Je me trouvais un jour dans la rue d'une grande ville lorsque soudain, un jeune devant moi, marchant seul, s'arrêta subitement et consulta fébrilement son smartphone : il venait de recevoir une notification. De ma place, il ne m'était pas possible de discerner l'objet du message qui avait stimulé son attention. Cependant, la rapidité avec laquelle il avait répondu à la sollicitation de son portable trahissait chez lui un manque que je ne pus définir sur l’instant. Soudain, il me revint à l'esprit la parole du Christ sur les foules sans bergers : "À la vue des foules, il en eut pitié, car ces gens étaient las et prostrés comme des brebis qui n'ont pas de berger" (Mt 9, 36). Effectivement, ce jeune avait suscité chez moi la même compassion que celle du Christ à la vue des foules de Palestine. Je n'avais pas saisi les ressorts de cette compassion tout de suite. Maintenant, en me remémorant les paroles de Jésus, je comprenais ce que signifiait le réflexe instantané du jeune face à la sollicitation de son smartphone : il était perdu, seul au milieu de cette foule et cette solitude s'étendait à toute sa vie spirituelle, ou tout au moins à ce qui en tenait lieu. Comme tant d'autres hommes de son âge, il était ballotté au gré des aléas de l'existence, sans but précis et dans un tel état de déréliction que la moindre notification de son portable lui paraissait une bouée de sauvetage à laquelle il pût se raccrocher.
L'attente du Messie n'a pas disparu
"Des brebis sans berger" : et si l'état spirituel de nos contemporains était le même que celui des foules que croisa le Christ il y a deux mille ans ? Si notre jeunesse sursaute d'impatience et de fébrilité à la moindre notification de son portable, n'est-ce pas le signe qu'elle est en attente de quelque chose... ou de Quelqu'un ? Toute la Bible est le récit de l'attente d'un sauveur par le peuple de l'Alliance.
L'attente du Messie n'est pas moins prégnante parce qu'elle reste inconsciente.
Or, l'Ancien Testament, loin d'être caduc, continue à nourrir notre vie spirituelle, même chez les chrétiens, parce qu'il parle de la condition humaine. Ce qui signifie que les hommes sont en attente d'un messie. Certes, les chrétiens l'ont trouvé en la personne de Jésus-Christ. Mais tout le monde n'est pas chrétien, et les disciples de Jésus continuent eux aussi à prier que le Christ ("Christ" signifie "messie" en grec) vienne dans leurs cœurs. La condition du peuple de la Bible est toujours celle de la majorité des hommes. Si la plupart n'en ont pas conscience, cela n'enlève rien toutefois à la réalité de cet état de fait spirituel. L'attente du Messie n'est pas moins prégnante parce qu'elle reste inconsciente.
Jésus désire plus que jamais venir nous rendre visite
Malgré son jeune âge, ce jeune dans la rue me fit penser ultérieurement aux personnes âgées qui ne reçoivent que de rares visites chez elles ou dans les Ehpad et qui manifestent leur joie lorsqu'une connaissance se déplace pour venir prendre de leurs nouvelles ou tout simplement partager un moment de convivialité avec elles. À l'instar de nos anciens, reclus chez eux ou dans les maisons de retraite, ce jeune attendait lui aussi inconsciemment une visite. Certes, jamais la notification de son smartphone ne serait en mesure de combler son attente. Cependant la célérité avec laquelle il avait extirpé son portable de sa poche trahissait chez lui le désir que quelqu'un vînt lui rendre visite.
Nous, chrétiens, connaissons l'identité de Celui qui, ami des hommes et tout-puissant, ne demande pas mieux que de venir faire sa demeure dans le cœur de chaque homme et chaque femme (Jn 14, 23). Aussi nous incombe-t-il de dire à ces foules sans berger, dérivant vers des rivages inconnus, que Jésus frappe sans relâche à leur porte pour venir leur tenir compagnie (Ap 3,20), étancher leur soif et les mener à la Joie qui ne passera pas. Une joie et une Présence sans commune mesure avec les futiles et éphémères sollicitations de leurs smartphones.