L’Esprit saint reçu à la Pentecôte permet aux apôtres de se lancer dans l’aventure millénaire de l’annonce de la Bonne Nouvelle. Aujourd’hui encore, c’est par la puissance de l’Esprit que nous annonçons que le Christ est mort et ressuscité, qu’Il nous ouvre la vie éternelle et révèle l’Amour du Père. Nous savons bien, dans nos vieilles nations chrétiennes, que cette évangélisation n’est pas réservée à des pays lointains et exotiques et que l’annonce de l’Évangile concerne autant notre voisin de palier que la Cochinchine. La question de l’évangélisation des musulmans est aussi au cœur de nos prières et je crois qu’il nous faut en parler sereinement.
Il y a eu dans l’Église un discours que j’ai souvent entendu depuis vingt-cinq ans que je suis prêtre qui consiste à dire que l’important est que chacun puisse vivre et approfondir sa religion et que toute annonce du Christ et du salut donné par le Christ serait un viol de la conscience ou un prosélytisme insupportable. Depuis quand partager à quelqu’un quelque chose auquel l’on croit, que l’on aime ou qui nous fait vivre serait un viol de la conscience ? Il n’y aurait plus aucun partage sur quoi que ce soit si tel était le cas et heureusement que dans nos vies certains nous ont partagé leur foi. Ce serait plutôt un manque de respect que de ne pas dire à l’autre ce qui nous fait vivre et irrigue notre vie et nos décisions. Gangrénés par une laïcité pour laquelle la foi est une réalité honteuse, nous pensons que toute conviction religieuse doit être bannie de nos échanges. La pudibonderie religieuse atteint des niveaux que la pudibonderie sexuelle n’avait jamais atteints.
Soit qu’il vienne d’une condescendance mal placée, soit qu’il vienne d’un manque de foi de la part du chrétien qui a peur de ne pas savoir répondre aux questions posées, ce refus de parler du Christ révèle les fragilités de notre foi.
Il y a eu aussi une attitude de mise à distance face aux musulmans comme s’ils étaient les seuls auxquels l’on ne puisse pas annoncer Jésus-Christ. Soit qu’il vienne d’une condescendance mal placée, soit qu’il vienne d’un manque de foi de la part du chrétien qui a peur de ne pas savoir répondre aux questions posées, ce refus de parler du Christ révèle les fragilités de notre foi. Sommes-nous convaincus que le Christ est Seigneur pour pouvoir l’annoncer ? Sommes-nous convaincus que tout homme est appelé au Salut par la Croix ? Respectons-nous suffisamment chaque personne pour le lui dire au lieu de placer notre respect de l’autre dans le silence d’une confortable indifférence ?
Parfois certains musulmans, souhaitant devenir chrétiens, entendent dans les bureaux d’accueil de nos paroisses des réponses étonnantes : « Nous ne baptisons pas les musulmans ici » (sic) ; « Allez voir dans votre paroisse » (alors que justement cette personne ne va pas dans son quartier par discrétion et qu’elle ne sait même pas ce qu’est une paroisse) ; « Parlez-en d’abord dans votre famille » ; « Relisez d’abord le Coran » etc. Certains qui voudraient quitter l’islam entendent juste un discours sur la beauté de la foi musulmane et de la culture arabe (avec une confusion entre les deux) qui ne répond pas à leurs questions. Le chrétien devient un obstacle en plus de tous les obstacles familiaux, culturels et sociaux auxquels ils doivent faire face. Si Dieu parle à leurs cœurs, nous n’avons qu’à accueillir et accompagner, au rythme de la personne, pour lui révéler la Bonne Nouvelle du salut, avec sa beauté et ses exigences. L’Évangile n’a pas besoin de passer par nos édulcorations pour être séduisant.
Souvent aussi nos communautés manquent d’accueil et de charité et laissent les nouveaux convertis seuls. Ils renoncent à beaucoup, sont souvent incompris, leur conversion devient une faute dont leurs parents portent le poids. La liberté de conscience est une réalité qui est évidente pour nous chrétiens mais qui n’a pas la même valeur dans le monde musulman. La chaleur de nos communautés chrétiennes est indispensable à toute vie de foi.
Alors que tout le monde réfléchit « au monde d’après » (qui est le même qu’avant, peut-être en pire), nous devons penser à ce que Dieu demande à notre Église ici et maintenant. Ces réflexions mériteraient bien sûr plus de détails et de précisions que le format d’un tel billet ne permet pas mais il me semble que le défi lancé à notre Église n’est pas dans la conservation de ses structures ou dans la nostalgie de ce qui existait. Le défi est dans l’annonce de la foi et l’Esprit saint qui nous est donné en cette fête de la Pentecôte est Celui qui est à l’œuvre : il nous demande juste d’être les messagers de cette Bonne Nouvelle pour travailler dans le cœur de ceux qui sont appelés par le Père.