Le 24 février, le matin de l’offensive russe sur l’Ukraine, Svetlana est réveillée par des bruits assourdissants des bombes qui tombent à quelques kilomètres seulement de sa maison à Kharkiv. "Les fenêtres ont vibré. C’était le début de la guerre. J’ai tout de suite compris que je devais faire sortir mes deux enfants du pays pour qu’ils soient en sécurité", nous raconte Svetlana.
Après avoir appelé ses parents, sa sœur, ses neveux et nièces, elle appelle sa sœur jumelle , Tatiana, qui habite en France, à Biarritz. Cette dernière lui dit de la rejoindre au plus vite et propose d’accueillir tous les membres de la famille désireux de fuir l’Ukraine. Mais ils ne semblent pas prêts. Certains sont au travail, d’autres sont sous le choc. Les parents de Svetlana, 80 ans, n’ont pas la force de quitter l’Ukraine, même s'ils comprennent que l'heure est grave. Svetlana implore ses proches de quitter au moins leurs appartements pour se cacher dans la cave aménagée de sa maison de ville.
Un départ précipité
Elle ne sait pas comment la situation va évoluer. Elle a peur que les bombardements s'intensifient et qu'elle ne puisse plus quitter la ville. Elle veut d'abord rejoindre son mari, Viktor (son prénom a été changé), qui travaille à Dnipro, à 200 kilomètres de Kharkiv. Dans cette ville la situation semble plus calme. "J'avais très peur pour mes enfants. J'ai réveillé Akim et Anna, nos jumeaux de 8 ans et demi, pour leur annoncer le début de la guerre. Anna s'est mise à pleurer. Akim ne comprenait pas vraiment ce qui se passait", se souvient Svetlana. Vite, elle rassemble les passeports de la famille et surtout des vêtements pour ses enfants. "J'ai aussi glissé dans la valise quelques petites icônes, un livre de prières, un psautier et un évangile. Malheureusement, je n'ai pas pu prendre des équipements médicaux pour ma fille Anna, qui a des problèmes de santé", précise cette notaire de 44 ans, qui a dû mettre sa carrière entre parenthèses pour s'occuper de sa fille.
J’entendais des bombes tomber au loin. Je n’arrêtais pas de réciter la prière du cœur.
"Mes parents sont arrivés entre temps pour se réfugier à la maison. Ils ne voulaient toujours pas partir avec moi", précise Svetlana. En larmes, elle leur dit au revoir et part retrouver son époux. Dehors, elle observe des gens paniqués. Tous les magasins et toutes les pharmacies sont fermés. Des files d’attente sont de plus en plus longues aux stations essence. "J’avais deux jerricans d’essence chez moi, je n’avais pas besoin de faire le plein", explique-t-elle. Pour éviter les bouchons Svetlana roule à contresens et à vive allure : "Au loin, j’entendais des bombes exploser. Je ne cessais de réciter la prière du cœur", confie-t-elle.
Les déchirants adieux avec son mari
Après avoir passé une nuit à Dnipro, Svetlana et Viktor, rejoignent des amis qui se dirigent vers la frontière roumaine. "Vladimir et Elena connaissaient mieux que nous cette partie du pays. On suivait leur voiture. Sur le chemin, nous avons souvent été arrêtés par des soldats Ukrainiens. On leur disait qu’on faisait sortir les enfants du pays".
Ce 25 février, il y a déjà des kilomètres de bouchons à la frontière : "Nous avons attendu 24 heures, les voitures n'avançaient pas. Heureusement que mon mari est resté jusqu'au bout avec nous dans la voiture. Sa présence me rassurait car le soir les gens ont commencé à stresser. C'était la cohue !", se souvient Svetlana. Avec ses enfants, elle fait ses adieux à Viktor. Comme tous les hommes de 18 à 60 ans, il ne peut pas quitter l'Ukraine. "C’était très dur de lui dire au revoir, de savoir qu’il ne sera pas près de moi et qu’il ne pourra pas veiller sur nous. Nous ne savons pas quand nous nous retrouverons", glisse la mère de famille.
Viktor repart dans la voiture de son ami Vladimir, dont l'épouse et les enfants prennent le bus en direction de l'Italie. Svetlana, elle, rejoindra Biarritz avec la voiture familiale. Une amie la retrouve en Roumanie pour faire la route ensemble : "J'ai appelé Catalina qui connaît mieux que moi l’Europe et ses routes. Elle m'a proposé son aide. Je savais que je serai en sécurité avec elle. Nous avons aussi pris avec nous Alexandra, une jeune ukrainienne de 16 ans, pour qu'elle retrouve sa maman qui habite à Milan", explique Svetlana à Aleteia.
Cinq pays et plus de 3.500 kilomètres parcourus
Ensemble, la petite troupe parcourt plus de 3 500 kilomètres en moins de trois jours. Roumanie, Hongrie, Slovénie, Italie, France… Les pays défilent à travers la fenêtre de la voiture. "Les enfants étaient sages comme jamais. Ils savaient que le moment était grave. Nous ne nous sommes pas beaucoup arrêtés. Mais le peu de fois où nous l’avions fait, les gens étaient la plupart du temps très accueillants", raconte Svetlana.
