Dans un monde angoissé et violent, où trouver la paix ? Sur la plage de sable d’une île déserte, dans un salon douillet devant un bon film, au fond d’un monastère retiré, ou en méditation dans la position du lotus ? La quête de l’homme contemporain est désespérée : il ne peut s’empêcher de désirer la paix de toute son âme, mais il n’y croit plus. Il lui paraît aussi impossible d’apaiser ses passions intimes et le feu de ses désirs que d’éteindre les conflits récurrents qui bouleversent la planète. Mais qu’est-ce que la paix ?
La paix commence par soi
Le grand Blaise Pascal paraît sceptique : « Il n’y a point ici de paix », écrivait-il. Saint Augustin n’est guère plus optimiste :
« Nous sommes ici-bas tiraillés entre la concupiscence qui nous tire vers le bas et Dieu qui nous attire vers le haut ; corps et âme ne seront pleinement réconciliés qu’au ciel. Alors, foin de paix sur la terre ? ».
Saint Thomas d’Aquin conseille de commencer par mettre de l’ordre en soi-même et dans ses relations avec les autres par l’exercice des vertus : la force, la tempérance, la justice, la prudence. Mais quel combat ! Pourtant, la paix n’est-elle pas devenue aujourd’hui un impératif vital ? Pas seulement pour notre bien-être personnel, mais pour ce monde. Après avoir passé mille jours et mille nuits en prière sur un rocher, saint Seraphim de Sarov assura : « Acquiers la paix intérieure, et des milliers autour de toi trouveront le salut ». La paix commence par soi.
Pour le chrétien, elle ne se cache pas dans le long fleuve tranquille d’une vie rangée et sans histoires : « Foutez-moi la paix ! ». Elle ne peut se confondre avec la satisfaction d’un enfant gâté, un bien-être psychologique immédiat, ni se réduire à un ordre social fournissant une sécurité efficace. Elle ne se conquiert pas à coup de relaxation, ni à coups de bâton. « Il y a une fausse paix qui est un mensonge, un aveuglement de soi, plus ou moins conscient, une installation dans un égoïsme fermé et confortable, une fuite », prévient un moine chartreux dans frère Aloïs, prieur de Taizé. C’est une paix au cœur des épreuves et des luttes. » La paix imperturbable est, selon saint Seraphim de Sarov, le signe spécifique de la présence de l’Esprit saint. « De toutes nos forces, appliquons-nous à sauvegarder la paix de l’âme et ne pas nous indigner quand les autres nous offensent, encourage-t-il. Abstenons-nous de toute colère et préservons l’intelligence et le cœur de tout mouvement inconsidéré. »
C’est dans la réalité concrète et parfois douloureuse de la vie quotidienne, avec ses imprévus et ses surprises, que nous pouvons rechercher à maintenir « notre âme dans la paix devant Notre Seigneur », selon l’expression du père François Libermann (1802-1852), juif converti, fondateur des Pères du Saint-Esprit. En simplifiant nos vies autour d’un seul désir : chercher la volonté de Dieu en toute chose, et lui faire totale confiance. Puis en rayonnant cette paix autour de nous car elle est, à cet égard, comme la violence : elle contamine, elle rayonne, et se nourrit de ce qu’elle embrase. Voici les dix clés pour atteindre cette paix du cœur.
1Ne pas désespérer de soi
« Si l’on se regarde un tant soit peu lucidement, on ne peut que constater nos déficiences, nos attachements, nos ambiguïtés », remarque le franciscain Éloi Leclerc, auteur de Sagesse d’un pauvre. Pour trouver la paix, il faut regarder Dieu et ne se regarder qu’en Dieu. « Notre extrême misère nous met dans la nécessité absolue d’avoir toujours recours à Dieu », soutenait également le père François Libermann.
