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[HOMÉLIE] L’Eucharistie ne s’achève véritablement que dans le service fraternel

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Église Notre Dame de l'Assomption à Cordon (Haute-Savoie).

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Jean-Thomas de Beauregard - publié le 16/04/25
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Religieux dominicain du couvent de Bordeaux, le frère Jean-Thomas de Beauregard commente l’évangile du Jeudi saint, en mémoire de la Cène du Seigneur. L’Eucharistie, sacrement de la charité, sommet de la vie de l’Église, n’accomplit son effet plénier que comme source de notre charité à nous autres, chrétiens.

Carême 2025

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Qui, dans l’Évangile, a le mieux compris le mystère de l’Eucharistie ? Judas. Et Caïphe. Celui qui a trahi Jésus, et celui qui l’a condamné à mort. Ce n’est pas si étonnant. Peu de gens croient autant au caractère sacré des hosties consacrées que les satanistes qui vandalisent les tabernacles. Ceux-là savent faire la différence entre un simple morceau de pain et le corps du Christ consacré par le prêtre à la Messe. Le Diable ne s’attaque qu’à ce qui en vaut vraiment la peine. C’est l’hommage du vice à la vertu. Qui dans l’Évangile a le mieux compris le mystère de l’Eucharistie ? Judas. Et Caïphe.

Judas refuse le sacrement de la charité

Pourquoi Judas ? Parce que lors de la dernière Cène, alors que Jésus instituait l’Eucharistie, Judas est parti. Il a refusé d’être parmi les disciples. Judas n’a pas communié. Parce qu’il avait compris que l’Eucharistie est le sacrement de la charité. L’Eucharistie unit dans une communion d’amour intime Jésus et ceux qu’il aime. Non seulement le sacrement du corps et du sang du Seigneur unit chaque baptisé au Christ, et par lui, à toute la Trinité, dans une communion d’amour, mais ce sacrement unit les baptisés entre eux par le lien de la charité pour édifier le corps mystique du Christ qu’est l’Église. Judas n’a pas communié. On ne s’approche pas de la sainte table pour recevoir Jésus lorsqu’on l’a trahi mortellement dans son cœur. Judas a deviné qu’il ne pouvait pas avoir part à ce mystère d’amour et d’unité qui est le mystère de l’Église épousée sur la Croix par le Christ son Époux.

Caïphe prophétise le sacrement du salut

Pourquoi Caïphe ? Parce qu’alors que les prêtres du Temple complotaient contre Jésus, Caïphe qui était grand-prêtre cette année-là, a prophétisé "que Jésus allait mourir pour la nation ; et ce n’était pas seulement pour la nation, c’était afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés" (Jn 11, 51-52). La Sainte Messe, c’est le mémorial du sacrifice de Jésus en Croix. L’Eucharistie nous associe au sacrifice désormais non sanglant du Christ. Celui qui communie au corps et au sang du Christ est au pied de la Croix. Or ce sacrifice est pour la nation, c’est-à-dire Israël, mais plus encore pour "rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés". Autrement dit, par l’Eucharistie, l’Église vise à s’agréger tous les hommes dans l’unité. La messe n’est pas une réunion pour se souvenir de Jésus entre nous, le club privé des admirateurs du Christ, c’est le sacrement célébré efficacement par l’Église pour le salut du monde entier. Caïphe a compris que l’Eucharistie est ce par quoi l’Église devient sacrement du salut du monde.

Ce que Jean a compris

Mais enfin, Judas et Caïphe sont-ils les seuls à avoir compris le mystère de l’Eucharistie ? Non bien sûr, Marc, Matthieu et Luc qui nous rapportent chacun le récit de l’institution de l’Eucharistie ont évidemment compris de quoi il retournait, de même que Paul qui le rapporte à son tour dans son épître aux Corinthiens. Mais paradoxalement, c’est peut-être saint Jean, qui ne rapporte pas le récit de l’institution de l’Eucharistie, qui l’a comprise mieux encore.

Jean ne rapporte pas le dernier repas du Christ avec ses disciples, ou plutôt il rapporte le geste que Jésus a posé cette occasion : le lavement des pieds (Jn 13, 1-20). Et Jean rapporte cette parole de Jésus : "C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous" (Jn 13, 15). On croit entendre : "Faites cela en mémoire de moi." Faut-il comprendre que Jean avait en vue un sacrement du lavement des pieds qui pourrait remplacer l’Eucharistie, voire qui lui serait supérieur ? Non. Jean sait combien le mystère de l’Eucharistie est indépassable, il en parle de manière voilée lors de son récit du discours du pain de vie. Mais Jean, à la suite de Jésus, veut nous faire comprendre autre chose.

