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La sainte obéissance de Robert de Molesmes, fondateur de Cîteaux

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Abbaye de Cîteaux.

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Anne Bernet - publié le 20/03/23
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Il ne savait guère commander, mais il était un modèle d’obéissance. Et c’est à force d’obéissance que Robert de Molesmes, appelé sans cesse par les autorités à gouverner ses fondations successives, devînt le fondateur de l’ordre cistercien. L’Église le fête le 21 mars, date de la fondation de Cîteaux en 1098.

Le diable, c’est bien connu, à force de se croire malin, se prend parfois à ses propres ruses. Cela lui est arrivé, au XIe siècle, quand, en voulant pousser au crime deux chevaliers, il a donné involontairement naissance à l’Ordre cistercien. Nous sommes en Bourgogne, dans la forêt de Colan entre Tonnerre et Chablis, vers 1040.

Deux seigneurs normands, frères, se rendent à la cour du duc Eudes participer à un tournoi. Et voilà qu’en cheminant à travers bois, à la même seconde, la même pensée leur traverse l’esprit : "Tu n’as qu’à tuer ton frère… Personne ne te verra en cette forêt profonde où tu te débarrasseras sans peine du cadavre que nul, jamais, ne retrouvera… Qui songera à te soupçonner ? Tu n’auras plus à partager avec lui l’héritage de votre père, qui n’est pas gros…" La tentation est si violente qu’elle ne peut être que satanique et les deux chevaliers, bons chrétiens, s’empressent de la conjurer à grand renfort de patenôtres, de sorte qu’ils émergent du bois vivants tous deux, pétrifiés de honte d’avoir songé au fratricide et se gardent, évidemment, de s’avouer la pensée qui leur est passée par l’esprit.

Chez l’ermite de Colan

Au retour, nos Normands reprennent la même route et, au même endroit qu’à l’aller, l’épouvantable suggestion revient, plus forte, irrésistible presque et il leur faut un incroyable effort de volonté pour ne pas s’entretuer. Ils s’aperçoivent alors que, dans les fourrés, un ermite a bâti sa hutte ; cet ermite est prêtre, apte à confesser.

Les chevaliers se précipitent à ses pieds, lui révèlent d’une seule voix le crime qu’ils ont failli commettre. Ils se regardent, stupéfaits, comprennent qu’ils ont échappé à une diablerie des plus infernales, et, d’un commun accord, renoncent à cet héritage qui a failli les pousser au pire ; désormais, ils partageront la vie de l’ermite.

D’autres hommes se joignent à eux et une petite communauté se crée. Quelques années après, ils sont sept, désireux de suivre la règle de saint Benoît et en quête d’un abbé pour les diriger. Un monastère bénédictin, il en existe un dans le voisinage, Saint-Michel de Tonnerre. Les ermites vont y frapper, et trouvent bon accueil auprès de l’abbé.

Celui-ci, né en 1017 à Troyes dans une puissante famille de la noblesse champenoise, se prénomme Robert. Voué à Dieu dès le sein de sa mère, qui a rêvé que Notre-Dame réclamait pour Elle l’enfant à naître, il est entré à quinze ans au noviciat du monastère bénédictin de Montier-la-Celle dont, avant d’avoir vingt ans, il a été élu prieur. Puis, il a été envoyé à Tonnerre, dans l’espoir que, par son exemple, sa ferveur, sa piété, ses jeûnes et ses mortifications, le nouvel abbé parviendra à réformer une communauté attiédie…

Il n’en a rien été. Robert est doux, accommodant, incapable de hausser le ton et de commander et ses moines, tout en reconnaissant sa très grande vertu, n’ont aucune envie de l’imiter et de revenir à la stricte observance bénédictine… C’est donc en vain qu’il a, par obéissance, renoncé à sa vie d’étude, de prière et de contemplation.

Dans ces conditions, la perspective d’échanger sa piètre communauté contre la jeune et dévote fondation lui convient ; hélas, elle ne sied pas à ses moines ! Si Robert s’en va, on leur enverra un abbé moins facile. Pas question de le lâcher ! Et Robert qui n’aime pas les querelles, reste à Tonnerre, avant d’être réexpédié à son premier monastère, puis nommé abbé du monastère de Provins. Que cela lui convienne ou pas, il obéit, laissant à Dieu le soin de le conduire où bon lui semble. 

