Lundi 15 avril 2019, la France et le monde, atterrés, regardent les flammes dévaster Notre-Dame de Paris. Une catastrophe planétaire ! Le soir-même, les commentaires autorisés des radios et télévisions se projettent déjà dans la reconstruction : "On ne pourra rétablir la charpente en chêne, il faudrait déforester, les diamètre des chênes d’autrefois n’existent pratiquement pas, nous n’avons pas les moyens de séchage..." Ces "spécialistes" qui prennent la parole sans savoir, heurtent nos oreilles de sylviculteur.
Des arbres bénis
Mardi 16 avril, 8h30, réunion dans les bureaux de Fransylva, la fédération des forestiers privés de France. Une décision est prise : "Nous allons mobiliser nos adhérents qui représentent 75% de la forêt française pour offrir des chênes en vue de la reconstruction de la cathédrale." 9h15, envoi d’un communiqué à l’AFP qui donne suite immédiatement. Les premiers articles tombent dès 10h : "Que chaque propriétaire forestier privé donne un chêne pour la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris après l'incendie qui l'a ravagée : c'est l'appel lancé mardi par Fransylva, qui assure la promotion des forêts privées de France…" Nous connaissons la suite. Malgré la pression des promoteurs de solutions alternatives — béton, métal — le choix se porte sur une nouvelle charpente en chêne, dont l’élaboration est en soi un symbole de continuité et de respect des incroyables charpentiers médiévaux.
De ce prélèvement volontaire, la forêt française ne sera pas dévastée, loin de là : les chênes récoltés représentent environ 17 hectares, ce qui est une part infime de notre chênaie. Il a fallu choisir les arbres selon un cahier des charges précis et correspondant à celui de l’époque de construction des cathédrales : longs, très droits et ne dépassant pas un diamètre trop important. Les architectes et artisans de l’époque choisissait des arbres qui pouvaient être déplacés par les moyens médiévaux comme le char à bœufs ou le flottage, ils devaient être encore verts pour être travaillés plus facilement.
Les chênes du XXIe siècle sont prélevés dans les forêts privées et publiques de toute la France, excepté les régions où le chêne n’est pas adapté. Beaucoup de ces arbres ont été bénis avant qu’ils ne soient récoltés et ce fut l’occasion de cérémonies courtes et pleines de sens, rassemblant des forestiers, des charpentiers et des voisins de la forêt autour d’une réflexion profonde : l’arbre devient un symbole, un signe tangible du temps défié, d’une éternité compréhensible par le cycle de vie de l’arbre alors que cette notion d’« éternité » dépasse l’entendement et l’intelligence de l’homme. L’arbre, dont le bois constitue la charpente de Notre-Dame, sera pour des siècles et des générations présent, discret, essentiel. Ainsi l’arbre se fait le lien, discret, entre Dieu et les hommes.
Les signes vivants d’une certaine éternité
Ce n’est pas le cas des autres produits de la nature, végétaux ou animaux, pourquoi ? La raison est tout simplement la durée de vie d’un arbre. Nous naissons, l’arbre existe et aucun des donateurs n’a planté le chêne de la cathédrale. Nous avançons dans la vie, l’arbre aussi, comme nous, il se transforme et après nous, il va continuer à vivre et peut-être mourir de sa belle mort s’il n’est récolté pour le bien de l’homme. "Passe encore de bâtir, mais planter à cet âge" cite La Fontaine dans la fable Le Vieillard et les Trois Jeunes Hommes. En fait, quel que soit l’âge, planter est un investissement qui dépasse les générations, ceux qui nous précédaient ont planté pour nous.
Il n’existe pas sur notre planète une création vivante qui soit aussi provocante pour l’humanité, une espèce qui ose vivre plus longtemps que nous. Certes, quelques races animales, d’autres végétaux enfouis dans le permafrost sont capables de germer des millénaires après, mais ils ne défient pas l’homme chaque jour comme l’arbre en étant les barreaux de son existence, les signes vivants d’une certaine notion d’éternité. Et voilà pourquoi l’arbre est vénéré dans notre Bible : le chêne, mais aussi l’olivier, le cèdre, le sycomore… et le pommier du péché originel. Les chênes donnés par des familles d’aujourd’hui porteront la toiture de la cathédrale pour une nouvelle éternité. L’histoire de Notre-Dame, racontée aux enfants des siècles à venir, s’enrichit des dons de nos générations. Mieux qu’une tombe, une élévation !