L’Eucharistie, sommet de la vie de l’Église

Parce que le baptisé et toute l’Église participent avec Jésus au corps donné et au sang offert, la communauté eucharistique doit devenir servante. La communauté eucharistique n’est pas seulement bénéficiaire des fruits du salut, elle est constituée par Jésus comme servante du plan de Dieu sur tous les hommes. Le "faites ceci en mémoire de moi" ne concerne pas seulement la liturgie eucharistique, mais le service fraternel qui en découle, souvent jusqu’au martyre sanglant. Si donc Jean substitue au récit de l’institution de l’Eucharistie le récit du lavement des pieds, ce n’est pas pour relativiser l’un au profit de l’autre, c’est pour souligner que l’Eucharistie n’est véritablement achevée que dans le service fraternel. Qui se prosterne pour adorer le Saint-Sacrement dans l’ostensoir, qui s’agenouille devant Jésus-Eucharistie à la messe, mais ne daigne pas plier le genou devant ses frères pour les servir dans l’humilité, celui-là fait mentir le sacrement.

Comme tout sacrement, l’Eucharistie signifie et cause simultanément. L’Eucharistie, sacrement de la charité, signifie la charité du Christ. Parce que Jésus immolé et glorieux se donne à chacun d’entre nous, en son âme et en son corps, en sa divinité et son humanité. Parce que Jésus nous configure chaque fois un peu plus à lui lorsque nous l’accueillons en nous en recevant la communion. L’Eucharistie signifie donc parfaitement la charité du Christ. Mais l’Eucharistie, sacrement de la charité, n’accomplit son effet plénier que lorsqu’elle cause notre charité à nous autres, chrétiens. C’est ce qu’avait en vue le concile Vatican II lorsqu’il enseignait que l’Eucharistie est "le sommet auquel tend toute l’activité de l’Église, et en même temps la source d’où découle toute sa vertu" (Sacrosanctum concilium, n. 10). L’Eucharistie comme sommet de la vie de l’Église a été très heureusement retrouvée aujourd’hui après des décennies de saccage liturgique et doctrinal. Mais qu’en est-il de l’Eucharistie comme source ?

La source de tout notre agir

La liturgie de la messe n’est pas le dernier mot de l’Eucharistie. Bien sûr, il suffit de célébrer la messe dignement et selon les dispositions prévues par l’Église pour que Jésus soit réellement présent sous les espèces du pain et du vin consacrés. Des fruits en découleront normalement dans le cœur des fidèles. Mais il ne suffit pas de célébrer la messe pour que l’Église soit une communion de charité ni pour que l’Église soit servante. L’Eucharistie ne peut pas être une bulle de sacré flottant en apesanteur au-dessus du vide intersidéral de nos cœurs desséchés, incapables d’aimer et de servir efficacement nos frères. L’Eucharistie doit devenir réellement la source de tout notre agir. Le sacrement produit par lui-même de tels fruits, mais il y a nécessité d’une collaboration active de notre part.

Pour le comprendre, il suffit de revenir au sacrement tel qu’il se présente à nous. Le pain et le vin sont un don de Dieu issu de la Création. Mais pour que le blé devienne pain, et le raisin devienne vin, il a fallu que l’homme réponde au plan de Dieu par son travail. Ensuite seulement le pain et le vin, par la grâce de Dieu, deviennent le corps et le sang du Christ. Et ce corps et ce sang du Christ construisent l’Église dans l’unité et la charité. Autrement dit, à l’initiative divine, il faut que l’homme réponde par son travail. Au don inouï de l’Eucharistie, chaque chrétien pris séparément et l’Église prise comme un tout doit répondre par l’amour, l’unité, et le service fraternel. Et l’Esprit-Saint viendra transfigurer notre agir. Sans cela, l’Eucharistie est sommet mais n’est plus source. Nous allons communier ? Bien ! Alors aimons et servons nos frères dans l’humilité.

Lectures de la messe du Jeudi saint, en mémoire de la Cène du Seigneur :

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