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[REPORTAGE] Faremoutiers, cette abbaye qui fait de la fragilité sa raison de vivre

Abbaye de Faremoutiers

Soeurs de l'Abbaye de Faremoutiers en tenue de travail (Seine et Marne).

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Cécile Séveirac - publié le 18/02/25
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L'abbaye bénédictine de Faremoutiers (Seine-et-Marne) a la particularité d'accueillir des religieuses fragilisées par leur âge ou des traumatismes psychologiques. Reportage au cœur de cette communauté "pas comme les autres", qui s'attache à maintenir une unité de vie spirituelle et à permettre aux sœurs de vivre jusqu'au bout leur vocation monastique.

Sœur Claire-Marie est courbée sur la terre qu'elle bêche avec opiniâtreté pour y planter des bulbes de tulipe. Lorsque son visage se lève pour observer son interlocuteur, le sourire qui l'illumine vient froisser un peu plus ce visage déjà marqué par les années. Sœur Claire-Marie a quelque chose du roseau fragile que les vents forts font plier mais ne brisent jamais. Comme beaucoup de religieuses ici. À l'abbaye de Faremoutiers, en Seine-et-Marne, la Congrégation bénédictine de Mont-Olivet poursuit des siècles de vie monastique en offrant à des sœurs en situation de fragilité une nouvelle demeure.

Abbaye de Faremoutiers
Sœur Claire-Marie.

22 religieuses y vivent, mais dans les couloirs de cette abbaye un peu atypique qui n'a presque rien gardé de son architecture historique, le visiteur sera surpris de croiser l'habit bénédictin, carmélite, ou encore clarisse. Fondée au VIIe siècle par sainte Fare, l'abbaye est reconstruite à plusieurs reprises, malmenée par un incendie en 1140, puis par la guerre de Cent Ans, enfin par la Révolution qui lui porte un coup fatal : la vie monastique s'achève et ses bâtiments séculiers sont réduits à néant. Devenue une demeure bourgeoise, elle ne retrouve sa vocation initiale qu'en 1930. C'est en 1980 que l'abbaye crée un EHPAD au service de sœurs âgées ou fragilisées originaires d’autres communautés contemplatives. Si l'abbaye accueille des religieuses d'ordres différents, c'est bien la règle bénédictine qui y est suivie. "Nous avons chez nous des sœurs visitandines, carmélites, de saint Jean, de Bethléem… Elles viennent chacune avec leurs trésors et leur enracinement spirituels et se coulent dans notre mode de vie bénédictin", confie Mère Maylis à Aleteia.

Parmi les sœurs accueillies, certaines ont vécu des situations douloureuses les amenant à chercher un nouveau refuge. Fermeture d'une abbaye, cas d'emprise et abus, santé psychologique fragile… Faremoutiers devient ainsi un nouveau lieu d’apaisement où les sœurs peuvent mener leur vie monastique jusqu'au bout. "Ce qu'on cherche à vivre, c'est un projet unique, dans lequel l'EHPAD est intégré dans la vie, il n'y a pas de séparation entre les sœurs âgées, celles qui ont vécu un traumatisme, et les autres", explique à Aleteia mère Maylis. "Nous faisons communauté, et c'est cela qui est vraiment thérapeutique : nous permettons à des sœurs en situation de fragilité de poursuivre leur chemin tout en se reconstruisant dans un milieu normal. On ne les met pas à part, nous ne formons qu'un seul corps". Les religieuses qui bénéficient de l'EHPAD reçoivent donc des soins prodigués par une équipe professionnelle au complet : infirmières, aides-soignantes, réflexologue, psychologue… Bien qu'agréé pour seulement 18 personnes, l'accompagnement réservé aux religieuses se veut irréprochable et particulièrement soigné. Les chambres sont aménagées spécialement pour ce faire avec un équipement suffisamment adapté pour prodiguer des soins palliatifs et accompagner jusqu'à la mort. Les religieuses qui ont un traitement sont suivies quotidiennement par Coralie, infirmière coordinatrice. "Elles ont un parcours de soins personnalisé, comme dans tout EHPAD", explique-t-elle. "La nuit, nous avons toujours un soignant qui est là pour assurer une présence. Nous restons les plus discrets possibles entre les offices pour ne pas casser le rythme de cette vie si particulière".

Abbaye de Faremoutiers
Mère Maylis

Soigner les corps... Et les âmes

Non loin de l'infirmerie, sœur Marie-Guénolé, 88 ans, bénédictine de Kergonan, prend son goûter. Depuis le couloir, des rires se font entendre : sœur Léonie-Marie s'affaire à l'atelier de carterie de l'abbaye de Faremoutiers, laissant volontiers sœur Maylis de Jésus la déconcentrer quelques instants. Les ateliers pédagogiques font aussi partie de l'univers Faremoutiers pour permettre aux sœurs de s'épanouir et de vivre pleinement leur vie contemplative. "Un lieu, pour se développer, doit vivre", affirme mère Maylis. "Vivoter, c'est mourir. Si on veut vivre, il faut favoriser la mise en place de projets". Les sœurs entretiennent par exemple leur propre tisanerie. Plus loin, dans le grand parc, se tient un petit troupeau de moutons. Avec la laine, les sœurs font des semelles, font faire des sacs ou des chapeaux à une modiste… Le fruit de ce travail monastique est ensuite mis à la vente dans leur boutique.

Dehors, sœur Claire-Marie s'affaire toujours au jardin. Âgée de 81 ans, elle est arrivée à Faremoutiers il y a cinq ans, après la fermeture de son monastère, Saint-Joseph du Bessillon à Cotignac. "80 ans, ça m'a mis un sacré coup de bambou !", s'exclame-t-elle dans un grand éclat de rire, "mais tant que je peux encore jardiner, tout va bien." Le soleil de Provence lui manque, reconnaît-elle avec une pointe de tristesse dans les yeux. "J'espérais bien y mourir. Mais la communauté a été dissoute. Je n'ai pas choisi d'arriver ici, c'est le Seigneur qui a choisi pour moi. Dans ces cas-là, il faut accepter de n'avoir pas choisi, et ça prend du temps. On en tire toujours quelque chose de bien", assure la bénédictine avant de se pencher de nouveau sur ses tulipes.

Abbaye de Faremoutiers
Sœur Marie-Aurélie et Virginie.

Sœur Marie-Aurélie fronce les sourcils devant les plans d'une nouvelle jardinière en bois à côté de Virginie, chargée de l'entretien du parc. "J'organise des ateliers jardinage certains après-midi. Les sœurs sont très demandeuses. Il y a des ateliers de semis, de germination... Nous avons aussi planté plusieurs plantes aromatiques qui permettent de faire de la tisane", explique Virginie. "Je n'y connais rien", glisse sœur Marie-Aurélie. Carmélite, elle est arrivée il y a trois ans à Faremoutiers pour des raisons de santé. Elle non plus n'avait pas prévu d'atterrir ici. "C'est le patron qui a voulu ça", glisse-t-elle dans un sourire. "C'est très bien ainsi. Et puis s'Il en a assez, Il viendra me chercher. Je crois que le secret du bonheur, c'est de s'abandonner à sa volonté".

[EN IMAGES] Faremoutiers, cette abbaye qui fait de la fragilité sa raison de vivre

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