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Procula, la femme de Pilate, a-t-elle vraiment voulu sauver Jésus?

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"Le Rêve de la femme de Pilate" ("The dream of Pilate's wife"). Une gravure d'Alphonse François (1814-1888) d'après Gustave Doré.

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Anne Bernet - publié le 28/03/24
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Si elle est mentionnée dans un évangile, celui de Matthieu, et très brièvement, ce n’est sûrement pas par hasard. Qui était Claudia Procula, la femme de Pilate, la païenne qui voulut sauver Jésus ?

Pourquoi certains seconds rôles des évangiles tiennent-ils dans l’imaginaire chrétien une place bien supérieure à ce que laisserait présager leur modeste apparition dans l’histoire ? Ainsi l’épouse de Pilate, seule femme non juive du récit évangélique, singulière, énigmatique et dotée d’une forte personnalité qui lui fait transgresser les usages. La Tradition, qui dut s’appuyer sur des sources antiques perdues, la nomme Claudia Procula, ou Procla, nom que les évangiles ne mentionnent pas. 

Une patricienne de haute naissance

Ce patronyme est intéressant : Claudia n’est pas un prénom — les filles, à Rome, n’en ont pas, portant leur nom de famille au féminin. Notre Claudia est donc la fille de Claudius Proculus. Claudius, c’est le patronyme de la famille impériale car Auguste n’ayant pas eu de fils a adopté ceux de sa femme, Livia, qui les avaient eus avec un rejeton de la très noble famille des Claudii. La Gens Claudia compte de nombreuses branches et l’empereur Tibère a des cousins éloignés. Claudia Procula est-elle sa cousine ? Cela expliquerait son mariage avec un haut fonctionnaire que l’on place à un poste de confiance, gouverner la Judée n’étant pas une sinécure, et la dérogation qui lui est accordée de l’accompagner à Césarée, alors qu’Auguste a interdit, quinze ans plus tôt, que les gouverneurs de province emmènent leur famille.

Que Claudia soit mieux née que son mari, simple chevalier, et à l’origine de son ascension dans la haute administration, explique les libertés qu’elle se permet, s’autorisant à le déranger en pleine audience et lui donner des conseils, ce qui est précisément interdit par la loi. Une patricienne donc, Claudia, sûre d’elle mais aussi amoureuse de l’homme qu’elle a épousé, sans quoi pourquoi l’aurait-elle accompagné dans l’un des postes les moins enviables de l’Empire, où l’insécurité est constante, les mœurs étranges au lieu de jouir d’une vie libre et luxueuse à Rome ?

Une femme qui rêve

À Césarée, la préfecture, comme à Jérusalem, où Pilate se transporte plusieurs fois l’an, Procula s’est liée avec des femmes de la cour hérodienne, Suzanne ou Jeanne, la femme de Souza l’intendant royal. Par elles, et d’autres, elle a entendu parler de Jésus. Les a-t-elle accompagnées l’écouter prêcher ? Peut-être. En tout cas, elle s’est fait une opinion à son sujet : c’est un juste. Au cœur des intrigues politiques du pays, elle a aussi, en femme intelligente, compris que certains cherchaient à le perdre, et n’hésiteraient pas à mentir pour l’envoyer à la mort. Et cela la préoccupe — assez pour qu’elle en rêve. Car Procula est une femme qui rêve et qui, fait rare pour une Occidentale, y prête attention. Peut-on en déduire qu’elle est attirée par la philosophie pythagoricienne, préoccupée d’onirisme ? Pourquoi pas ?

A-t-elle compris, ce matin du Vendredi saint, que son mari ne pourra lui donner satisfaction, étant dans l’impossibilité de ne pas se mêler de l’affaire de ce Juste, comme elle le demande ?

A-t-elle compris, ce matin du Vendredi saint, que son mari ne pourra lui donner satisfaction, étant dans l’impossibilité de ne pas se mêler de l’affaire de ce Juste, comme elle le demande ? Le Sanhédrin n’a plus le pouvoir de faire exécuter une condamnation à mort, droit que le conquérant romain s’est réservé, mais, en matière religieuse, et c’est le cas puisque Jésus est accusé de blasphème, le procurateur est incompétent à juger du bien-fondé du délit, et doit, comme les traités le prévoient, se borner à ratifier la sentence.

Le dilemme de Pilate

Or, justement, toute la matinée, Pilate, afin de complaire à sa femme, fera des pieds et des mains pour ne pas la ratifier, cette sentence, et utilisera toutes les arguties du droit romain, se faisant avocat inventif, dans l’espoir de sauver le prévenu. Il ne renoncera, la mort dans l’âme, que lorsque les accusateurs requalifieront le délit en crime politique, comprenant que le procurateur tente de contourner les normes diplomatiques, et l’accuseront de n’être "pas l’ami de César" et de violer la plus sacro-sainte loi de l’Empire, la lex Julia majestatis, équivalent, très large, du lèse-majesté, crime systématiquement puni de mort et, s’agissant d’un haut dignitaire, susceptible d’être étendu à son épouse et ses enfants. De quoi, en effet, faire reculer Pilate mis en demeure de choisir entre sa conscience et la peine capitale pour lui, mais aussi sa famille… 

Elle rentre dans l’anonymat

Après cette tentative manquée, et comment aurait-il pu en être autrement puisque la Rédemption devait s’accomplir, malgré les hommes et les femmes de bonne volonté désireux d’arracher le Christ au supplice, Procula disparaît des Écritures. Après ce 7 avril de l’an 30, elle rentre dans l’anonymat. S’est-elle convertie ? La Tradition l’a toujours pensé. A-t-elle converti son mari ? La Tradition, là encore, l’espère. Sont-ils tous deux morts martyrs lors de la persécution de Néron ? C’est possible, et invérifiable, puisque les listes des martyrs de l’été 64, détruites lors de la grande saisie des archives pontificales au début du IVe siècle, ne nous sont pas parvenues. Cela n’empêche pas les Églises coptes et certaines Églises orthodoxes de vénérer sainte Claudia Procula, la païenne qui voulut sauver Jésus.

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