L’enseignement des « œuvres de l’âme et de l’esprit » a valu à deux professeurs d’être victime de la haine criminelle pour l’un et de la condamnation professionnelle pour l’autre.
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Mathieu et Samuel. Ce pourrait être le titre d’une fable contemporaine sur l’Éducation nationale, leur employeur commun. Pour Samuel Paty et Mathieu Faucher, la même mission : tenter de transmettre un héritage vivant, sans lequel chaque être ne serait qu’une matière malléable à volonté, se pliant aux lois du marché ou épousant la première idéologie désincarnée qui passe. Le même sujet brûlant qu’ils se refusaient à passer sous silence pour avoir la paix : Dieu à l’école. L’histoire de Mathieu Faucher est moins connue et moins tragique que celle de Samuel Paty, mais tout aussi instructive.
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Enseigner les œuvres de l’âme
Samuel Paty, décapité par un islamiste, a ensuite été donné en modèle à tous les enseignants. Dans l’hommage qu’il lui a rendu dans la cour de la Sorbonne, Emmanuel Macron a déclaré : “Nous continuerons, professeur. Avec tous les instituteurs et professeurs de France, nous enseignerons l’Histoire, ses gloires comme ses vicissitudes. Nous ferons découvrir la littérature, la musique, toutes les œuvres de l’âme et de l’esprit.” Voilà encore une fort belle déclaration. Le problème est qu’en 2017, Mathieu Faucher, lui, fut suspendu quatre mois par la rectrice de son académie, puis déplacé dans un autre établissement, parce qu’il avait appliqué par avance le programme fixé par le président. Il lui a fallu attendre le 17 décembre dernier, soit près de quatre ans, pour entendre la cour d’appel de Bordeaux reconnaître enfin qu’enseigner l’Histoire et « les œuvres de l’âme » n’était pas une « faute professionnelle grave ».
Cet instituteur agnostique de l’Indre avait été, on s’en souvient, dénoncé par lettre anonyme pour « prosélytisme religieux », parce qu’il pensait que ses élèves de CM1-CM2 avaient plus de chance de comprendre le baptême de Clovis s’ils savaient ce qu’était le baptême. Aux yeux des sectaires laïcards ou des simples girouettes de l’air du temps, il n’en faut pas plus pour passer pour un suppôt du Vatican ou un crypto-fondamentaliste.
Sur fond d’inculture religieuse
Samuel Paty et Mathieu Faucher. L’un et l’autre, avec des méthodes pédagogiques différentes — et comme telles, toujours discutables — tentaient de faire leur métier. L’un en a été définitivement empêché par la haine islamiste. Le second l’a été provisoirement, par ceux-là même qui auraient dû le féliciter de ne pas renoncer à instruire. Quand l’Éducation nationale comprendra-t-elle enfin que l’islamisme ne pousse jamais aussi bien que sur fond d’inculture religieuse et de désert spirituel ?
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Il n’y a pas mort d’homme, dira-t-on, et il faut savoir raison garder. Oui, bien sûr, les malheurs de Mathieu Faucher, suspendu puis déplacé avant d’être ultimement blanchi, sont sans commune mesure avec l’assassinat sauvage de Samuel Paty. Il est encore heureux que le cabinet d’un ministre de la République n’ait pas les méthodes d’islamistes sanguinaires ! Est-ce pour autant sans gravité, qu’il faille quatre ans pour que la justice reconnaisse enfin le droit pour un instituteur de lire devant sa classe l’Évangile de la femme adultère (présent au cœur de notre langue chaque fois que quelqu’un refuse de « jeter la pierre ») ? Est-ce anodin qu’un enseignant doive se lancer dans un marathon judiciaire pour continuer à montrer l’Évangile selon saint Matthieu de Pasolini ? Au passage, on se demande si la projection de Salo ou les 120 journées de Sodome du même Pasolini à des élèves de 10 ans aurait donné lieu à une dénonciation similaire.
Ridicule et inquiétant
Tout pourrait n’être que ridicule, en cette affaire, mais tout est profondément inquiétant. L’inquiétant est même que le ridicule ait pu nuire presque sans entraves pendant quatre ans, avant qu’un tribunal ne mette fin au feuilleton. Ridicules et inquiétants, les parents-corbeaux dénonçant un instituteur sans signer, croyant sans doute sauver la République en péril parce qu’ils allaient empêcher qu’on montre à leurs enfants Le prince d’Égypte. Ridicule et inquiétant, un chef d’établissement laissant faire une enquête dictée par une lettre anonyme. Ridicule et inquiétant, que même un professeur agnostique puisse désormais être condamné par sa hiérarchie pour « prosélytisme religieux ». Ridicule et inquiétant, qu’une séquence pédagogique puisse être jugée coupable par un inspecteur, au motif que certaines sources sont « moralisatrices ». Ridicule et inquiétant, que le cabinet du ministère, au lieu d’admettre au moins, à la suite d’un premier jugement, « une sanction disproportionnée », fasse appel pour maintenir l’accusation de faute grave.
Ridicule et inquiétant, plus encore, qu’il faille un tribunal pour apprendre au ministre de l’Éducation nationale que l’étude de la Bible n’est pas réservée au programme de la classe de sixième. Ridicule et inquiétant que Mathieu Faucher n’ait pas été compris immédiatement quand il a déclaré : “Comment des élèves de collège et de lycée pourraient-ils comprendre un texte de Victor Hugo, sans culture biblique ?” Ridicules et inquiétants, les propos du directeur académique : “L’étude répétée de textes directement issus de la Bible […] outrepasse la seule étude du fait religieux.” Autant dire plus généralement qu’il faut préférer à la lecture des textes leur résumé sur Internet. Blâme consternant : il condamne celui qui va à la source et promeut la paraphrase approximative. Surtout pas d’extraits « directement issus » de l’œuvre, mais la Bible revue et corrigée, par exemple avec Jésus revenant lapider la femme, comme on l’a vu dans une école chinoise !
Abus de pouvoir
La fin de l’année 2020 aura donc vu, par deux fois, le droit de condamner le gouvernement pour son incapacité à distinguer le culte et la culture. Dans le cadre de la jauge des messes, le conseil d’État l’a fait au nom de la liberté de culte. Dans le cas de l’enseignement du « fait religieux » à l’école, la cour administrative de Bordeaux l’a fait au nom de la culture : “Les séances organisées par Matthieu Faucher à partir de « textes de nature religieuse », au cours desquelles les faits religieux ont été ancrés « dans leurs contexte culturel et géopolitique » […] doivent être regardées comme répondant à des fins éducatives et pédagogiques en matière de connaissance des personnages mythologiques ou religieux.” Bref, en l’espace d’un mois, deux autorités indépendantes ont estimé que le gouvernement en place ne savait ni ce qu’était le culte, ni ce qu’était la culture et que cela l’avait amené à deux abus de pouvoir.
Dans son hommage, le président Macron déclarait : “Samuel Paty fut la victime de la conspiration funeste de la bêtise, du mensonge, de l’amalgame, de la haine de l’autre, de la haine de ce que, profondément, existentiellement, nous sommes.” Toute proportion gardée, la phrase s’applique à merveille à Mathieu Faucher. Il faut croire que la conspiration funeste peut trouver, y compris dans l’Éducation nationale, bien des alliés inespérés.
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