Aucun doute, c’est à genoux qu’un évêque est le plus grand. Non pas agenouillé devant un ennemi qui le menace, lui demande de renier sa foi ou d’insulter son Sauveur. Face à de tels adversaires, il va de soi que tout chrétien gagne à rester debout, pour ne pas s’incliner devant l’accusation injuste ou le mensonge haineux. Devant les voleurs qui attaquent la bergerie, les mois et les années qui viennent exigent sûrement des pasteurs debout. C’est pourtant bien à genoux qu’un évêque est le plus grand, quand il se prosterne devant le Père dont il a rendu la paternité odieuse, devant le Sauveur qu’il a empêché d’agir, devant la Victime suprême qu’il a été incapable de reconnaître dans les enfants humiliés, leur tournant le dos pour couvrir les bourreaux.
Qui touche à la Miséricorde touche à Dieu ; qui dénature la Miséricorde trahit Dieu et qui trahit Dieu tue ou laisse tuer les plus faibles.
Il est grandi et non amoindri, l’évêque qui peut se rapprocher de la poussière dont il est fait, pour dire ses mots inouïs dans l’histoire de l’Église : « Nous découvrons que nous sommes capables, nous tes ministres, nous que tu as appelés et choisis, de profaner ton don le plus ultime, de transformer en un système humain de dégradation, de mépris, de mort, le don jaillissant de ton Esprit. » Quand l’institution obstrue et salit le canal de la grâce, un nettoyage radical s’impose et ce nettoyage est d’abord à demander à Dieu. À genoux, les évêques témoignent qu’une crise de l’Église ne relève pas d’abord d’explications sociologiques, mais d’une perte du sens du surnaturel ; elle ne se résout pas d’abord par une campagne de communication, un changement de logo ni même un plan de licenciement, mais par la pénitence de cœurs brisés et broyés. Tant pis si des flagellants aux motivations douteuses ajoutent quelques coups injustes.
La Miséricorde puisée à la source
Heureuses les victimes qui ont compris que, pour les évêques, demander pardon à Dieu n’était pas faire diversion, mais au contraire se rendre enfin capables de les écouter avec une miséricorde puisée à sa source pure. « Pardonne-nous d’avoir pris ta miséricorde pour une tolérance devant le mal », dit encore l’évêque agenouillé. La fécondité paradoxale de tant de crimes impunis tient peut-être tout entière dans cet aveu enfin lucide, qui vaut toutes les statistiques et toutes les réflexions sur les organigrammes. Un autre évêque, romanesque celui-là, le monseigneur Bienvenue des Misérables d’Hugo, ne disait pas pour rien à Dieu : « Mais Salomon vous nomme Miséricorde, et c’est là le plus beau de tous vos noms. » Qui touche à la Miséricorde touche à Dieu ; qui dénature la Miséricorde trahit Dieu et qui trahit Dieu tue ou laisse tuer les plus faibles.
Suite aux révélations du rapport de la Ciase, beaucoup se sont demandés si l’Église de France pourrait se relever. Devant les évêques pénitents, demandant pardon pour une miséricorde dévoyée, on se dit qu’il n’est pas forcément mauvais qu’elle prolonge un temps sa station à genoux.