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Benoît XVI à Paris, le voyage spirituel et intellectuel du “penseur de Dieu”

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Benoît XVI lors de son discours au collège des Bernardins, 2008.

Cyprien Viet - publié le 30/08/24
Durant ses huit ans de pontificat, Benoît XVI effectua 25 voyages en dehors d’Italie. Car il fut surtout un voyageur de la pensée, s’appliquant à tracer une ligne claire de mise en forme de la pensée chrétienne, et s’efforçant d’en tirer un système cohérent. Cette aventure spirituelle et intellectuelle a connu son apogée le 12 septembre 2008, lors de son discours au Collège des Bernardins, une étape fondamentale de son voyage à Paris.

Ce 12 septembre 2008, les journalistes français s'étonnent de voir de nombreux jeunes autour de Benoît XVI, un pape réputé timide - lui-même se qualifiant de “rat de bibliothèque” - et plutôt rétif aux foules et aux voyages : “Cette première journée est un succès médiatique pour le Pape et, surprise, un succès populaire dans les avenues de la capitale. Vers 18h30, dans la montée vers Notre-Dame de Paris, la foule est au rendez-vous”, commente le journal de 20h de France 2. Quelques heures plus tôt, après son accueil officiel à l’Elysée, Benoît XVI a prononcé la leçon inaugurale du Collège des Bernardins. Il est venu lancer la programmation culturelle de cet ancien couvent, longtemps devenu une caserne de pompiers, puis réhabilité par le diocèse de Paris pour devenir un lieu de formation et d’échanges culturels, à l’initiative du cardinal Jean-Marie Lustiger, décédé un an auparavant.

Le pape allemand, s’exprimant dans un français parfait et délicat qui surprend et séduit des millions de téléspectateurs, propose un voyage dans le temps pour replonger dans l’aventure du monachisme occidental comme élément fondateur de la culture européenne. “De jeunes moines ont ici vécu pour s’initier profondément à leur vocation et pour bien vivre leur mission. Ce lieu, évoque-t-il pour nous encore quelque chose ou n’y rencontrons-nous qu’un monde désormais révolu ?”, demande Benoît XVI, dans une réflexion à la fois académique et simple.

Le Pape évoque "la grande fracture culturelle, provoquée par la migration des peuples et par la formation des nouveaux ordres étatiques", en expliquant que "les monastères furent des espaces où survécurent les trésors de l’antique culture et où, en puisant à ces derniers, se forma petit à petit une culture nouvelle". 

Mais la construction de cette culture n’était pas une fin en soi. Fondamentalement, ces moines "étaient à la recherche de Dieu. Des choses secondaires, ils voulaient passer aux réalités essentielles, à ce qui, seul, est vraiment important et sûr", raconte Benoît XVI, en expliquant que cette recherche de Dieu demeure un défi très actuel, y compris dans les grandes villes anonymes et sécularisées comme Paris, où, "pour beaucoup, Dieu est vraiment devenu le grand Inconnu". 

"Malgré tout, comme jadis où derrière les nombreuses représentations des dieux était cachée et présente la question du Dieu inconnu, de même, aujourd’hui, l’actuelle absence de Dieu est aussi tacitement hantée par la question qui Le concerne", explique Benoît XVI, sachant pertinemment qu’une partie de son auditoire est athée ou agnostique. "Ce qui a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable", assure encore le pape allemand, très attaché à la promotion des racines chrétiennes de l’Europe.

Une écoute bienveillante

Parmi les 650 personnalités du monde politique et de la culture présentes figurent alors les anciens présidents de la République Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing, mais aussi des personnalités aussi diverses que Robert Badinter, Jacques Delors, Max Gallo, Michael Lonsdale, Jean Tiberi, Régis Debray, ou encore Dalil Boubakeur, alors recteur de la grande mosquée de Paris. Les participants se diront conquis et étonnés par l’envergure intellectuelle de ce pape universitaire, particulièrement les membres de l’Institut de France, flattés d'être qualifiés de "collègues" par ce prestigieux conférencier que certains connaissaient personnellement. 

Celui qui était alors le cardinal Joseph Ratzinger avait en effet été élu en 1992 comme membre étranger associé de l’Académie des Sciences morales et politiques, au fauteuil numéro 2, succédant à l’ancien dissident soviétique Andrei Sakharov, décédé trois ans plus tôt, peu après sa réhabilitation par Gorbatchev. De façon quelque peu insolite, ce fauteuil 2 confié aux associés étrangers de cette Académie fut aussi celui de l’écrivain britannique Rudyard Kipling (1865-1936), le célèbre auteur du Livre de la Jungle

En devenant membre associé de l’Institut de France, Joseph Ratzinger, devenu Benoît XVI, avait ainsi donné à la théologie un écho particulier dans le milieu académique français. Avant lui, toujours parmi les associés étrangers, le théologien suisse Hans Urs von Balthasar avait occupé le fauteuil 4, avec un successeur étonnant en la personne de l’ancien président américain Ronald Reagan. Les cardinaux Henri de Lubac et Roger Etchegaray furent par ailleurs membres titulaires de cette Académie.

Du “Panzerkardinal” au “penseur de Dieu”

Revenu en France en tant que pape et marchant sur les pas de son ami et prédécesseur Jean Paul II venu pour sa part à Paris en 1980 et 1997, Benoît XVI a su parler de Dieu en terrain laïc, et recevoir un accueil bienveillant, dans la lignée des conférences remarquées qu’il avait présentées en France en tant que cardinal, notamment à la Sorbonne à l’approche de l’an 2000. Il a pu assumer ce voyage que n’avait pas pu faire Paul VI, un pape pourtant amoureux de la France, pays qu’il qualifiait de “four où se cuit le pain intellectuel de la chrétienté”. 

En ce vendredi de septembre 2008, Benoît XVI a apporté du grain à moudre à ses interlocuteurs français qui, même sans partager la foi en l’eucharistie, avaient besoin de se nourrir d’une bonne nourriture spirituelle et intellectuelle et ont pu se situer en pleine communion de pensée avec le pontife allemand. Celui qui au début de son pontificat était ironiquement présenté comme le "Panzerkardinal" était enfin devenu, y compris aux yeux des médias généralistes, "le penseur de Dieu". 

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