"Excusez-moi, mais... est-ce normal qu’on ne puisse pas voir le conducteur ?" Dans un métro lancé à pleine vitesse dans une tunnel sans fin, la question posée d’une voix forte et empreinte d’une si grande douceur, fait se retourner les passagers alentour. Bien sûr qu’on ne peut pas le voir puisque la rame est maintenant automatisée. Un petit garçon, le nez sur le pare-brise avant de la voiture de tête, à quelques mètres de nous, regarde la vieille dame qui pourrait bien être sa grand-mère et à laquelle personne n’a encore répondu. Il lui dit : "Je suis le chauffeur du métro" d’un ton si péremptoire que nul ne peut y trouver à redire. Aussitôt il se retourne vers l’avant.
"Comme vous êtes aimables !"
Les quais de la prochaine station pointent au loin. Il dit : "Nous arrivons !" La rame s’arrête. Il crie "Ouverture des portes !" et les passagers montent et descendent.
La dame est enchantée. Elle me dit : "C’est merveilleux, vous ne trouvez pas, ces nouveaux métros ?" Puis elle décroche son téléphone : "Allo ? Oui, où dois-je descendre déjà ? Gare de l’Est ? Et ensuite, je prends l’escalator ? Non ? Tu me retrouves sur le quai ? Mais c’est épatant ! Je t’embrasse fort."
Un silence. Elle se retourne vers moi : "Vous souvenez-vous où je dois descendre déjà ?" Je lui réponds en lui redonnant le nom de la station. Aussitôt ma voisine renchérit : "Et surtout vous restez bien sur le quai car la personne que vous allez voir vous y attend." "Mais comme vous êtes aimables, tous", s’exclame-t-elle, ravie. Il reste huit arrêts avant d’atteindre la gare fatidique. Entre chacun d’eux, le même dialogue se noue et s’accomplit dans le sourire heureux et rassurée de celle que tous regardent maintenant avec une infinie tendresse. Le jeune conducteur continue d’actionner ses boutons imaginaires et de commander aux portes de s’ouvrir en grand.
Comme un cadeau du ciel
Arrive la huitième station. L’enfant crie : "On arrive !" Puis se tournant vers ses parents, leur dit : "On descend aussi pour voir si quelqu’un s’occupe bien de la dame ?" En passant la porte qui les mène vers le quai, j’entends la vieille dame dire à la maman de ce jeune pilote : "Madame, votre fils, il devrait faire le Conservatoire !" Et tous de rire et de sourire. Un homme resté jusque-là silencieux lui lance en guise d’au revoir : "Et puis, joyeux Noël !"
Et le métro repart, nous emportant vers nos futurs de joies ou de solitudes, conservant précieusement comme un cadeau du ciel, ce qu’un petit enfant qui se rêve conducteur de métro, et une grand-mère perdue peuvent révéler en chacun de lumière et d’espoir.