Dix jours après la visite du ministre des Affaires étrangères français à Alger, la situation se tend à nouveau entre la France et l’Algérie, avec l’expulsion de douze diplomates français. Comment sortir de l’éternelle rengaine de la méfiance entre deux peuples qui, pourtant, ont beaucoup à se dire ? se demande l’écrivain Xavier Patier.Carême 2025
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On a l’impression de revoir indéfiniment le même film : la querelle entre l’Algérie souffrante et la France angoissée fait songer à la mer de Paul Valéry contemplée depuis les auteurs de Sète, toujours semblable et toujours recommencée. On ne prend pas les mêmes, on en prend d’autres. Mais on recommence quand même. Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune manifestent la même impuissance à se parler paisiblement que naguère Nicolas Sarkozy et Abdelaziz Bouteflika et avant eux les présidents Benjedid et Mitterrand, pour ne pas citer Valery Giscard d’Estaing et Houari Boumédiène ou, dans le registre opérationnel, Bruno Retailleau et Kamel Beldjoudj aujourd’hui.
Les années qui passent n’y font rien : ce n’est pas la bonne volonté qui manque de part et d’autre, en tout cas pas toujours, mais la confiance. Dans les relations franco-algériennes, le pire est toujours sûr. Tous les coups sont fourrés. Qui veut des applaudissements à peu de frais se doit de souffler sur les braises. Si vous voulez obtenir le suffrage en France, vous avez intérêt à insister sur le caractère corrompu et dictatorial d’un régime algérien qui n’est toujours pas parvenu à l’âge adulte. En Algérie, vous devez fonder votre fonds de commerce sur les abus de la colonisation.
De part et d’autre, vous êtes incité à vous enfermer dans l’éternelle rengaine, à dénoncer les humiliations qui vous sont infligées et les provocations inacceptables de l’autre. Dialogue impossible, car tourné vers le rétroviseur. Vous cherchez à apaiser les relations ? On vous accuse de faiblesse. Vous parlez de vérité ? On vous accuse de mentir. Vous vous montrez dur ? On vous reproche de ne pas l’être assez. Le mal est aggravé par le fait que les relations franco-algériennes sont, des deux côtés de la Méditerranée, des irritants de politique intérieure. En France, l’amitié pour l’Algérie est un attribut clivant de la gauche, quand la droite française préfère le roi du Maroc. En Algérie, la francophilie est un marqueur de la très marginale droite libérale, quand l’animosité antifrançaise reste un outil de rassemblement. Ne nous fions pas aux apparences. La force serait aujourd’hui de nous montrer capables de dépasser la politique des moulinets avec des sabres de bois.
Ni séparation, ni guérison
Au lendemain de l’indépendance, en 1963, le passé n’était pas censé décider de l’avenir. Des personnalités françaises avaient fondé, à l’initiative du général de Gaulle et d’Edmond Michelet, l’association France-Algérie qui avait pour ambition d’établir entre les peuples français et algérien des relations d’estime et d’amitié. Germaine Tillon, Stéphane Hessel, Joseph Rovan, François Mauriac en étaient. Quelques Pieds Noirs aussi. Cette association, qui continue d’organiser comme elle peut des échanges d’élus locaux ou de jeunes entre les deux pays, refuse de se laisser piéger par les vieux démons. Elle est persuadée que le peuple algérien a tout à gagner d’une relation de confiance avec la République française. Elle cherche finalement à mettre en œuvre le vœu formé en 1925 par le maréchal Lyautey : "Il y a lieu de prévoir qu’en un temps plus ou moins lointain, l’Afrique de Nord, évoluée, vivant de sa vie autonome, se détachera de la métropole. Il faut qu’à ce moment-là, et c’est le but suprême de notre politique, cette séparation se fasse sans douleur…"
Séparation sans douleur : le drame franco-algérien est qu’aujourd’hui encore il n’y a ni séparation, ni guérison. Le but suprême de notre politique franco-algérienne devrait être de tendre à cette séparation sans douleur. La politique se fait avec les passions, mais non pas en leur cédant. Il n’est pas question de nous montrer complaisants avec un régime policier ni de céder sur des injustices, mais de nous projeter plus loin, dans une direction qui est celle de l’amitié retrouvée de deux peuples qui se sont beaucoup battus et qui ont beaucoup à se dire. Le rapport de force peut se révéler utile dans l’instant, il ne fonde pas une relation de long terme. Gardons-nous des paroles de mépris et des actes de démission.