Par Hugues Lefèvre, envoyé spécial au Soudan du Sud. Le soleil a du mal à percer le voile de fumée dans le ciel de Djouba en ce dimanche 5 février. Mais déjà la chaleur recouvre l'immense esplanade du Mausolée John Garang, le 'père' de l'État du Soudan du Sud, créé en 2011. Il y a encore quelques années, ce terrain poussiéreux sur lequel se sont massées ce dimanche plus de 70.000 personnes était miné. Comme un symbole dans ce pays où tout rappelle à la guerre.
De la foule sagement assise et sous bonne garde s'envole bien sûr de la joie. "Je suis très heureux de voir le Pape chez nous", raconte Christopher Dominic, 57 ans, qui n'avait pu rencontrer Jean Paul II lors de son voyage en 1993 au Soudan, quand le pays était encore réuni. Mais la misère de la région transparaît aussi, quand au détour d'une allée on croise une femme à quatre pattes, des sandales aux mains, tentant de se mouvoir pour chercher un peu d'eau.
Les femmes. Cela aura été l'une des thématiques importantes de ces trois jours de présence du Pape au Soudan du Sud. Dans ce pays où les violences n'en finissent pas, apportant chaque mois son lot de morts, elles sont selon le Pape "la clé pour transformer le pays". Dans l'un de ses discours, il a d'ailleurs plaidé pour qu'elles aient l'opportunité et les capacités de changer le visage du Soudan du Sud. "Mais, s’il vous plaît, a-t-il ajouté, je supplie tous les habitants de ces terres : que la femme soit protégée, respectée, valorisée et honorée". Un message fort qui n'a pas été prononcé par hasard. Dans ce pays, les femmes risquent au quotidien d'être violées, expliquait une responsable des Nations unies devant le pontife,.
"Vous apprécierez et honorerez les femmes, sans jamais les violer, sans jamais être violents, sans jamais être cruels, sans jamais les utiliser comme si elles étaient là pour satisfaire un désir". L'archevêque de Canterbury, Justin Welby, présent aux côtés de François aura sans doute eu sur ce sujet les mots les plus forts durant ce voyage œcuménique pour la paix au Soudan du Sud. Et pour cause, son épouse, venue avec lui, est investie dans la défense des femmes sud-soudanaises. Elle a pu lui raconter qu'elles vivent avec "le traumatisme de la violence sexuelle".
C’est important que les hommes présents ici entendent ce qu’a dit le Pape.
"Nous faisons face à de nombreux abus", confirme Poni Pamela Benjamin, assise non loin de la statue de John Garang. La mère de trois enfants a dormi dehors pour être certaine de pouvoir assister à la messe du Pape. La veille, elle se trouvait déjà sur l'esplanade du Mausolée, et a participé à la veillée œcuménique, en présence de l'évêque de Rome, de l'archevêque de Canterbury et du modérateur de l'Église d'Écosse. "C’est important que les hommes présents ici entendent ce qu’a dit le Pape", confie-t-elle. Elle indique que beaucoup de femmes dans ce pays se retrouvent veuves à cause des violences et qu'elles sont donc extrêmement vulnérables.
"Nous avons des cœurs blessés, des blessures qui demeurent", raconte encore la femme au large bandeau blanc et or qui coiffe ses cheveux. Comme tant de femmes africaines qui ont accueilli les messages des leaders religieux par des hululements, elle espère désormais que leurs paroles pourront ruisseler dans le cœur des hommes.