L’image de Blaise Pascal reste souvent celle d’une intelligence exceptionnelle qui, à ce titre, nous fascine et nous effraye à la fois. François-René de Chateaubriand parlait de lui comme d’un "effrayant génie". Pourtant, depuis que le pape François a déclaré qu’à titre individuel il était favorable à la béatification de Blaise Pascal et qu’il allait demander l’avis de la Congrégation des causes des saints, des articles fleurissent rappelant que ce génie scientifique, philosophe et littéraire était d’abord un humble chrétien qui effectuait son pèlerinage terrestre en cherchant à se libérer de l’orgueil et de la mondanité.
Il ne brillait pas seulement par son esprit mais peut-être et d’abord par ses vertus chrétiennes personnelles, la cohérence de sa conversion et son humilité. C’est ce qu’atteste la rédaction du texte que l’on appelle le Mémorial de Pascal et qui retranscrit sa conversion fulgurante à la personne de Jésus Christ intervenue dans la nuit du 23 au 24 novembre, dite la "Nuit de feu" :
Depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ minuit et demi, feu. Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants. Certitude, certitude. Sentiment. Joie. Paix […] Renonciation totale et douce. Soumission totale à Jésus-Christ et à mon directeur.
Tendu vers la vérité
Il coudra soigneusement ce document dans son manteau et le transférera toujours à chaque fois qu’il changera de vêtement afin de toujours le garder à l’esprit. En cela il appliquait humblement le procédé mnémotechnique prescrit par Dieu à Son peuple dans le livre du Deutéronome (Dt 11, 18-20) :
Mettez dans votre cœur et dans votre âme ces paroles que je vous dis. Vous les lierez comme un signe sur vos mains, et elles seront comme des fronteaux entre vos yeux. Vous les enseignerez à vos enfants, et vous leur en parlerez quand tu seras dans ta maison, quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras. Tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes…
C’est la contemplation de la condition humaine et de ses limites qui est à l’origine de son humilité et donc de sa lucidité. La contemplation de sa petitesse par rapport à une Création qui le dépasse et dont il n’est pas à l’origine : "Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie." La contemplation des limites de l’entendement humain ensuite : "Notre intelligence tient dans l'ordre des choses intelligibles le même rang que notre corps dans l'étendue de la nature." C’est parce qu’il était tendu vers la vérité que Pascal ne s’est jamais laissé fasciner par l’intelligence et qu’il a ainsi développé cette intelligence des choses et de la condition humaine. L’attitude de Pascal illustre parfaitement les paroles du Christ tressaillant de joie sous l’effet de l’Esprit saint et déclarant (Lc 10, 21) :
Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que tu les as révélées aux enfants. Oui, Père, je te loue de ce que tu l'as voulu ainsi.
Un modèle d’humilité
L’exemple que constituent la vie et l’œuvre de Blaise Pascal illustre que l’humilité engendre la lucidité en empêchant que la vue soit troublée par l’orgueil ou par la vanité. Peut-être est-ce cela qui troublait tant Chateaubriand, vaniteux comme un paon, au point de le trouver "effrayant" ? Les gens sobres sont également plus disposés à accepter la réalité telle qu’elle est car ils ne sont prisonniers ni de leurs appétits, ni de leurs ambitions ni de leurs addictions : "J’aurais bientôt quitté les plaisirs, disent-ils, si j’avais la foi. Et moi je vous dis : Vous auriez bientôt la foi si vous aviez quitté les plaisirs." Les gens humbles et sobres ont spontanément une plus grande lucidité et un plus grand réalisme que les autres parce qu’ils acceptent de prendre la condition humaine telle qu’elle est : à la fois tragique et merveilleuse, banale et complexe.
À défaut d’en percer tous les mystères, ils s’abstiennent de prendre leurs désirs (et leurs phobies) pour la réalité. Ils ne pratiquent pas l’autosuggestion. Ils observent beaucoup et diagnostiquent peu. Ils ne s’érigent pas en prescripteurs du bien et du mal. Pour cette même raison, les humbles et les sobres s’émerveillent plus facilement, rendent grâce plus spontanément et accueillent plus simplement la rencontre car rien ne les retient. Ce sont eux qui sont prédisposés à trouver Dieu. Les orgueilleux et les ambitieux les méprisent, les taxent de naïveté et de médiocrité. Ce sont souvent eux qui professent un athéisme pratique et nihiliste, une indifférence aux grandes questions de l’existence. Fiers, ils se promènent en arborant ostensiblement ce qu’ils appellent leur esprit critique. À tort. Car s’ils se flattent de douter de tout, c’est parce qu’en fait ils ne se doutent de rien ! Contrairement à Blaise Pascal.