"J'étais très proche de lui". Frère Nuno de São José, 47 ans, est l'un des cinq trappistes du monastère Notre-Dame de l'Atlas situé à Midelt, au Maroc. Il a bien connu frère Jean-Pierre Schumacher, le dernier moine survivant du massacre de Tibhirine, décédé le 21 novembre 2021. Et pour cause. Aide-soignant de formation, frère Nuno l'a accompagné de très près pendant les dernières années de sa vie, tel un ami attentif. C'est lui qui se tenait dans sa chambre à ses côtés quand le moine de 97 ans a rendu son dernier souffle.
Assis à deux pas de la tombe de celui qu'il a bien connu, un léger parfum de pin flottant dans l'air et les sommets de l'Atlas s'élevant majestueusement au loin, le trappiste à la longue barbe poivre et sel se souvient de celui qu'il nomme volontiers son meilleur ami. Il décrit d'abord un homme d'une fidélité exemplaire, qu'il s'agisse de sa vie de prière ou de sa correspondance épistolaire. Moine jusqu'au bout des ongles, son livre d'heures l'accompagnait partout. "Il avait le souci de prier. Chaque fois que nous partions chez le médecin, il emportait son bréviaire avec lui", raconte frère Nuno. "Une heure avant de mourir, il a pris son petit déjeuner, puis il m'a dit : “Maintenant, je vais prier l'office“". Quant à sa correspondance, il se faisait fort de répondre à chacun de ceux qui lui écrivaient... Quitte à se remettre à l'allemand à 94 ans afin de répondre à une religieuse qui s'adressait à lui de l'autre côté du Rhin. Frère Nuno affirme l'avoir aperçu, un dictionnaire français-allemand à la main. "C'était comme une expression de son sens de la responsabilité et de l'amitié'', analyse-t-il.
Il avait une prédisposition à une certaine joie.
Il décrit également une personnalité qui savait manifester sa gratitude. "Il était toujours reconnaissant : il nous remerciait pour nos soins et nos attentions et disait qu'il était gâté. Il était facilement dans la gratitude pour de petits services de rien du tout". Des ''merci" qu'il savait exprimer avec malice. Frère Nuno se rappelle ce déambulateur offert au monastère qu'ils avaient baptisé ensemble Fiat, puis Mercedes, parce que, tel un bolide, il permettait au frère âgé de se déplacer partout. "Nous rigolions beaucoup ensemble !''. Un jour, il a fallu installer une sonnette d'urgence dans la chambre du religieux devenu de plus en plus dépendant. Au choix : la traditionnelle et la Rossignol. ''Je veux la Rossignol !", s'était alors exclamé le vieux moine. "Il avait une prédisposition à une certaine joie'', poursuit le trappiste. Frère Jean-Pierre était ce genre de personne qui a la banane dès le réveil. "Son sourire était pour tout le monde : pour les frères et pour les visiteurs."
Ce qui n'exclut pas des moments plus sombres. "Il pouvait s'entêter pour des choses sans importance. Parfois, nous nous engueulions, mais s'il se rendait compte qu'il avait raté quelque chose, il était capable de demander pardon", livre frère Nuno. La joie reprenait vite le dessus, souffle le religieux qui rapporte qu'un jour, il a trouvé frère Jean-Pierre accablé dans le cimetière, retranché dans sa solitude... et pourtant en train de chanter. Sa joie, loin d'être superficielle, était comme un parti pris, quelles que puissent être les circonstances.