Recourir à ce Dieu riche en miséricorde, c’est-à-dire - étymologiquement - dont le cœur plein de tendresse se penche sur notre misère. Et sous « l’amas de nos pauvretés », découvrir le trésor caché de notre être intérieur, modelé à l’image de Dieu. Nous devons apprendre à nous aimer avec le regard de Dieu, c’est-à-dire infiniment mieux. Ne pas s’inquiéter de nos chutes, ne pas se troubler de nos misères ni de notre tiédeur apparente. « La vue de notre incapacité et de notre nullité doit être pour nous un grand sujet de paix », assure le père Libermann. C’est pour cela que Dieu a envoyé son fils Jésus, non pour nous juger, mais pour nous sauver et nous redonner la vie. En purifiant notre cœur, Dieu nous rend apte à faire des œuvres bien plus grandes encore, empreintes d’amour car son esprit qui nous rend libre, peut enfin opérer en nous. Alors ne désespérons pas ! C’est le travail de toute une vie.
2Demander la grâce de la confiance
« Les raisons pour lesquelles nous perdons la paix sont toujours de mauvaises raisons », explique le père Jacques Philippe, auteur de Recherche la paix et poursuis-la (éd. des Béatitudes). « L’âme trouverait sa force, sa richesse et toute sa perfection en l’Esprit de Notre Seigneur, si elle voulait seulement s’abandonner à sa conduite, écrivait le père Libermann. Mais parce qu’elle le quitte, et veut agir par elle-même et en elle-même, elle ne trouve en soi que le trouble, la misère et l’incapacité la plus profonde »
Selon le père Jacques Philippe, le manque de paix vient d’un manque de confiance en Dieu. Sa condition est la « bonne volonté » ou la « pureté du cœur » : cette disposition stable et constante de l’homme décidé à aimer Dieu plus que tout et à lui faire confiance même pour les petites choses. « Il ne faut pas le craindre, insistait pour sa part le père Libermann, c’est lui faire grande injure, à lui qui est si bon, si doux, si aimable et si plein de tendresse et de miséricorde pour nous. » L’un des ennemis de la paix est ce pessimisme ambiant, teinté de cynisme, que nous respirons chaque jour. En effet, « le pessimisme agit en profondeur, il détruit l’envie d’agir pour les autres, il éteint jusqu’à l’inquiétude de l’intelligence, il génère le découragement », remarque Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté Sant’Egidio.
3Donner la priorité aux priorités
Dans une culture du zapping et de l’instantané, l’événement le plus proche (qu’il soit passé ou à venir) tend à envahir notre champ de conscience. N’avons-nous pas tendance à privilégier dans nos vies « l’urgent » au détriment de « l’important » ? Nous avons tous des emplois du temps chargés et des agendas bourrés, mais se pose-t-on la question : pleins de quoi ? Des priorités, nous n’en manquons pas : personnelles, familiales, professionnelles, amicales, sociales ou encore associatives. Une erreur courante consiste à en favoriser une seule, soit par passion ou de par son degré d’urgence, au détriment des autres. Par exemple, on ne prend du temps avec son enfant que lorsqu’il est en situation d’échec scolaire. Nous devons périodiquement revenir à nos priorités et remettre de l’ordre comme on le fait pour un placard. Pensons au conseil que Jésus donne à Marthe, qui s’agite et s’affaire et « ronchonne » parce que Marie, sa sœur, écoute la parole du fils de Dieu : Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire » (Lc 10, 41-42).
4Pratiquer « l’option préférentielle pour les pauvres »
Ce n’est pas parce que nous avons la conscience tranquille et le sentiment d’être en paix que nous sommes des hommes et des femmes de paix. Une certaine satisfaction égoïste peut nous en donner l’illusion. Dans une de ses conférences de carême, saint Thomas d’Aquin montre que seule la charité procure la paix parfaite. En effet, dit-il, c’est « un fait d’expérience que le désir des choses temporelles n’est pas comblé par leur possession. Une chose obtenue, on en veut une autre. Le cœur de l’impie est comme une mer bouillonnante qui ne peut s’apaiser ».
