2018 est une année où le génie de l’écrivain catholique Georges Bernanos se rappelle à nous pour plusieurs raisons. Nous venons ainsi de célébrer les 70 ans de son rappel à Dieu et les 130 ans de sa naissance. Ajoutons à ces deux anniversaires qu’incontestablement, il fait partie de ces rares auteurs qui, les années passant, semblent plus que jamais d’actualité. Les motifs pour lire ou relire son œuvre ne manquent pas. En forme d’introduction à ce monument littéraire, la très réussie et courte biographie que Thomas Renaud lui consacre aux éditions Pagès semble parfaitement appropriée. Avec justesse, cet ouvrage fait découvrir, sans jamais la trahir, la pensée de cet auteur majeur de son temps et encore indispensable au nôtre. “On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure.” Ces mots si connus et tellement répétés de l’écrivain s’imposent pourtant comme une évidence à notre époque saturée d’informations, de connexions et de multiples sollicitations. Conserver une vie intérieure riche à notre époque devient une gageure. Cela est vrai aussi pour le chrétien dont la vie spirituelle est menacée. La garder intacte est plus que jamais un défi pour l’homme écrasé par la “civilisation des machines“.
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Entretenir cette vie de l’âme fut ainsi au cœur des préoccupations de Georges Bernanos. Thomas Renaud écrit ainsi très justement : “L’oubli de l’âme est l’obsession qui laissa Bernanos sans repos.” Voilà une des clés de compréhension de son œuvre. À cela s’ajoute son regard sur un monde qui semble s’assombrir au lendemain de la Grande Guerre. Un monde dans lequel l’espoir semble ne plus avoir sa place. Un monde où les hommes semblent avoir perdu la foi comme il l’évoque dans Le Journal d’un curé de campagne. Mais face à cet enlisement des hommes, son œuvre est un appel à la révolte et à l’espoir. Dans la forêt sombre, quand le chemin semble perdu, Bernanos apparaît comme une lumière. Il y a un avant et un après la rencontre avec ce géant des lettres qui écrase de son talent et de son génie visionnaire les médiocrités de notre temps.
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Connaître les multiples détours du fleuve sinueux de sa vie n’est pas nécessaire pour être frappé au cœur par cette œuvre unique. Cette existence, qui fut marquée par la guerre des tranchées, puis par de multiples voyages comme ceux au cœur de la fournaise d’une Espagne embrasée par la guerre civile, ou au Brésil, îlot protégé loin des drames d’un monde en guerre, permet de saisir toutefois les cheminements de cet homme tourmenté. Thomas Renaud éclaire avec justesse et esprit de synthèse cette vie comme les influences intellectuelles qui forgèrent son esprit puissant. Il offre ainsi les clés nécessaires pour tenter d’en comprendre les spécificités. Traiter de cette question, c’est aussi aborder la face plus sombre du grand homme, comme l’antisémitisme, ou plutôt ce que l’écrivain Sébastien Lapaque, fin connaisseur de son œuvre, préfère appeler “l’antijudaïsme de jeunesse”. Dans La grande peur des bien-pensants, il rend un hommage à son maître spirituel Édouard Drumont, l’auteur de La France juive, le grand pamphlet antisémite du XIXe. Des préjugés qui disparaitront l’âge mûr arrivant. La biographie évoque sa rencontre avec le bénédictin Paul Gordan, d’origine juive, lors de son séjour au Brésil. Ce religieux, bientôt son confesseur, réussit alors à éteindre cet antijudaïsme encore “partagé par de larges pans de la société française”.
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Mais n’oublions pas, comme ne manque pas de le souligner ce livre que ce grand chrétien fut aussi particulièrement dur avec ces frères en religion. Il appelle avec dérision “les chrétiens de pain d’épice” ceux qui, selon lui, trahissent le message originel du Christ. Ces chrétiens qui débordent d’esprit bourgeois et en oublient la miséricorde : “Ce catholicisme sans chair et sans Dieu le désespérait.” Une colère qu’il exprime à de multiples reprises : “La plupart des catholiques ne considèrent les évangiles que comme une espèce de code moral qui leur permet le salut éternel, en récompense de l’honnête exécution du devoir social.” Une exigence qui ne peut laisser insensible aucun chrétien.