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Matthieu Jasseron, quand part un prêtre

Matthieu Jasseron, en 2023.

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Paul Airiau - publié le 09/11/24
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Que révèle le parcours des prêtres qui quittent le sacerdoce ? À travers cinq cas emblématiques, l’historien Paul Airiau voit l’évolution d’hommes qui renoncent à donner leur vie à l’Église comme des "oblats" ou des "héritiers."

Le départ de l’abbé Matthieu Jasseron, est-ce un événement, un épiphénomène ou un symptôme ? À voir la presse et les bruissements des réseaux sociaux, les analyses et les règlements de compte à distance, c’est quelque chose. Mais ce qui se passe dans les journaux et sur les réseaux sociaux, est-ce un reflet de ce qui compte vraiment, ou de ce dont les journalistes et les commentateurs multipliés dans le grand café du commerce numérique pensent que c’est important ou que cela mérite un commentaire ? Est-ce ce dont il faut parler, ou ce dont on peut parler, ou ce qui fait parler ? À vrai dire, c’est au moins un prétexte pour pratiquer encore une forme d’historicisation, tant la mise en série de faits comparables permet d’apprécier ce qui change et ce qui perdure, et ainsi d’approcher un peu mieux la réalité. À cet égard, la récurrente médiatisation de renoncement par des prêtres à leur ministère manifeste des logiques structurelles du catholicisme et de la société.

Cinq histoires

1869. Hyacinthe Loyson, 42 ans, carme, prédicateur à succès (il tenait la chaire de Notre-Dame de Paris pour les conférences de carême depuis 1864), se rallie avec fracas aux opposants au dogme de l’infaillibilité pontificale, est excommunié et bientôt se marie et rejoint l’Église vieille-catholique. 1971. Jean-Claude Barreau, 38 ans, ancien aumônier de délinquants, directeur du catéchuménat de l’archidiocèse de Paris, auteur à succès, demande sa réduction à l’état laïc pour épouser une jeune femme qu’il fréquente depuis deux ans au moins, et entame une carrière dans l’édition puis dans la haute administration.

1974. Bernard Besret, 39 ans, initiateur charismatique d’une forme ecclésiale alternative à l’abbaye de Boquen, quitte une Église qu’il ne croit plus, s’éloigne d’une foi en laquelle il ne croit plus, et débute un itinéraire où la politique cède vite le pas à la médiation scientifique. 2016. David Gréa, 46 ans, populaire prêtre d’une paroisse lyonnaise relancée en hybridant le catholicisme avec les pratiques des mega-churches, annonce qu’il veut vivre en prêtre marié, subit finalement un renvoi de l’état clérical et devient coach en développement personnel. Et donc, 2024, Matthieu Jasseron, 40 ans, ancien médiatique influenceur sur les réseaux sociaux, réduit au silence et en conflit avec son évêque, renonce à une institution en laquelle il ne se reconnaît plus.

Ni oblats, ni héritiers

Cinq profils différents, d’importantes distances temporelles, mais des proximités malgré tout : c’est ce que l’analyse constate. D’abord, ce sont des hommes n’ayant pas vraiment entamé la deuxième partie de leur vie, ayant donc des possibilités de réorientation professionnelle, dans lesquelles ils investissent le capital culturel, symbolique, relationnel et médiatique que le sacerdoce leur a fourni. On peut ainsi les rapprocher de nombre d’autres hommes de professions libérales et intellectuelles qui transfèrent leurs compétences premières dans d’autres domaines et réorientent ainsi leur vie. Ensuite, ils rompent avec une organisation à laquelle ils n’adhèrent plus, à des degrés divers, qu’il s’agisse de son idéologie, de ses structures fondamentales, de son fonctionnement, de ses orientations.

Le rapport à l’institution se révèle ici central chez un certain nombre de clercs catholiques. Alors qu’ils veulent être en son sein des régénérateurs, elle le refuse. Des circonstances ou des évolutions font que l’interprétation qu’elle donne d’elle-même, être une médiatrice immédiate de Dieu, ne l’emporte désormais plus chez eux sur l’expérience concrète qui en est faite — à moins que cette interprétation n’ait en fait jamais été vraiment crue. C’est dire qu’il est toujours difficile d’habiter la société des clercs autrement que comme oblat, totalement dévoué, ou héritier, en capacité de transformer sans révolutionner.

Un remodelage de la manière d’être sacerdotale

La rupture de ces clercs s’inscrit d’ailleurs dans un contexte de réordonnancement du catholicisme, réalisé à grand bruit ou mezzo voce, qui valorise nettement l’oblature. Chez Loyson, la contestation de la romanisation dogmatique, juridique, institutionnelle — l’établissement d’une ecclésiologique pyramidale faisant du pape une espèce de nouvelle hostie consacrée — l’emporte sur tout. Quelques clercs l’accompagneront, sans plus. Chez Bernard Besret et Jean-Claude Barreau, la décomposition-recomposition de ce même catholicisme intransigeant, antimoderne, papal, clérical, à laquelle ils participent activement comme leaders d’opinion et d’action, est le moteur de leur détachement. Leur départ participe d’une vague de renoncement au sacerdoce qui submerge le clergé, français et mondial, du milieu des années 1960 à la fin des années 1970.

Chez David Gréa et Matthieu Jasseron, le pari de la communauté mi-territoriale mi-affinitaire, émotionnelle et séduisante, ainsi que le remodelage de la manière d’être sacerdotale par le biais de la familiarisation et la proximité, ne cadrent plus entièrement les rapports humains selon des rôles institués (évêque/curé, curé/paroissien-paroissienne), ce qui aboutit à un jeu puis à une rupture. Il n’est pas sûr qu’ils tranchent tellement avec les autres prêtres qui s’en vont plus discrètement, renoncent à l’oblature sans avoir jamais été héritiers ni se prétendre régénérateurs.

Des histoires mises en scène

Enfin, tous sont construits comme figures médiatiques par la médiasphère au sein et à l’extérieur du catholicisme. Ils sont devenus, à leur corps très consentant, des histoires mises en scène, scrutées et commentées. Ils symbolisaient des évolutions ou des postures jugées positives ou négatives. Pour les uns, ils disaient que le catholicisme attire encore la société contemporaine, qu’il sait se renouveler formellement voire profondément, et peut être moderne. Pour les autres, ils confirmaient que l’adaptation au monde et à ses codes se fait au détriment de l’authenticité catholique. Et leur départ devient alors une nouvelle étape de leur histoire, un élément de plus parmi les récits circulant et construisant ce que l’on pense qu’est la réalité.

Fonctionnement structurel du monde médiatique, recompositions catholiques suscitant des réaménagements toujours complexes, société des clercs avec le poids de ses logiques internes, carrière masculine avec la difficulté de l’habitation du rôle social, il est donc des permanences rassurantes en ce bas monde.

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