Chrétienne libanaise vivant dans le quartier du Palais de Justice, à 20 minutes à pied de la banlieue sud de Beyrouth, Nada demeure pour le moment épargnée des raids. "À Beyrouth, il n'y a pas de frappes aveugles, il s'agit de frappes extrêmement ciblées pour tuer des responsables du Hezbollah. Mais les victimes civiles qui sont touchées vivent généralement dans les immeubles concernés", précise-t-elle à Aleteia. Cette soixantenaire qui a déjà vécu la guerre de 2006 semble rester philosophe, sans pour autant nier l'existence du danger. "On se rassure en se disant qu’a priori ce n’est pas pour nous, mais on ne sait jamais. Il suffit d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Les gens ont peur, bien sûr. Consciemment ou pas, on réagit différemment, on limite nos déplacements. Il y a des réflexes déjà acquis, comme avoir toujours sa voiture pleine d’essence pour partir à tout moment. On n’en est pas à une anormalité près dans ce pays", glisse-t-elle.
Depuis l'intensification des échanges de tirs entre le Hezbollah et Israël, le Liban est sur le qui-vive, partagé entre angoisse et fatalisme. La guerre avait déjà fait son nid il y a plusieurs mois, au lendemain des attaques du Hamas contre les kibboutz israéliens. Mais elle demeurait localisée à la frontière Sud. Aujourd'hui, c'est Beyrouth qui est visée. Après avoir fait exploser les bipeurs et les talkies-walkies des membres du Hezbollah, Israël a entamé le ciblage des sites de ce mouvement islamiste chiite dans la partie sud de la capitale. Bilan de la première journée : 558 morts, dont 50 enfants et 94 femmes, et plus de 1.800 blessés. Et un pays tétanisé, qui semble attendre impuissant que son sort soit tranché par des belligérants externes. "C'est inacceptable", a martelé le pape François lors de l'audience générale de ce mercredi 25 septembre en condamnant les bombardements intenses sur le Liban tout en rappelant sa proximité avec le peuple libanais. Une proximité dont a plus que besoin la communauté chrétienne du pays qui vit aujourd'hui dans une angoisse décuplée.
Les Libanais ont peur, ils vont mal, mais ils sont aussi tristement habitués à subir cataclysme sur cataclysme.
Le journaliste et photographe Gabriel Ferneini, chrétien également, est bien plus alarmiste et s’attend au pire. "Il y a eu une grande peur quand les bombardements se sont intensifiés", décrit-il à Aleteia. "Plus personne n’est épargné. Cela fait presque un an que l’on voit les images à Gaza, tout le monde sait jusqu’où Israël est prêt à aller", assène-t-il. Selon le journaliste, le bilan des morts a grimpé à environ 750, sans pour autant savoir la part de membres du Hezbollah ou de civils concernés. Le ministère de la Santé libanais a demandé aux hôpitaux situés dans les zones les plus affectées par les raids aériens de geler les opérations non urgentes, afin de laisser la place aux blessés. Mais ces hôpitaux publics ont été trop délaissés par l’État, remarque Gabriel Ferneini, les laissant dépourvus de moyens suffisants pour affronter ce genre de situations.
500.000 déplacés
La plaie déjà béante creusée par la guerre civile, l'explosion de Beyrouth en 2020 et une crise économique profonde n'aura pas eu le temps de se refermer. "Il y a beaucoup de lassitude. Les Libanais ont peur, ils vont mal, mais ils sont aussi tristement habitués à subir cataclysme sur cataclysme", constate Vincent Gelot, chef de projet de l'Œuvre d'Orient au Liban et en Syrie. Dès le début des hostilités entre le Hezbollah et Israël, le 8 octobre 2023, l'Œuvre d'Orient a fait ouvrir des centres d'accueil dans deux anciens couvents de Beyrouth, aujourd'hui surchargés. Les enfants sont quant à eux déscolarisés : toutes les écoles ont fermé leurs portes, y compris dans les régions pour le moment exemptes de combats. La région du sud Liban se voit figée par les tirs de roquettes et d'obus, avec des agriculteurs empêchés d'accès à leurs champs, et une population en fuite. "Lorsque le conflit était sanctuarisé au niveau de la frontière sud, on comptait déjà 90.000 déplacés", explique à Aleteia Vincent Gelot. "Désormais, on parle de 500.000 déplacés. La route reliant Saïda à Beyrouth est bondée. La situation est catastrophique", s'alarme-t-il. Un appel à la générosité des donateurs a déjà été lancé par l'association, qui contribue comme beaucoup à pallier la défaillance de l'État.
Un État qui comme sa population, se retrouve pris dans la tourmente d’une guerre qu’il n’a pas voulue et dans laquelle il n’aura pas son mot à dire. Pour certains, le Liban traverse trop de crises pour se permettre de croiser le fer avec Israël. Pour d’autres l'État hébreu demeure un envahisseur potentiel, qu’il faut tenir à distance. Quitte à passer par les armes. "Personne ne soutient Israël, tout le monde ici est solidaire de Gaza", résume encore le journaliste Gabriel Ferneini. "En revanche, tout le monde n’est pas d’accord sur la forme que doit prendre cette solidarité."
Les chrétiens n’échappent pas à la division sur le sujet, explique à Aleteia un général français resté en fonction un an au sein de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). "Mais de manière générale, on peut dire qu’ils sont pris en otage par le Hezbollah qui s’est attaqué à Israël en soutien au Hamas. Pour lui, c’était un moyen de continuer à exister sur le plan militaire et de créer un nouveau front. Mais il s'agit d'une alliance contre nature entre le Hamas sunnite et le Hezbollah chiite." Pour l’officier, la seule issue possible se trouve dans un accord négocié par les États-Unis et l’Iran. "C’est le seul moyen de trouver un arrangement durable. Sinon, cela se règlera par la force, avec des seuils de violence différents."