui a impliqué cette jeune fille quand Dieu a frappé à la porte de son cœur immaculé." Cette méditation du pape fait écho à l’histoire de l’art : la posture de Marie agenouillée dans les Nativités rappelle celle des Annonciations. D’abord agenouillée devant l’ange, Marie dit "oui" à Dieu. Puis, agenouillée devant son enfant, elle contemple le fruit de ce "oui".
Deux pédagogies pour grandir dans la foi
Depuis quelques années, des santonniers réintroduisent la figure de Marie allongée. Les Sœurs du Monastère de Bethléem de Mougères la proposent dans leurs créations, tout comme le santonnier marseillais Arterra. Après plusieurs siècles d’absence, cette posture retrouve sa place dans la tradition. Ces variations ne sont pas futiles. La crèche est une tradition vivante. Elle est l’occasion de contempler, avec émerveillement, le mystère de l’Incarnation. Comme le rappelle le pape : "Si devant les mystères, je n’arrive pas à cet émerveillement, ma foi n’est que superficielle ; une foi “informatique”" (Audience générale, 20 décembre 2023).
Face à la crèche, nous avons le choix de nos santons, et donc de nos maîtres spirituels. Marie allongée ou agenouillée, chacune nous offre une pédagogie unique pour mieux aimer son fils. Contemplons-la, apprenons d’elle, et faisons grandir notre foi à l’école de la crèche.
![Le bœuf et l’âne, à contempler aussi !](https://wp.fr.aleteia.org/wp-content/uploads/sites/6/2021/12/BOEUF-ET-ÂNE-IT328607A.jpg?resize=300,150&q=75)