Beaucoup se sont récriés devant l’image de l’Église que donnait le film Conclave sorti récemment en salle. Le thriller psychologique est d’une atmosphère pesante, parfois étouffante. Les comédiens sont bons. Le regard posé est sans concession. Forcément caricatural (mais comment ne pas l’être au cinéma lorsque l’on cherche à décrire une réalité aussi riche et multiple ?), il n’en est pas pour autant dénué de vérités.
Quand l’Église n’est plus elle-même
Un point frappe : les décors. Reconstitués, la Sixtine et les jardins du Vatican ainsi que les salons et arrière-salles ne sont évidemment pas ceux, réels, où évoluent les protagonistes de l’élection du successeur de Pierre. Mais ce qui frappe, c’est la manière dont tous ces lieux aussi colorés et dorés fussent-ils, deviennent gris et froids lorsque ceux qui y déambulent semblent à la recherche de leur âme, pour ne pas dire de leur foi. Il ne faut pas voir ce film si l’on veut se détendre, encore moins pour y suivre une chronique précise et véridique du déroulement de la plus secrète des élections. Il faut voir ce film pour comprendre ce qu’est l’Église quand elle devient le palais du pouvoir et le temple du culte de soi.
La crèche qui interroge
Certains jugeront faciles d’y opposer le spectacle de la crèche que nous contemplons en ces jours saints. Rien de moins vrai : avant toute autre chose, la mangeoire où repose l’enfant-roi accomplit l’exultation de la Vierge Mère : "Il renverse les puissants de leurs trônes, Il élève les humbles." Le Verbe s’est fait chair pour que notre chair se fasse verbe.
Lorsque les baptisés annoncent l’Évangile à la manière d’une campagne de marketing, ils mènent les hommes vers eux. Lorsqu’ils accueillent la Parole et acceptent qu’elle transforme leurs regards et transfigure leurs vies, ils donnent au Seigneur de se frayer en eux un chemin vers autrui. Dans l’effusion d’Assise et des fioretti de cet "autre Christ" comme on appelait François, la crèche nous est donnée non pour nous distraire mais pour nous interroger. Comment usons-nous de l’héritage spirituel et matériel dont nous sommes les dépositaires ? Nos églises sont-elles les temples de nos liturgies où nous mettons en scène un dieu menaçant et redoutable, ou bien sont-elles des lieux où un peuple manifeste dans la foi, l’espérance et la charité, la présence de Celui qui vient à nous inconditionnellement ?
Centrée sur le plus petit
Rendre l’homme capable de Dieu est un horizon exaltant. Mais combien plus celui de permettre à Dieu de se manifester à l’homme. La crèche est là pour nous le rappeler. Qu’elle soit en bois d’olivier, nue, ou bien dotée de tout ce que l’imagination et le talent procurent en décors et santons, elle est centrée sur le plus petit. Celui dont l’absence se constate quel que soit l’apparat dont on l’entoure. Celui que l’on dépose, qui tient parfois dans la paume de la main et qui, par sa seule présence, donne sens à l’ensemble. C’est bien celui-ci vers lequel les enfants sages rapprochent le soir venu leurs petits moutons alors qu’il n’est pas, lui, déposé là où l’étoile attire les plus lointains. C’est lui que petits et grands, croyants de toutes sortes et même d’aucune, viendront regarder, scruter, ravis et émus, la mémoire pleine de mélodies d’antan où les hautbois et trompettes angéliques font communier le ciel et la terre.
La beauté de l’Église
Le drame que Conclave exploite et rapporte, c’est celui du cœur vide de Dieu que l’on cherche à masquer sous des atours qui deviennent déguisements de clowns tristes, tragédie d’une foi qu’on transforme en système religieux déshumanisant.
La beauté de l’Eglise, ce n’est pas dans les magouilles et les calculs, quand bien même on les justifierait par la nécessité ou un bien supérieur. Comme si le mal pouvait être nécessaire et utile. La beauté de l’Église c’est lorsque chacun, dans les lumières de la longue et douce nuit, peut s’émerveiller de ce que son histoire puisse devenir le lieu où le Sauveur du monde désire établir sa demeure.