À Suceava, en Roumaine, des amis de Catalina les hébergent pour une nuit. "Je prie tous les jours pour cette famille", souligne Svetlana. En Slovénie, plusieurs personnes leur adressent des sourires et viennent exprimer leur solidarité. Ils s'arrêtent ensuite à Milan pour déposer Alexandra. Les retrouvailles avec sa maman ont lieu dans le centre-ville. "Sur la Piazza del Duomo, devant la cathédrale de Milan, il y avait une manifestation pour la paix en Ukraine. Nous sommes restés un peu pour discuter avec des manifestants ukrainiens. C'était très émouvant", raconte Svetlana, en retenant ses larmes. Les deux femmes et les deux enfants marquent ensuite un arrêt en France, à Lyon. Dans un hôtel, une gentille serveuse leur propose quelques encas gratuitement pour la route.
Retrouvailles avec la famille
"Dans la voiture, je priais pour l'Ukraine et mes proches. Je lisais sans arrêt le Psautier et la prière pour la paix du métropolite Onufriy de Kiev", explique Svetlana. À plusieurs kilomètres de là, ses parents et le reste de sa famille se cachent dans la cave de sa maison. "Je les appelais tout le temps pour les informer de mon avancée et surtout pour les convaincre de suivre mon exemple. Mais ils avaient très peur que leur voiture se fasse bombarder sur le chemin. Ils n’étaient pas prêts moralement à quitter l’Ukraine", précise Svetlana.
Je lisais sans arrêt le Psautier et la prière pour la paix du métropolite Onufriy de Kiev.
Et le Seigneur finit par entendre ses supplications. Après cinq jours passés à se cacher des bombardements et des tirs, sa sœur aînée, Larissa, décide de la rejoindre. Elle est accompagnée de sa fille, de ses petits-enfants de 12 et 10 ans et de ses neveux, âgés de 14 et 21 ans. Pour eux, l’‘’exode’’ s’avère plus compliqué car les routes sont très bouchées et les bombardements s’intensifient. "J’avais très peur pour eux ! Ils ont mis quatre jours pour aller à la frontière de la Roumanie en voiture. Un chemin qui prend en général entre huit et neuve heures. Après cela, ils ont abandonné leur véhicule et attendu trois jours à la frontière. Les enfants étaient exténués. La mère de Catalina les a accueillis en Roumanie et amené à l’aéroport de Bucarest. Le mari de Tatiana est venu les récupérer à Paris et les a accompagné en train jusqu’à Biarritz. Ils sont arrivés le 9 mars, soit une semaine après moi", raconte Svetlana. Catalina, quant à elle, est repartie le 3 mars en Ukraine pour aider d'autres amis.
La peur pour les proches en Ukraine
Aujourd’hui, ils sont seize à vivre sous le toit de Tatiana et de son époux Christian à Biarritz. Sans leur aide et accueil, personne ne se saurait décidé à quitter l’Ukraine. "La maison n'est pas très grande, mais nous sommes heureux d'être tous ensemble en sécurité", note Svetlana. Les enfants sont plus sereins. Les adultes essayent de les préserver de toutes les informations inquiétantes au sujet de la guerre, même si leurs copains qui sont encore en Ukraine leur racontent ce qui s’y passe. Akim a voulu intégrer une école française. Il est en CE2. Quant à Anna, elle poursuit ses études pour le moment à distance. "Mes enfants étaient scolarisés dans une école privée à Kharkiv. Les cours ont repris en ligne récemment, chose qui est aujourd'hui rarissime en Ukraine car dans de nombreux endroits, touchés par de forts bombardements, il n'y a pas d'électricité, ni de possibilité de faire les cours. Mais la majeure partie du corps professoral et la plupart des élèves de notre école se trouvent aujourd'hui en Pologne, en Allemagne ou bien à l'Ouest de l'Ukraine, qui est relativement épargnée par la guerre", raconte Svetlana.
Aujourd’hui, elle reste tous les jours en contact avec son mari qui continue à travailler à Dnipro et vit momentanément dans cette ville. Elle appelle aussi plusieurs fois par jour ses parents via Viber, Whatsapp ou Telegram. Ils sont toujours à Kharkiv et se cachent dans la maison de Svetlana. "Nous avons aussi téléchargé Signal, une application de messagerie qui fonctionne sans connexion Internet. La connexion n'est pas toujours bonne partout en Ukraine à cause de la guerre", précise la mère de famille. Et d'ajouter : "J'ai très peur pour ma famille et mes amis restés en Ukraine. Je me réveille et je me couche avec une boule au ventre". Avec ses sœurs, elle implore tous les jours le Seigneur de mettre fin à cette guerre et de préserver ses proches restés en Ukraine.