Comment aujourd’hui rester dans la paix alors que de plus en plus d’hommes et de femmes sont contraints à la misère dont nous sommes souvent, par notre manque de partage, les acteurs inconscients ? On ne peut ignorer ces réalités, ce serait trop facile, comme l’affirme le prophète Jérémie : « Ils traitent à la légère la blessure de mon peuple, en disant : ‘’Paix ! La paix !’’ alors qu’il n’y a pas de paix » (Jr 6, 14). « Si tu cherches la paix, va à la rencontre des pauvres », conseillait saint Jean-Paul II, convaincu que l’extrême misère des masses humaines engendre les situations explosives de notre temps. Il ne s’agit pas tant de se culpabiliser que de se laisser interpeller. Et si le cri du pauvre était celui du Christ ? Quand on est riche, on n’aime pas parler de la pauvreté. Et autant le reconnaître d’emblée, la plupart d’entre nous, nous sommes « riches ». La tentation est grande de se replier dans ses « petits paradis » surtout lorsqu’on se sent dépassé et démuni. L’Évangile nous stimule toujours à trouver de nouvelles voies. L’image du pauvre n’est que le miroir de la pauvreté de notre cœur. La seule réponse à la pauvreté, c’est un surcroît d’amour.
5Ne pas perdre de vue le but de notre vie
« Celui qui a un ‘’pourquoi’’ qui lui tient lieu de but, de finalité, peut vivre avec n’importe quel ‘’comment’’ », disait Nietzsche. Le psychiatre viennois Victor Frankl a fait le même constat dans l’enfer des camps de concentration : ceux qui s’en sortaient avaient au moins une raison d’espérer. Le bien-être profond repose d’abord sur le besoin primordial de donner un sens à sa vie. Et plus le but est élevé, plus notre vie a du sens, et plus notre être se réalise dans le don et s’épanouit. Mère Teresa, quand elle soignait les pauvres, c’est le Christ lui-même qu’elle soignait. Faire son devoir d’état, c’est bien ; le faire par amour, c’est mieux. Infiniment mieux ! Surtout quand nous essayons de peser chaque décision à la lumière de la volonté de Dieu et de vivre selon « l’option préférentielle pour Dieu ».
6Pardonner à ceux qui nous ont offensés
Disputes, conflits, crises, nous font tous souffrir. Ils peuvent parfois conduire à la rupture, plus ou moins graves… Parfois, nous pouvons en être douloureusement affectés au point de garder, dans un recoin du cœur, une rancune durable et un sentiment d’amertume tenace. La rancœur et la haine sont des poisons redoutables. Le pardon est le seul antidote efficace pour retrouver le chemin de la sérénité. C’est souvent un acte héroïque, fruit d’une longue démarche. En effet, selon la gravité, les effets, les auteurs et les circonstances de l’offense, le chemin qui conduit au pardon peut demander du temps.
"Le pardon est le seul antidote efficace pour retrouver le chemin de la sérénité."
C’est normal puisque le pardon, c’est l’amour de l’ennemi (on peut d’ailleurs être son propre ennemi). Il est comme une ligne d’horizon à atteindre. « Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande » (Mt 5, 23-24).
7Ne pas se laisser assujettir par la peur
Pour Andrea Riccardi, la peur est une maladie de notre temps, « que nous habillons de notions plus honorables ». Nous avons peur de manquer, peur de perdre ou de ne pas acquérir. Peur de l’avenir, de la mort, de la souffrance. Peur de ne pas être à la hauteur. Peur du regard des autres. Nos peurs touchent tous les domaines de notre vie et nous paralysent souvent. De plus la peur mène au péché (qu’on relise le livre de la Genèse pour s’en convaincre). Là où nous avons raison d’avoir peur, c’est que nous ne serons jamais assurés de rien.
Vivre en paix suppose d’arrêter la motrice de notre imagination qui tire les wagons de nos soucis à grande vitesse. « N’ayez pas peur ! » On retrouve, dit-on, cette injonction à trois cent soixante-cinq reprises dans la Bible. Ce qui veut dire une fois pour chaque jour. Ce fut le premier mot lancé par saint Jean-Paul II à notre époque angoissée. « Qui d’entre vous, en se faisant du souci, peut ajouter une coudée à la longueur de sa vie ? » (Mt 6, 27). Comment conserver la paix intérieure ? En remettant notre passé à la miséricorde de Dieu (par le pardon) et l’avenir à la Providence (par l’abandon). Et en vivant rien que pour aujourd’hui. « Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine » (Mt 6, 34).
