Ce fut là l’essentiel du message de l’écrivain François Mauriac, disparu il y a cinquante ans : en dépit du mal qui se répand et du trouble dans les âmes, tant qu’il restera des hommes pour croire au pardon de Dieu, rien ne sera perdu.À l’heure d’écrire cette tribune, qui va devenir hebdomadaire, le calendrier des morts nous dicte le sujet : il y a précisément cinquante ans, le 1er septembre 1970, mourait François Mauriac. L’anniversaire nous permet de rappeler une évidence à ne pas perdre de vue : un regard sur l’actualité qui ne convoquerait pas les grandes voix du passé serait condamné à la cécité. Léon Bloy le signalait dans une formule aussi provocatrice que lumineuse : « Quand je veux savoir les dernières nouvelles, je relis saint Paul. »
Le romancier du péché
Placer le nom de Mauriac au seuil de cette première tribune relève à la fois de l’hommage et du haut patronage. L’hommage va au romancier qui explora les moindres recoins de la lutte entre la nature et la grâce, au point d’être soupçonné de jansénisme morbide par tous les manichéens de la littérature sucrée. Il ne cherchait pourtant qu’à creuser les tréfonds d’une âme qui résiste longtemps à Dieu, pour mieux faire pressentir le miracle imperceptible d’un cœur qui s’ouvre enfin. Il ne fut le romancier du péché que parce qu’il croyait qu’il n’y a pas de plus grande grâce que d’entendre le Seigneur lui-même dire par la bouche du prêtre : « Tes péchés te sont remis. » Rien ne dit mieux sa foi que cette notation fulgurante : « Que le mal puisse être le péché, c’est la raison de notre espérance. » Le romancier qui est habité par cette foi, notait-il, si sombre que puisse être sa peinture romanesque, est en réalité « fou d’espérance ». Car si le mal est le péché, il peut être pardonné.
Dans les combats du siècle
À l’hommage au romancier, il faut ajouter ici le haut patronage du journaliste qui pendant dix-huit ans, de 1952 — année de son prix Nobel — jusqu’à sa mort, publia son Bloc-notes dans l’Express et dans le Figaro littéraire. À ceux qui cherchent des résolutions de rentrée, conseillons de lire un de ces courts textes chaque jour, dans les cinq tomes publiés dans un format de poche. L’ensemble esquisse le portait d’un catholique engagé dans les combats de son siècle, qui n’oublie jamais que les Évangiles sont sa meilleure boussole pour tenter de démêler les nœuds de vipère de l’actualité quotidienne.
Les bloc-notes de Mauriac offrent un compagnonnage avec un ami de l’Époux, qui croit que l’esprit du monde ne triomphera jamais entièrement.
Plus même qu’une plongée dans les luttes politiques des débuts de la Ve République ou dans la « petite guerre puérile et divertissante » qu’est souvent la vie littéraire, les bloc-notes de Mauriac offrent un compagnonnage avec un ami de l’Époux, qui croit que l’esprit du monde ne triomphera jamais entièrement. En témoigne un extrait de ces dernières notes, écrit trois semaines avant sa mort et publié à titre posthume, où il livre un testament spirituel qui semble fait pour tous les hommes tourmentés de 2020 :
« En ce dimanche dont la liturgie est centrée sur le Pain vivant, le père Lelong nous rappelle à la messe à la radio qu’en dépit de tous les événements, de tous les bouleversements dans l’Église et de cet immense reflux de la foi, tant qu’il restera des hommes pour croire au Pain vivant, rien ne sera perdu. »
Leçon de rentrée
Oui, tel est sans doute l’essentiel de ce que voulait transmettre Mauriac, malgré mille détours, et telle est la leçon de rentrée qu’il nous donne : même avec des masques sur le visage, même avec du gel hydro-alcoolique devenu la nouvelle eau bénite homologuée par le ministère de la Santé, même avec des cordons sanitaires qui donnent à penser que la zone est dangereuse et que tout tombe en ruine, même dans le souvenir douloureux de morts enterrés à la sauvette, le Christ ne cesse pas de s’offrir en nourriture pour donner la Vie. Si même le péché fonde notre espérance, combien plus l’innocence de l’Agneau immolé doit-elle nous ancrer dans le Royaume déjà commencé !
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