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"Dans la piété populaire, puisqu’elle est fruit de l’Évangile inculturé, se trouve une force activement évangélisatrice que nous ne pouvons pas sous-estimer : ce serait comme méconnaître l’œuvre de l’Esprit saint" (Evangelii gaudium, 126). Dans la Joie de l’Evangile, lettre considérée à juste titre comme programmatique du pontificat du Pape actuel, François reprend un des thèmes qu’avait déjà développé le document d’Aparecida (2007), dont il avait été l’un des principaux rédacteurs, à savoir la prise au sérieux de la piété populaire comme lieu théologique et force missionnaire. C’est à une petite révolution que procède le pape argentin en redonnant à cette forme de piété ses lettres de noblesse. Et ce n’est donc pas pour rien qu’il a choisi de participer à un colloque sur cette question organisé à Ajaccio par son ami le cardinal François Bustillo.
Redonner sa dignité à la "piété populaire"
On revenait de loin. Le Mouvement liturgique, ce grand mouvement de travail théologique et pastoral sur la liturgie qui avait commencé en France avec Dom Guéranger et qui a tant inspiré Vatican II, tout à son désir légitime de faire de la liturgie le socle de la vie spirituelle du peuple chrétien, avait pu s’accompagner d’une forme de déconsidération de ces formes extra-liturgiques d’expression de la prière chrétienne. Le concile Vatican II a certes reconnu que "la vie spirituelle n’est pas enfermée dans la seule liturgie", mais aussitôt il invite l’Église à "régler ce qu’il appelle les pieux exercices sur le temps liturgique et à l’harmoniser avec la liturgie parce que, de par sa nature, elle leur est de loin supérieure" (Constitution Sacrosanctum Concilium, décembre 1963). C’est ce que fera en 2001 un long document du Saint-Siège, le Directoire sur la piété populaire et sur la liturgie.
En affirmant avec force que la piété populaire porte la trace de l’Esprit saint qui inscrit l’Évangile dans la culture du peuple, le Pape fonde théologiquement sa dignité et son importance, en particulier pour la mission. L’expression piété populaire porte d’ailleurs en creux la marque de cette dévalorisation. Le document d’Aparecida préfère d’ailleurs parler de spiritualité ou de mystique populaire probablement parce que souvent le beau mot de piété était associé à une forme dévalorisée, "pieusarde" de la religion. L’adjectif "populaire" est également ambigu : pas pour le Pape, porteur d’une théologie latino-américaine valorisant la dignité du peuple de Dieu, mais dans beaucoup de milieux où ce qui est populaire s’oppose à ce qui est savant, laissant entendre qu’il y aurait deux expressions de la foi, la liturgie pour l’élite et la piété pour le peuple !
Proximité culturelle et force missionnaire
Il est vrai que la piété populaire recouvre un ensemble de pratiques très diversifié, en constante évolution, doté d’une étonnante capacité à s’adapter aux différentes cultures. Il y a bien sûr les "grands" exercices du rosaire et du chemin de croix, mais aussi les innombrables neuvaines, la multitude des pèlerinages locaux ; il y a également le vaste domaine des bénédictions ainsi que celui des suffrages pour les défunts qui prend des formes très variées selon les cultures. Cet ensemble se rapproche de la liturgie en ce que dans les deux cas, il s’agit de prières et de pratiques publiques de l’Église mais il s’en distingue en ce que la liturgie est systématiquement réglée par des livres liturgiques approuvés par le Saint Siège. Mais attention ! quand le Pape dit que la piété populaire porte la trace de l’Esprit qui souffle dans le cœur du peuple chrétien, il ne faut pas entendre que l’Esprit ne soufflerait pas dans la liturgie, bien au contraire. Mais on sait que "l’Esprit souffle où il veut" (Jn 3, 8) et qu’il devance toujours les pratiques institutionnelles de l’Église, ceux d’entre nous qui accompagnent des catéchumènes le savent bien.
Le Pape insiste sur deux dimensions de la piété populaire qui portent la marque de la liberté de l’Esprit : sa proximité, par nature plus grande que la liturgie, avec la culture du peuple — qu’on pense par exemple aux pardons bretons ou aux confréries corses — et sa force missionnaire. Pour reprendre ces deux exemples, on constate en Corse un renouveau des confréries et en Bretagne les pardons résistent très bien à la sécularisation en attirant des personnes qui ont depuis longtemps cessé de participer à nos liturgies.
Un catholicisme qui respire à pleins poumons
Alors certes la vigilance et le discernement pastoral sont toujours de mise mais le Pape nous invite à changer notre regard, si souvent critique en Occident sur ces réalités populaires : "Pour comprendre cette réalité il faut s’en approcher avec le regard du Bon Pasteur, qui ne cherche pas à juger mais à aimer" (Evangelii Gaudium, 125). Aimer ne signifie pas tout approuver mais il faut d’abord aimer puis discerner dans ces pratiques ce qui est véritablement porteur d’Évangile et le cas échéant réguler en évangélisant ces pratiques. Un bel exemple nous est donné par la pastorale des sanctuaires de Lourdes qui a su dès les origines évangéliser les gestes et les symboles du rocher, de l’eau, de la lumière en les rapprochant de leur matrice biblique et de leur signification sacramentelle, en particulier baptismale.
Il s’agit surtout de cesser d’opposer liturgie et piété populaire. À l’heure où les mouvements d’inspiration pentecôtiste proposent des "célébrations" jouant fortement sur l’émotion, notamment dans le vaste domaine de la prière dite de guérison, peut-être aurions-nous intérêt de revisiter le trésor de nos pratiques catholiques de pèlerinage aux multiples sanctuaires qui parsèment notre pays, et rendre ainsi au catholicisme la capacité de respirer à pleins poumons. Pas avec d’un côté un poumon liturgique et de l’autre un poumon de la piété, mais à pleins poumons, ouverts à l’Unique Esprit, le même qui inspire la sainte Liturgie et sait se frayer un passage dans les multiples détours des cultures humaines. En ces matières, la présence dans nos communautés de frères et de sœurs venus d’Églises plus jeunes, d’Afrique, d’Inde ou des Antilles a beaucoup à nous apporter !
De Paris à Ajaccio
Pour sa réouverture, nous avons eu à Notre Dame une grande et très belle liturgie, magnifiquement célébrée avec toute la noble simplicité qui lui sied. Ce dimanche 15 décembre à Ajaccio le Pape ira à la rencontre d’autres formes de la prière du peuple chrétien, foisonnantes et vivantes comme le sont les multiples cultures qui façonnent notre chère Méditerranée. C’est cela aussi la grâce du catholicisme qui se nourrit autant de la grandeur d’une haute tradition liturgique que de la vitalité de pratiques chères au peuple de Dieu.