8S’abandonner à Dieu sans condition
Les difficultés, les crises et les épreuves sont inévitables. La réalité ne se plie pas toujours à nos « saintes » volontés. La confiance en Dieu nous aide à accepter humblement les événements, à y faire face tant bien que mal, à y voir des chemins de sainteté et de paix. Le père Jacques Philippe, reprenant les paroles de saint Paul, décrit la vie chrétienne comme un combat spirituel (Ép 6, 10-17). Il nous faut endosser l’armure de Dieu : la foi, la parole de Dieu, la prière, les sacrements. « Je puis tout en celui qui me rend fort », assure l’Apôtre qui nous transmet cette promesse divine : « Ma grâce te suffit ! Car ma puissance se manifeste dans la faiblesse ».
L’important, dit saint François de Sales, n’est pas de « tenir notre cœur en paix mais d’y travailler ». C’est un chemin à refaire chaque jour : ne pas se décourager ; commencer par de petits pas et essayer de les tenir ; persévérer dans la prière afin de se remettre sans cesse sous le regard de Jésus. « Ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, priez et suppliez, tout en rendant grâce, pour faire connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir, gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus » (Ph 4, 6-7).
9Quitter l’esprit de rivalité et de comparaison
La comparaison est l’un des pires poisons contre la paix du cœur. Devenir le plus beau, le plus fort, le plus puissant se fait toujours au détriment des autres. La culture du « petit chef » est sournoise et pernicieuse. L’esprit de rivalité suscite des sentiments « guerriers » : envies, jalousies, orgueil qui engendrent la tristesse. L’esprit critique provient également de la même conviction que « nous sommes les champions » : nous jugeons les autres en référence à ce que nous sommes, ce que nous possédons, ce que nous vivons. Contrairement aux idées reçues, il n’est pas besoin d’être dans la rivalité pour développer ses dons et ses qualités. Aimer, c’est vouloir le bien de l’autre, sans forcément jouer le rôle de la victime ou - pire encore - celui de « l’âme charitable ». Pas de sens unique en amour ! Il faut accepter aussi de recevoir. Et celui qui veut être « champion », qu’il sache comprendre celui qui perd !
10Apprendre à vivre dans l’instant, ici et maintenant
« Ce n’est pas de lieu qu’il faut changer, mais d’âme », disait le sage Sénèque. La paix ne se cache pas sur une île déserte ou au fond d’un monastère. Une clé simple, pour acquérir cette sérénité qui prédispose à la paix, est d’accueillir la vie dans chaque instant qui passe comme un don de Dieu : les couleurs fauves de l’automne, la neige, les premières pousses du printemps qui surgissent, l’enfant qui joue à nos côtés, un bon repas avec des amis, la visite d’une région inconnue, etc. L’accueillir et s’en émerveiller.
Une joie simple se cache parfois dans la dégustation consciente des « petits » bonheurs de la vie quotidienne, comme les a si bien décrits l’écrivain Philippe Delherm. Pas étonnant que le Dr Vittoz (grand thérapeute suisse qui a donné son nom à une célèbre méthode de rééducation) insiste autant sur l’importance, dans l’équilibre psychique des personnes, de la réception du monde extérieur par nos sens, et de la prise de conscience de l’instant présent. L’émerveillement conduit à la louange et à l’adoration. Car celui qui s’émerveille finit par voir la signature du Créateur dans sa création. Et il devient comme un enfant, plein de confiance en ce Dieu de tendresse.
"Une joie simple se cache parfois dans la dégustation consciente des « petits » bonheurs de la vie quotidienne."
« Soyez docile et souple entre les mains de Dieu, recommande le père Libermann. Vous savez ce qu’il faut faire pour cela : se tenir en paix et en tout repos, ne s’inquiéter jamais et ne se troubler de rien, oublier le passé, vivre comme s’il n’existait pas d’avenir, vivre pour Jésus dans le moment qu’on vit, ou plutôt vivre comme si l’on n’avait pas de vie en soi, mais laisser Jésus vivre à son aise ».
Loïc Joncheray et Luc Adrian