Accablé par la richesse

Pendant ce temps, la communauté de Colan a écrit au pape Alexandre II et réclamé Robert comme supérieur. Le pape le leur donne. Robert obéit. Cette fois, il est heureux. Ses frères de Colan aspirent à la perfection et sont de bons moines. La communauté s’agrandissant, il faut trouver un emplacement mieux approprié.

Ce sera Molesmes, sur le versant d’une colline dans les bois que les moines défricheront. En 1075, le monastère est reconnu par l’Église et l’existence que l’on y mène, toute de prière et de pénitence, est admirable. L’évêque de Troyes, venu le visiter, se retire édifié, mais inconscient de son extrême pauvreté.

Quelques mois plus tard, les récoltes ayant été mauvaises, le pain manque au réfectoire. Robert, abandonné à la Providence, envoie le cellérier en ville se procurer de la nourriture mais sans lui donner de quoi la payer : il n’a pas de quoi. Au pauvre économe affolé d’une pareille mission, il rétorque en citant les saintes Écritures : "Que celui qui n’a pas d’argent s’empresse d’acheter !"

L’arrivée de ces religieux misérables jette l’émoi, on prévient l’évêque, qui reconnaît les saints hommes de Molesmes et s’empresse de leur fournir plusieurs chariots de vivres. Or, cette aubaine va se retourner contre le monastère. Devenu un endroit à la mode où il faut se rendre et qu’il faut aider, Molesmes, accablé par les généreux donateurs, devient riche, et une partie de la communauté, grisée, oublie ses vertus premières pour céder aux charmes d’une vie facile.

La fondation de Cîteaux

Désolé, conscient que sa faiblesse de caractère et sa douceur sont causes de tout, Robert dépose l’abbatiat et, en compagnie de quelques frères, dont les futurs saints Étienne Harding et Albéric, s’en va vivre ailleurs, dans l’observance d’autrefois. Lui parti, les donateurs découvrent que la communauté qu’ils portaient aux nues s’écroule, et cessent de donner.

Ce retour de bâton incite les moines à rappeler Robert, qui, charitable, revient, et les autres avec lui. Molesmes retrouve un peu de son lustre mais la fracture qui a conduit à la scission existe toujours et s’aggrave. Étienne et Albéric décident de repartir fonder ailleurs une autre communauté ; ils en demandent la permission à Robert qui décide de les suivre. Au printemps 1097, l’abbé octogénaire, avec la bénédiction de l’évêque de Lyon, quitte, définitivement, pense-t-il, sa fondation décevante.

Les moines décidés à respecter la stricte obédience se retirent près de Châlons-sur-Saône, dans une région boisée et marécageuse où rien ne pousse, sitôt des roseaux, appelés, dans la région, des "cîteaux". Le jour des Rameaux 1098, la nouvelle abbatiale peut être consacrée. Robert est abbé, Étienne sous-prieur, Albéric prieur. Tout est pour le mieux ! Sauf qu’à Molesmes, rien ne va sans Robert… Les moines en appellent au pape pour qu’il leur renvoie leur abbé ; le pape ordonne à Robert de regagner son ancienne abbaye et, comme d’habitude, il obéit, s’arrachant à sa chère maison de Cîteaux… 

La gloire de l’ordre cistercien

Pourtant, quelque chose a changé. À Molesmes, les frères font des efforts et le très vieux Robert a enfin appris l’autorité. Un jour, deux mendiants frappent à la porte du monastère, réclament un peu de pain. À en croire le cellérier, du pain, hélas, il n’y en a pas. "Que comptiez-vous nous servir à midi ?", s’enquiert l’abbé. "Je ne sais pas encore", rétorque l’autre. Sauf qu’à l’heure du déjeuner, le pain est là, en abondance, sur la table.

Indigné, Robert ramasse les miches et va les jeter dans la rivière, contraignant sa communauté peu aumônière à un jeûne fort rude car toutes les réserves de la maison y sont passées ! Une fois de plus, la Providence y pourvoira et un riche seigneur des environs viendra remplir les greniers vides.

Robert de Molesmes rend l’âme le 21 mars 1110, à 93 ans. À l’instant de sa mort, un phénomène impossible se produit : bien qu’il fasse nuit, deux arcs-en-ciel apparaissent, à l’Orient et à l’Occident ; entre eux, une immense croix lumineuse entourée d’innombrables cercles aux couleurs chatoyantes, symbole de la sainteté de Robert et de la gloire qui attend l’Ordre cistercien, si riche en saints que ses supérieurs, à trois cents ans de là, décideront de ne plus ouvrir aucune cause de canonisation, de crainte de démonétiser la sainteté… Joli résultat d’une tentation diabolique ! 

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