La visite du pape François dans la crypte royale de l’église Notre-Dame de Laeken ne devait pas être rendue publique. Mais un communiqué officiel du Vatican l’a révélée, et provoqué de vives réactions dans le plat pays. Samedi, en fin de matinée, le pape de 87 ans a rejoint l’église néo-gothique située à moins de cinq kilomètres de l’immense basilique de Koekelberg où il venait de s’adresser aux forces vives de l’Eglise catholique belge. Construite à l’initiative de Léopold 1er pour y recevoir la dépouille de sa femme, la crypte sert depuis lors de nécropole à la famille royale belge. Le pape François y a retrouvé le roi Philippe et la reine Mathilde qui l’avaient accueilli sur le tarmac de l’aéroport battu par la pluie à son arrivée en Belgique jeudi soir. Le lendemain, ils s’étaient retrouvés au Château de Laeken où le pape avait, dans un discours aux autorités, dit la honte de l’Église pour les abus sexuels commis par des clercs, un drame que le roi lui-même avait évoqué dans son discours.
Mais ce samedi matin, c’est dans une ambiance intime et familiale que le pontife et une partie de la famille royale se sont réunis. Dans la crypte accessible par un double escalier et qui rassemble les tombeaux de tous les monarques belges, ils ont rendu hommage au roi Baudouin. Sur une photo publiée par le Vatican, on peut voir le pontife, assis dans son fauteuil roulant, recueilli devant la tombe du souverain qui aura régné 42 ans, de 1951 à son décès brutal d’une crise cardiaque en 1993, alors qu’il n’avait que 63 ans. Aux côtés du pape, le roi Philippe et la reine Mathilde mais aussi l’ancien roi Albert II, qui avait succédé à son frère Baudouin car celui-ci était mort sans descendance, et son épouse la reine Paola. Le jeune archevêque de Malines-Bruxelles, Mgr Luc Terlinden, était également présent.
«Le courage » de Baudouin
L’histoire aurait pu s’en tenir là. Mais une note explicative du Vatican diffusée aux journalistes allait bousculer les choses : le pape y salue « le courage » de Baudouin, ce roi qui avait quitté son poste « pour ne pas signer une loi meurtrière ». Une allusion à un épisode étonnant de l’histoire de la monarchie belge. Durant 36 heures, en 1990, le roi avait en effet utilisé une formule juridique établissant son propre “empêchement” afin de ne pas associer sa signature à cette loi qu’il ne pouvait ni approuver ni rejeter, à moins de provoquer une crise de régime. Cette démarche avait divisé les spécialistes du droit constitutionnel comme les responsables politiques, mais elle n’avait pas entamé l’attachement du peuple belge pour son roi.
Le Saint-Siège indique également, avec une franchise très inhabituelle, que le pape souhaite la béatification de l’ancien souverain, et invite « les Belges à se tourner vers lui en ce moment où des lois criminelles sont élaborées ». Une allusion probable à l’extension progressive des possibilités de recours à l’euthanasie. Aussitôt la nouvelle répandue, un communiqué musclé du Centre d’action laïque dénonçait des « propos ahurissants », y voyant une « provocation » le jour même de la journée internationale pour le droit à l’avortement. Embarrassé par la diffusion de la nouvelle, qui risque de fragiliser la position d’arbitre constitutionnel que le roi des Belges est censé jouer, le Palais royal envoyait à son tour un communiqué pour rappeler le caractère « strictement privé » de ce déplacement.
La piste argentine
Certaines sources se félicitent de voir le pape exprimer une position tranchée et libre, sans se laisser brider par des conditionnements politiques locaux. Le pape François a souvent eu des mots forts sur l’avortement, qualifiant de « tueurs à gages » les médecins qui le pratiquent. Dès le début de son pontificat, il a récusé les attentes de ceux qui espéraient un changement de doctrine de l’Eglise catholique sur l’IVG : il s’agit pour François d’un point non-négociable, et il est possible que sa légalisation dans son propre pays natal, l’Argentine, ait joué un rôle dans son renoncement à s’y rendre ces dernières années.
Mais c’est peut-être aussi en Argentine que se situe l’une des raisons de l’affection personnelle du pape pour l’ancien roi des Belges. Dans les années 1970, en tant que provincial des jésuites d’Argentine, l’alors père Jorge Mario Bergoglio s’est fréquemment rendu en Belgique pour remercier les bienfaiteurs de l’université de Cordoba, dont il était le chancelier. Or, depuis 1961, la clinique de cette université jésuite porte le nom de “Clinica Reina Fabiola”, du nom de l’épouse du roi Baudouin. L’année suivante, le père du roi, l’ancien souverain déchu Léopold III l’avait discrètement visitée, avant que Baudouin et Fabiola eux-mêmes ne se rendent sur place en 1964. L’affection personnelle du pape pour l’ancien monarque peut donc s’ancrer en partie dans son soutien à cette institution jésuite.
Un autre monarque
En tout cas, en s’exprimant ouvertement en faveur de la béatification du roi Baudouin, le pape François a franchi un pas que son prédécesseur Benoît XVI n’avait pas osé franchir, bien qu’il ait confié y être personnellement favorable en recevant des visiteurs belges en privé. Si le dossier aboutit, le roi Baudouin serait le premier monarque européen proposé à la vénération des fidèles depuis le dernier empereur d’Autriche-Hongrie, Charles Ier (1916-1918), décédé en 1922 et béatifié par Jean-Paul II en 2004. Son épouse Zita, qui ne s’est éteinte qu’en 1989 après un très long veuvage de près de sept décennies, fait également l’objet actuellement d’une procédure de béatification.