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Comment refuser la mise en spectacle de l’actualité ?

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Michel Cool - publié le 16/11/24
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Face à la théâtralisation excessive de l'information, qui nous rend agressifs les uns envers les autres, l’écrivain Michel Cool oppose la mystique du "dialogue des racines".

Une de mes amies et fidèles lectrices m'a interpellé l'autre jour : "J'apprécie tes écrits, mais tu devrais parfois leur donner plus de mordant, faire retentir plus souvent tes colères !" À ses yeux, mes articles étaient trop iréniques et pas assez rugissants. À vrai dire, sa critique ne m'a pas étonné. Car vivant comme elle dans une société où la polémique est permanente et où le débat fracassant est orchestré méthodiquement, je me suis souvent demandé comment une voix récusant par raison l'agression et la violence verbales pouvait avoir une chance de se frayer un passage et de susciter un écho, sinon un intérêt. Car il faut bien l'admettre : l'exagération et la provocation font plus autorité que la mesure et la réflexion dans un paysage médiatique subordonné aux procédés plutôt juteux de la spectacularisation à marche forcée de la vie du monde. On a beau opposer à ce phénomène la maxime célèbre de Talleyrand, "tout ce qui est exagéré est insignifiant", rien n'y fait : l'exagération continue d'étendre inexorablement son empire impitoyable hérissé de cris, d'invectives et de calomnies.

La théâtralisation de l'actualité

Cette dramatisation exacerbée des événements — on la voit en ce moment à l'œuvre sur des sujets aussi variés que la réélection de Donald Trump aux États-Unis, ou la présence du président Emmanuel Macron à la cérémonie de réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, ou encore l'usage de l'article 49-3 de la Constitution pour faire voter le budget 2025 — a pour effet de nous confiner, nous les usagers des médias, dans un rôle de spectateurs passablement passifs où sont sollicités, non seulement nos émotions et nos tripes, mais aussi notre propre système de défense.

La théâtralisation de l'actualité nous fait moins réfléchir que surréagir.

Car nous nous sentons personnellement agressés par ce mode de traitement de l'information. La théâtralisation de l'actualité nous fait en effet moins réfléchir que surréagir passionnément à des faits ou à des propos qui ont l'art de nous déplaire et même de nous faire sortir de nos gonds. Nous souffrons terriblement du bombardement incessant d'images et de commentaires, souvent sommaires hélas, auquel nous soumet le robinet ouvert non-stop du tout-info. Nous manquons cruellement d'une pédagogie de l'information nous aidant à analyser les événements avec distance, hauteur et profondeur. Et à déjouer les stratégies de manipulation et de diabolisation massives qui nous assaillent.

La tentation de la haine

La réaction de mon amie n'est donc pas une anomalie. Elle résulte de la contagion répandue par la globalisation de ce système informatif. Il se caractérise par une personnalisation à outrance du débat public, sonnant à la fois la défaite de la raison et de l'esprit critique et le triomphe du dénigrement et de la grossièreté. Cette toile d'araignée numérique nous rend tous plus vulnérables, plus défensifs et surtout plus agressifs les uns envers les autres. Je suis moi aussi pris dans le tournis vrombissant des humeurs peccantes, pour reprendre une illustre métaphore médicale chère au théâtre de Molière, émises par des chroniqueurs bien installés et dont le magistère est amplifié par la caisse de résonance que leur donnent les réseaux de communication. Comme le souhaiterait mon amie, j'ai parfois, moi aussi, l'envie de réagir méchamment en envoyant un scud sur quelqu'un dont je ne partage pas l'avis et en qui je vois d'emblée un adversaire, pis, un ennemi. Or, prévient fort opportunément le philosophe Denis Marquet, "la haine est soulagement ; elle constitue donc un succès de mon système de défense. C'est pourquoi tout système de défense, c'est-à-dire tout moi, cherche inconsciemment un objet de haine".

Un certain style

De grands auteurs catholiques n'ont pas été épargnés par l'appel abyssal des sirènes de la méchanceté. Bloy, Péguy, Bernanos, Mauriac possédaient une veine caustique et même pamphlétaire qui a contribué à servir de grandes et belles causes. Mais ils ont aussi parfois employé leur talent littéraire pour blesser leurs cibles. Leur conscience chrétienne a pu en beaucoup pâtir, car en laissant leur verve s'encanailler allègrement, ils avaient ostensiblement déboîté du chemin de la charité évangélique.

François Mauriac qui, dans son fameux Bloc-notes, publiait des portraits au vitriol de personnalités politiques, reconnaissait volontiers qu'il pouvait être méchant, que sa plume pouvait s'affûter en flèche et transpercer profondément ses cibles. Joseph Laniel, Georges Bidault ou Jean-Paul Sartre, parmi d'autres, firent ainsi les frais de ses sagaies littéraires lancées sur eux. L'auteur du Baiser au lépreux se défendait de l'accusation de méchanceté, expliquant que chez un écrivain, "c'est un certain style, un certain ton" d'être méchant. Son autodéfense ne convainquit pas Albert Camus : il reprocha à Mauriac de "se servir de la croix comme d'une arme de jet" et l'affubla, pour le coup méchamment, du sobriquet de "Dostoïevski de la Gironde". Comme quoi la méchanceté appelle la méchanceté. Même chez les gens de Lettres !

Le dialogue des racines

Face à l'objurgation de mon amie, je vais m'efforcer d'avoir plus de mordant, c'est-à-dire d'énergie, de persuasion, de vivacité, de clarté et de pertinence, pour avancer mes idées ou mes analyses sur la situation du monde, de l'Église ou de mes contemporains. Je la remercie de m'inciter ainsi à fournir ce surcroît d'effort. Ce travail est indispensable. Car ce dont nous manquons pour appréhender sérieusement le changement d'époque que nous vivons, c'est l'explication approfondie de l'actualité et l'intériorisation du sens des événements. Pour autant je veillerai mordicus à ne pas mordre, comme c'est devenu monnaie courante, tout contradicteur de mon point de vue, de ma croyance ou de ma vision du monde. Pourvu, bien entendu, que lui aussi ait accepté de ne plus montrer les dents ! "Chacun peut avoir raison pour lui-même, c'est le plus important", explique Faouzi Skali, anthropologue marocain, grand spécialiste du soufisme et fondateur du Festival de Fès des musiques sacrées du monde. Il poursuit : "Il faut garder sa foi et ses convictions. Mais cette foi sera d'autant plus forte qu'elle peut s'exposer à cet échange dans la profondeur, qu'on pourrait appeler un dialogue des racines. Il faut être sincère et comprendre que celui qui est différent peut nous aider à nous approfondir, en étant comme un miroir révélateur" (cf. intégralité de son sur CathoBel/Dimanche, 17 novembre 2024) .

Pour moi cette mystique du "dialogue des racines" dispense le plus vertueux et subversif antidote à toutes les mystifications créées par le désordre du monde de l'information auxquelles nous sommes journellement exposés. Et dont nous devons refuser d'être les méchants jouets.

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